3. Du 35mm jusqu’au gonflage 70mm

ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS

L'intervention de Sir Christopher Frayling, grand spécialiste et biographe de Sergio Leone, devait porter sur l'esthétique Widescreen chez le réalisateur. Las, il s'agit plutôt d'un condensé des influences qui menèrent à la mise en place des thématiques propres à Leone, et la place de ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS dans sa filmographie. Peu importe, tant l'introduction fut enrichissante et offrant un vrai point de vue critique, pas un simple catalogue de noms ayant participé au tournage.

Le film a été tourné en Techniscope, format anamorphique 2.35:1 sorti par Technicolor au début des années 60. Très populaire en Grande-Bretagne (les deux films de THUNDERBIRDS ont été tourné avec ce process, parmi d'autres) et en Italie, il permettait de filmer en format ‘Scope tout en n'utilisant que deux perforations par image - au lieu de 4 pour les Panavision et autres CinemaScope. Donc un gain économique non négligeable de 50% sur la pellicule ! A noter qu'il existe aussi la version Cromoscope, dont le tirage n'était pas effectué pat Technicolor, mais par un laboratoire italien. Le procédé technique était identique mais Technicolor refusa que le nom de Techniscope fut utilisé.

Ce qui demeure remarquable ici : la photographie élaborée par Massimo Dallamano qui a trouvé comment utiliser au mieux le Techniscope. La meilleure manière était de cadrer les visages en très gros plan, du front à la base du menton - permettant de fixer les détails du visage sans l'effet de distorsion du CinemaScope. Hélas, le revers de la médaille étant que dans les plans américains et plans larges, le Techniscope ne permettait pas de miracle. La précision ne pouvant être au rendez-vous. Ceci reste particulièrement visible dans les scènes de duels, les plans de la banque l'El Paso, qui confinent quelque peu au flou et aux contours de personnages hasardeux. Mêlé à l'imagerie de Leone qui oscille entre appropriation personnelle d'un univers auquel l'Italie est étrangère et hommage divers, cela donne des choses curieuses et au diapason de Leone dans ses déclarations (voir ses interviews dans le livre «Once Upon a Time in Italy» par Christopher Frayling, justement) : l'Italie vit et respire catholique, même lorsqu'elle se révèle critique. Le premier plan d'un homme lisant la Bible que l'on croit être un prêtre et qui révèle un Lee Van Cleef souriant. Le film narrant en partie une vengeance tendance oeil pour oeil, la connexion transpire l'évidence. Ce dernier comptant aussi jusqu'à 33 (symbolique, quand tu nous tiens) ou encore le discours sur le charpentier qu'effectue Gian Maria Volonté dans l'église abandonnée… Leone s'amuse avec ses références religieuses et les mélange avec d'autres plus cinéphiles. Comme le médaillon qui renvoie aux BRAVADOS d'Henry King, entre autres. Le tout toujours orchestré par une série de très gros plans qui éclabousse l'écran Techniscope. Ceci posé, le décryptage technique et symbolique ne parle forcément pas d'un bon film pour autant. ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS finit par ennuyer à force d'une intrigue alambiquée qui n'en finit pas au bout de ses 132 minutes. La réussite technique et l'ambition placent le film un net cran au-dessus de l'ensemble des westerns transalpins qui suivront mais n'excusent pas le lenteur de la progression dramatique qui handicape le produit final.

La copie 35 mm (estampillée MGM présentée offrait une stéréophonie éloquente ! Des effets marqués à droite, gauche, mais également en arrière au moment des explosions. En comparant avec des oeuvres projetées en digital (comme NOS PLUS BELLES ANNEES en DCP 4K), la copie 35 possède des couleurs certes qui sentent de nombreux passages. Malgré tout, le celluloïd possède un côté charnel que le digital n'atteint toujours pas, quelle que soit la qualité de la source utilisé pour le scan. Encore le cas ici.

TERMINATOR 2 : JUDGEMENT DAY

Revoir une telle pierre blanche dans le domaine des effets spéciaux, 23 après sa sortie initiale, a fait son petit effet. Un gonflage 70mm partant d'un format Panavision 2.35:1 (comme pour LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN) provoque toujours une petite appréhension - voir les dégâts provoqués sur le gonflage d'INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT. Rien de tel ici, et il fut même agréable de constater que la copie présentée gardât un piqué d'image remarquable, sans perte de couleurs et dotée d'un son surpuissant. Ce qui n'indique pas forcément un score sonore précis : même si la musique (très datée) de Brad Fiedel perce remarquablement lors du générique et soutient de manière discrète mais évidente la première scène de poursuite avec John Connor en moto, on retient surtout la masse de décibels qui s'abat sur le mixage 6 canaux réalisés pour l'occasion. Il est aussi à noter, hormis la première utilisation de mouvement humains pour la génération d'images graphiques générées par ordinateur, que le film fut également d'un des premiers (et derniers, ils ne furent que 10) à utiliser le CDS (Cinema Digital Sound), développé par Kodak. Le premier long métrage à être sorti au cinéma et mixé entièrement en son digital reste le très frustrant L'APPROCHE FINALE - mais TERMINATOR 2 a repoussé également les frontières sonores pour ce faire. Sans parler également du plaisir coupable du cinéphile ardu de revoir apparaitre en 70mm le logo de la défunte Carolco.

