8. Mondo Midi-Minuit
Après
les remous causés par le numéro 8, il faut attendre juillet 1964
pour voir arriver le numéro 9, sous-titré "Le tour du
monde du fantastique". On y parle du cinéma fantastique polonais,
espagnol, anglais, italien ou tchécoslovaque avec la volonté de
proposer un panorama international du fantastique, en recourant aux services
de correspondants locaux, là aussi pour éclaircir le contexte.
Une démarche alors assez nouvelle, que poursuivront, par exemple, les
défricheurs qui ont popularisé le cinéma populaire asiatique
au cours des années 70 et 80. Sont aussi abordées pour la première
fois les séries télévisées américaines, telles
que "LA FAMILLE ADDAMS" ou "AU-DELA
DU REEL".
Surtout, dans un article nommé "Safari à Bruxelles",
Francis Lacassin évoque les voyages que les cinéphiles français
effectuaient à Bruxelles pour y découvrir de nombreuses raretés
non distribuées dans l'hexagone. Toute une époque héroïque
!
"On était un commando avec Patrick Brion, Tavernier...
On allait à Bruxelles où les films passaient en doubles programmes.
Il y avait des tas de choses. BLOOD FEAST passait en Belgique
par exemple. Moi, immédiatement, jai écrit à son
producteur David
Friedman et on a entretenu une correspondance. Ce qui ma permis, il
y a une douzaine dannées, davoir été à
la Sorbonne dans le jury pour une thèse sur le Gore par Philippe Rouyer.
Pour la première fois, on parlait de ça à la Sorbonne.
Cest historique, vous imaginez ma jubilation ! Soutenance de thèse
le 28 janvier 1997, thèse de doctorat préparée à
luniversité Paris 1, Panthéon Sorbonne : "Le Gore au
cinéma" ! Reçu avec mentions très honorables et avec
les félicitations du jury. Alors là, quel bonheur ! En Sorbonne,
vous imaginez, ça ?
Si vous lisez langlais, il y a aussi un livre formidable qui est introuvable
maintenant : lautobiographie de David
Friedman. Il raconte tout, vu de lintérieur. Cela, cest
formidable. Regardez ce quil dit sur Jean-Claude Romer, regardez... Que
les gens, après avoir lu "Midi-Minuit Fantastique", se précipitaient
en Belgique pour aller voir BLOOD FEAST. Voilà, ce
sont des satisfactions personnelles, ça. Etant en 1960, je me disais
que dans vingt ans ou trente ans, si je ne fais pas ça, je le regretterais.
Je pense que je nai rien regretté de tout ce que jai fait
parce que janticipais.
Il faut sentir les choses. Il y a des gens qui étaient à côté
de moi et me disaient : "Mais quest ce que cest que les bêtises
que vous faites, cela nintéressera personne ! Cest
nul !" Les Siclier, les "Télérama" et autres
Alors
ça, cest une satisfaction !"
Aujourd'hui, entre les offres du câble ou les DVD que l'on peut commander partout dans le monde sur internet, tout paraît bien différent...
"Cest plus facile et cest plus difficile car vous êtes abreuvés de milliers de trucs. Alors, que choisir ? A quoi doit-on sintéresser ? Ce qui explique un peu que les gens soient désabusés maintenant. Ils ont tout facilement Il y a aussi lattrait de linterdit. La difficulté de voir certaines choses. A partir du moment où on ne peut pas voir quelque chose, on n'a quune envie : cest de le voir !"
Nous voici arrivé au numéro de l'hiver 1964-1965, un numéro 10-11 double avec, en couverture, la belle Barbara Steele, véritable icône de l'épouvante gothique des années 60, vedette de LE MASQUE DU DEMON de Mario Bava, LA CHAMBRE DES TORTURES de Roger Corman et LE SPECTRE DU PROFESSEUR HICHCOCK de Riccardo Freda (photo de la couverture). Un numéro encore riche en interviews mythiques puisque nous y retrouvons les réalisateurs Terence Fisher, Roger Corman, et aussi William Castle.
