9. Cinéma, Fantastique, Bande Dessinée... Même combat !
Dans les pages de ce numéro 12, nous trouvons aussi une pétition accompagnant un article nommé "La censure barbare est là". Car, effectivement, le recueil des "Aventures de Barbarella", bande dessinée de Forest publiée par Eric Losfeld, s'était vu interdire de publicité, d'affichage et de ventes aux mineurs. Ouvrons alors une parenthèse sur un autre thème contemporain de "Midi-Minuit Fantastique", qui mit en jeu les mêmes acteurs, dont Jean-Claude Romer : la reconnaissance de la bande-dessinée, comme un art à part entière. Un combat d'avant-garde à une époque où certaines BD américaines étaient tout simplement prohibées en France !
Un petit retour en arrière s'impose alors pour comprendre. Revenons à la librairie du Minotaure... "A la librairie du Minotaure, ça a aussi donné ma rencontre avec Francis Lacassin, Alain Resnais, Chris Marker. Et la création presque simultanée en 62 du Club de la Bande Dessinée, pour les nostalgiques de lâge dor des années 30 et 40."
Âge d'or du comics où les lecteurs français découvrent
les aventures que Flash Gordon, Mandrake et le Fantôme vivaient dans les
comic strip américains. Des comic strip totalement interdits en France
lorsque se crée le "Club des bandes dessinées".
"A l'époque, les gens pensaient : "les bandes dessinées,
cest pour les enfants". Il ny avait donc pas matière
à montrer certaines situations, certaines personnages ou raconter certaines
histoires. Automatiquement, tout le monde sest jeté sur cette malheureuse
bande dessinée. Il y a eu la loi de 1949, une loi scélérate,
qui arrangeait la droite comme la gauche. La gauche, parce que cétait
des Américains. Et la droite parce que cétait mal pensant.
Tout le monde était daccord pour interdire la bande dessinée.
Doù notre réaction de prendre sa défense !
De toutes façons, ce sont des images. Que ce soit des
images fixes de la bande-dessinée ou des images animées. Donc,
je suis cohérent avec moi-même. Je nallais pas rater ça !
Il y avait "Giff-Wiff" [publiée de 1962 à 1967] qui
était la revue du club de la bande dessinée dont je suis devenu
le rédacteur en chef. Tenez-vous bien, dans le comité de rédaction,
javais des gens comme Alain Resnais qui nous écrivait des petites
choses.
Notre propos, cétait de trouver des signatures de gens connus,
estimés et estimables, afin de dédouaner la bande dessinée.
Par exemple, nous avions un grand article sur "Félix le Chat"
par le père de Patrick Brion, Monsieur Brion de lAcadémie
Française. Et puis quand Alain
Resnais dit que quelque chose est intéressant, cest que ce
n'est pas de la crotte de bique !
Avant, la bande dessinée était considérée uniquement
pour enfant ! Bécassine, les Pieds Nickelés... Aucun adulte
ne pouvait sabaisser à lire ces bandes dessinées sans se
ridiculiser. Et aucun adulte naurait été acheter un album
de Tintin, par exemple. On disait "Cest pour mon neveu. Pour mon
fils..." Nous avons essayé tant pour la bande dessinée que
pour le cinéma fantastique de dédouaner. De faire prendre conscience
aux gens quil ny avait pas de honte à sintéresser
à ça. Tout simplement !"
"Giff-Wiff" numéro 21, spécial "Dick Tracy"
Rappelons que le réalisateur Alain
Resnais a toujours été un grand passionné de Comics
et de culture Pulp. Il avait même envisagé dadapter au cinéma
Mandrake, Spider-Man, Conan le barbare... Il faillit faire un film aux Etats
Unis sur un scénario original que devait écrire Stan Lee spécialement
pour lui. Autant de projets abandonnés, souvent faute de moyens. Son
long-métrage I WANT TO GO HOME, qui s'est bien concrétisé
en 1989, raconte les tribulations d'un vieux dessinateur de comics américain
en France. C'est un hommage à toute cette culture. Sans parler de l'insolite
L'ANNEE DERNIERE A MARIENBAD, qui était la rencontre
entre les univers d'Alain Robbe-Grillet et, de l'aveu des créateurs du
film, de Mandrake.
"MARIENBAD, ce qui est amusant, cest que cest
un film en kit. Chaque spectateur le construit à partir de ce quil
croit comprendre. Mais bon
Alain
Resnais avait une secrétaire qui lui achetait régulièrement
toutes les bandes dessinées américaines pour les classer.
Donc qui engendre quoi ? Le Minotaure. Midi-Minuit. Le Studio de lEtoile
où j'ai programmé des films fantastiques. Quasiment en même
temps, "Giff-Wiff" et la création du club des bandes dessinées.
Qui est devenu par la suite, car on demandait des subventions, le "Centre
détude des littératures dexpression graphique".
Cest joli, hein ? Les gens ont beaucoup ironisé là
dessus, mais cétait mieux que club de la bande dessinée.
Cela faisait quand même moins rigolo !"