Le film passe allègrement le cap des années et la projection idéale sur écran géant cinéma fait réaliser, tout comme pour le Carpenter, que T2 a bien été fait pour ce type de présentation. Pas pour un moniteur personnel quelconque. Les effets spéciaux, maintes fois imités, étonnent par leur bonne santé visuelle et certaines scènes d'action gardent une sensation irremplaçable. Cette première scène de poursuite John Connor/T1000/T800 moto/camion possède une tension jusqu'au-boutiste rarement égalée. Maintenant… le film reste une série de courses-poursuites de 2H16, certes savamment orchestrées. Etant surtout là pour masquer une absence de scénario digne de ce nom et reposant sur les effets créés. Cameron dissémine/prolonge ses idées de combat technologique venant d'ALIENS et ses commandos qui tirent dans le tas. La femme à couilles en phase de robotisation voit son apothéose avec une Sarah Connor musculeuse aux dialogues parfaitement indigents. Pointant vers un renforcement du matriarcat comme principe de base de société salvatrice, assénant des vérités avec la légèreté d'une division Panzer. Ah, les méchants scientifiques qui ne comprennent rien! Tuer, c'est mal! La technologie, c'est pas bien! Si tu n'as pas enfanté, tu ne sais pas ce que c'est! Rien ne vaut un bon conservatisme de pensée de bon aloi pour remettre l'humanité au carré - et lui refaire la tête au passage. On a beau tenter de faire le parallèle entre la technologie suprême utilisée pour générer les effets spéciaux qui élèvent le film au-dessus de la mêlée, et celle embrassée par Myles Dyson (Joe Morton) le scientifique qui va être à la base de Skynet (comprendre : les ingénieurs à la Einstein, c'est le mal). Et parler de paradoxe Cameronesque. Mais le scénario comporte tellement de trous façon emmenthal français que le ridicule l'emporte plutôt que l'adhésion totale. De ce fait, empilant les rebondissements inutiles, les explosions, les scènes d'actions, encore plus d'explosions…. le film ne finit jamais et les 2H16 semblent éternelles. On mentionnera le jeu marbré d'Arnold, incarnation parfaite du robot, alignant là aussi des lignes de dialogues pénibles dont la prise de conscience d'humanité révèle le caractère primaire de l'entreprise. Et de plus, depuis quand les robots du futur ont un accent autrichien? Un problème de microprocesseur, sans doute.

CITY HEAT

Qui avait bu chez Warner ? Au nom de quelle logique commerciale les distributeurs britanniques de CITY HEAT ont pu tirer une copie 70mm d'un tel film? Selon quelques explications recueillies sur place, dès que les distributeurs avaient l'impression d'un flop sur les bras, ils tentaient une présentation 70mm afin de donner du lustre et un semblant de spectaculaire pour tenter d'amortir le choc. Ce qui donc fut le cas de cette production Warner, quelque peu oubliée depuis sa sortie fin 1984 aux USA (une semaine avant celle de COTTON CLUB, autre film sur les années folles). Réunissant deux stars maison, Burt Reynolds et Clint Eatswood, dont les carrières d'homme d'action avait tendance à passer en pente dangereuse. Ce projet fut initié par Blake Edwards, auréolé du succès de VICTOR VICTORIA. Julie Andrews devait en outre être de la partie pour le rôle de Caroline Howley. Mais une fois le scénario écrit, Edwards entra en conflit sévère avec la production et claqua la porte. Emmenant avec lui Julie Andrews (dont le rôle échu à Madeline Kahn), il demanda également à retirer son nom du générique. Ainsi, il devient Sam O. Brown crédité de l'histoire et co-scénariste. En prenant les initiales, on obtient S.O.B - soit à la fois «Son of a Bitch», une insulte, ou le nom de son film de 1981, pied-de-nez au monde d'Hollywood. Edwards se rattrapa quelques années après en filmant SUNSET avec Bruce Willis et James Garner, autre film se déroulant dans les années 30 avec histoire de meurtre à la clé.