"Moi, jétais du côté de William
Castle. Ce genre de personnes dont javais fait les filmographies parce
que je les trouvais complètement fous. Vous savez que la meilleure autobiographie
dun réalisateur de films, cest celle de William
Castle, qui na jamais été traduite en français
? Il est venu une fois à Paris et je lavais rencontré au
"Club 13", avec son gros cigare. Pour moi, ce sont des hommes de spectacle.
Cest ça que jaime. Jadore ça ! Il se renouvelait
de film en film. Il y avait des gimmicks. Le squelette qui sortait de lécran,
le fauteuil qui vibrait
Cest la tradition de la Foire du Trône.
Jadorais aller voir la parade, les bonimenteurs... A lépoque,
la Foire du Trône était vraiment sur le Cour de Vincennes. Je parle
des années 40, 50. Là, cétait formidable, avec des
boxeurs qui balançaient leur gant dans la foule en disant "Avec
qui voulez-vous lutter ?" Cétait merveilleux ! Et puis
alors là, point de vue dignité humaine... On exposait les monstres :
la femme homard, la femme la plus grosse du monde ! Maintenant, ce serait un
scandale, tout le monde serait condamné !"
Le numéro 10-11 contient aussi une des premières critiques de "Midi-Minuit Fantastique" dédiée à un genre appelé à une grande renommée chez les amateurs français : la science-fiction japonaise, avec KING KONG CONRE GODZILLA. Un genre qui n'a pas l'air de passionner notre interlocuteur ! "Je nétais pas tellement amateur. Cétait certains dentre nous qui aimions. Un peu comme Alain Schlockoff [fondateur et rédacteur en chef de "L'écran fantastique"] qui aime bien les gros monstres japonais... Bon, ben, ça, cest son problème ! Cest trop répétitif. Il ny a pas doriginalité, cest toujours la même chose. Enfin, cétait tellement répétitif que cétait rigolo de montrer la 250ème version. Et puis, on voyait des japonais dans des costumes de singes en train de jouer à saute-mouton. Cétait un peu ridicule..."
Mai 1965, un nouveau numéro, le 12, expose en couverture une insolite
créature : un des hommes poissons de WAR
GODS OF THE DEEP, film de Jacques
Tourneur réalisé pour le studio AIP et interprété
par Vincent Price.
Jacques Tourneur
qui accorde ici un entretien, tout comme le réalisateur italien Domenico
Paolella. Et surtout, nous découvrons la première interview
avec Barbara
Steele !
"Je me souviens. Cest extraordinaire car elle avait tourné
dans le cycle Poe
de Roger Corman.
Et elle avait épousé un Monsieur James Poe. Elle était
devenue Madame Poe, elle-même. Ca, cétait extraordinaire
! Mais, elle-même navait jamais compris pourquoi on sintéressait
autant à elle et à ses films quelle trouvait vraiment sans
intérêt. A lépoque elle navait pas compris.
Elle disait que les producteurs avaient une image delle qui était
complètement fausse. Une fois pour toute, elle avait été
classée comme sorcière. Mais il vaut mieux être la première
sorcière que la dernière chez Fellini.
La seule chose quelle retient de sa carrière, cest 8 1/2,
le film de Fellini.
Parce que les gens se foutaient delle. Elle avait un peu honte de ce quelle
tournait pendant que dautres lui disaient quelles tournaient avec
Fellini,
Visconti
Elle navait pas compris à ce moment là. Mais on nest
pas obligé dêtre intelligent pour être une vedette
de cinéma. Ils ont le droit dêtre idiots."
Tempérons un peu les propos de notre hôte en rappelant que, assez récemment, Barbara Steele s'est ravisée et s'est exprimée très favorablement sur les films d'épouvante qu'elle a tournés au cours des années 60, en préface du livre "Horror All'Italiana", par exemple...