La bande dessinée se voit donc aborder avec sérieux, dans des
articles à destination des adultes. Logiquement, on en arrive à
faire des bandes dessinées destinées aux adultes, telles que "Les
aventures de Barbarella", qui, donc, se heurte aux foudres d'une censure
malcomprenante.
"Cela a posé des problèmes avec la censure qui considérait
que la bande dessinée, cela sadresse à des enfants. On ne
peut pas laisser entre les mains des enfants des choses trop violentes ou trop
érotiques. Donc, cétait logique pour eux. Barbarella a fait
prendre conscience aux gens en place que des adultes pouvaient lire des bandes
dessinées. Mais ils préféraient linterdire aux enfants,
donc totalement. Cétait idiot, un cercle infernal... Ca semble
tellement anodin maintenant. Franchement, cétait ridicule. Voyez
les noms qui étaient cités dans notre pétition de "Midi-Minuit
Fantastique" : Alain
Resnais, l'actrice Delphine
Seyrig...
Dans tout ça, ma position était très délicate car
javais un pied au Terrain Vague chez Losfeld et jen avais un autre,
avec la publication de "Giff-Wiff", chez Pauvert. Alors, vous imaginez,
un pied dans chaque tombe. Donc, jétais obligé dêtre
très diplomate avec lun et avec lautre de ces éditeurs
!"
En novembre 1965 arrive le "Midi Minuit Fantastique" numéro 13 avec en couverture, Evi Marandi dans son costume de LA PLANETE DES VAMPIRES, film de science-fiction réalisé par Mario Bava. Mario Bava qui ne fut pas forcément toujours défendu par "Midi-Minuit Fantastique", comme en témoigne une critique peu amène de Michel Caen dédiée à HERCULE CONTRE LES VAMPIRES dans le premier numéro, critique dans laquelle Mario Bava paraît n'être que le réalisateur d'un seul film - réussi s'entend : LE MASQUE DU DEMON. Jean-Claude Romer est un fan de ce réalisateur, mais...
"On était abreuvé dHercule. Des péplums dans tous les coins, il y en avait cinquante... Ce quon recherchait, si vous voulez, dans "Midi-Minuit", cétait loriginalité du propos, de la facture. Si cest de la photocopie, on ne peut quand même pas à chaque film dire "Cest génial" ou "Cest extraordinaire". Ce n'est pas si mal HERCULE CONTRE LES VAMPIRES. Moi, je ne faisais pas les critiques de tous les films. On laissait les rédacteurs sexprimer. Jai beaucoup aimé LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP. Cest dailleurs moi qui en aie fait la critique - positive - sous un pseudo."
Alejandro Jodorowski (assis) en plein dans un happening du groupe Panic. Ce numéro 13 propose aussi, nouveauté intrigante, la chronique d'un happening rédigée par l'auteur de science-fiction Jacques Sternberg. Le happening en question était exécuté par le groupe Panic, auquel appartenait alors Alejandro Jodorowski. "Cétait l'arrivée d'une idée de contre-culture, quelque chose qui allait vers les évènements de mai 1968. Et puis surtout, tout ça se mêlait. Le théâtre, le cinéma, la bande dessinée... Il y avait des allusions à lun dans lautre. Il y avait une interaction. Il ny avait plus de compartimentage. Topor était lauteur. Je le rencontrais tout le temps chez Losfeld. Il était un peu dans la continuité du Surréalisme. Il y avait une chose dont on était un peu éloigné quand même. Cétait la Pataphysique, qui était le domaine de Minotaure. Cest de la grosse rigolade entre anciens jeunes."
"Endetté comme une mûle ou la passion d'éditer",
autobiographie d'Eric Losfeld, Belfond, 1991. Puisque nous arrivons
grosso modo à mi-parcours de ce périple midi-minuiste, faisons
une petite pause pour nous demander comment l'éditeur et ses troupes
géraient le nerf de la guerre. "Alors je vais vous dire, nous
étions les seuls à être payés par Losfeld en tant
qu'auteur, rédacteur dans une revue. Et même je peux vous dire
que chez "Positif", ils nétaient pas payés et
ils ne sont toujours pas payés. A cause des frictions, de temps à
autres, Losfeld disait "Tiens, Pierrette nest pas là..."
- Pierrette, cétait sa femme. Losfeld était à son
bureau avec une jambe raide, car il avait une blessure de guerre - ça
mavait toujours frappé : Losfeld, cétait le sosie
dun comédien que vous ne connaissez peut être pas, qui sappelait
Alfred Adam. Donc, je pensais toujours à cet acteur quand il me disait
"Pierrette nest pas là, tiens, prends ça.» Et
il sortait une poignée de billets et il me mettait ça dans la
main. Moi, je prends tout
Ahahah !
Ou alors, il disait : "Tiens, prends des bouquins !". Dans la
boutique, il y avait des rayonnages et il me disait de me servir de prendre
ce que je voulais. Les gens se payaient en nature. Alors, je prenais un bouquin,
nimporte quoi, je louvrais et je voyais à lintérieur
"A mon grand ami, Eric Losfeld !" Et cétait des
noms connus, mais il les mettait en rayon !"