En voyant le tout filmé par Richard Benjamin, l'ombre d'Edwards se fait bien sentir. Des scènes de slapstick aux échanges verbaux entre les deux héros, sa patte surnage. Malheureusement, la réécriture du script et la caméra très impersonnelle de Richard Benjamin plongent le film vers une certaine platitude. Epitome d'importantes productions des années 80 dont on se demande aujourd'hui qui a pu donner un feu vert pour un budget aussi aisé. Et si vraiment quiconque espérait un retour sur investissement. Entre des décors nombreux et une direction de la photographie qui demeure le meilleur atout du film, on sent que des efforts visuels ont été tenté pour donner le change. Eclairages veloutés, lumière très basse, ambiance de pénombre : il se dégage un vrai style visuel. Dommage que le tirage de la copie 70 fut trop sombre. Reynolds n'est jamais aussi bon que dans ses saillies comiques, avec des dialogues taillés à sa mesure. L'équilibre entre humour et action vacille régulièrement, versant dans une violence inattendue. L'adjonction d'un Clint Eastwood avec un balai dans le cul le long du film, réinterprétant une nième fois un Dirty Harry grimaçant…ça n'aide pas à la crédibilité de l'entreprise. Et malheureusement, ça reste d'une mollesse sans nom.

LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN

Nous avons un gros problème dans la petite Chine. En fait, simplement avec cette petite Chine car BIG TROUBLE IN LITTLE CHINA (en VO) survit miraculeusement aux années. L'apport du 70mm peut paraitre visuellement accessoire pour un film tourné en Panavision 2.35:1, mais la qualité du matériau de base éclate à l'écran pour le format 2.20:1. Qu'il s'agisse de la précision des traits, la clarté des visages, les éclairages luminescents, la photographie impeccable de Dean Cundey pour les intérieurs et les scènes de batailles rangées et les pistes pistes stéréo Dolby qui ronronnent d'explosions, de musique électronique pulsante… l'ensemble de l'auditoire n'a pu être qu'accroché aux 99 minutes qui n'accordent aucun temps mort! A noter par ailleurs qu'il s'agissait de la 5e et dernière collaboration entre Carpenter et Cundey, ce dernier montant en grade et en salaire pour travailler sur les RETOUR VERS LE FUTUR, JURASSIC PARK et autres APOLLO 13.

En revoyant LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN - encore un exploit d'un traducteur français!- sur écran géant, la certitude : il a été tourné, monté et fait pour être projeté dans de telles conditions. Là où il prend tout son sens. Ou son non-sens, à l'image d'un Kurt Russell supposé être le héros mais que Carpenter tourne en ridicule la majeure partie du métrage. Mais jamais l'oeuvre de Carpenter ne fut aussi percutante, remuante qu'avec l‘apport du gonflage 70… les 6 pistes stéréo permettent un enveloppement rare non seulement de la partition, mais également de l'ensemble du monde sonore créé pour l'occasion. Une vraie puissance de feu. D'autant que les véritables atouts du film demeurent les décors et la narration hors contrôle de Carpenter. Plus que les acteurs, le film semble tracté par les gigantesques pièces architecturales élaborées pour des moments plus fous les uns que les autres. Entre des exagérations de créatures, les emprunts aux codes filmiques de Honk Kong, leq coups de griffes aux conventions du genre, le film zoome vers une absurdité complète. Un peu comme un train en passe de dérailler mais qui, curieusement, maintiendrait son équilibre précaire jusqu'à bon port.

LE GRAND BLEU

Que reste-t-il du phénomène GRAND BLEU 26 ans après son énorme succès lors de sa sortie française? Déjà, une copie 70mm britannique rescapée, aux superbes couleurs et au son toujours aussi efficace. C'est en grande partie ce que les spectateurs sont venus chercher, hormis les rares fans s'étant déplacés pour l'occasion. La projection fut assez étrange, dans le sens où le film fut le seul à ne pas avoir été applaudi à la fin. Une sorte d'ennui général s'était emparé de l'audience de Pictureville. Une torpeur. En fait, le signal plus grave que LE GRAND BLEU a du mal à passer les affres du temps. Très symbolique de son époque, nimbé de teintes bleutées, de rêves marins et de spectaculaires scènes sous-marines… interminables. Car le film oublie son scénario en cours de route et génère scène de plongée sous-marine les unes après les autres. Jean Reno en italien blagueur champion de plongée… faut être une acteur doué pour cela et malheureusement, Reno ne tient pas le choc. Entre un déplorable accent transalpin et un physique grassouillet, il a du mal à tenir le rang. et ce ne sont pas les sorties de route comique-troupier qui arrangent la situation. Jean-Marc Barr possède une indéniable présence qui hante le long du métrage. Sa beauté étrange et son obsession maritime porte le film sur ses épaules. Dommage qu'il fut affublée d'une Rosanne Arquette hystérique en roue libre, et d'une galerie de personnages qui servent de remplissage d'écran. LE GRAND BLEU est long. Très long. Nous n'avons pas eu droit à la version «longue», ni à la version américaine tripatouillée, remontée, avec une fin différente et l'abominable musique de Bill Conti. En parlant de d'abominable, le salmigondis électronique d'Eric Serra se pose bien là aussi. Un vrai massacre auditif, sans mentionner la chanson de fin qui viole littéralement nos oreilles. Grande chance : les 6 pistes stéréo de la copie 70 gardent intactes leur force et leur précision, si bien qu'on a pu profiter à plein régime de cette horreur musicale estampillée 1988.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier