7. Le scandale du numéro 8 !
Après une année 1963 bien remplie, arrive 1964, avec le numéro 8 spécial "Erotisme et épouvante dans le cinéma anglais". Sur la couverture, June Cuningham s'époumone à gorge déployée sur une photo publicitaire de CRIMES AUX MUSEE DES HORREURS. Dans les pages du magazine, nous trouvons force photos dénudées issues de films fantastiques anglais d'alors : LES CHEVALIERS DU DEMON, L'IMPASSE AUX VIOLENCES, LE VOYEUR, LE CIRQUE DES HORREURS. Y sont même chroniqués des "nudies", films déshabillés qu'il était possible de voir à Londres. Dans le même numéro, nous remarquons d'ailleurs que BLOOD FEAST, considéré comme le premier vrai film gore, est chroniqué. Tout un cinéma B qui passionne Jean-Claude Romer !
"Il y avait tout un pan du cinéma américain qui était
occulté, y compris aux Etats-Unis. Alors en Europe et à Paris,
évidemment, il n'y avait rien du tout à leur sujet ! Ce quon
a appelé lExploitation ou la Sexploitation. Cétait
tout un circuit qui était totalement inconnu et dont on ne pouvait pas
parler dans des revues comme "Famous Monsters" puisque cela sadressait
à des teenager. Cétait des films à propos du sexe,
de la drogue... Mais ils en parlaient de façon détournée,
de façon à avoir lair de dénoncer quelque chose tout
en faisant, non pas son apologie, mais en sen servant pour faire un spectacle
et ramasser beaucoup dargent. Et tous ces films là, moi, me fascinaient.
On oublie une chose. Certes, aux Etats-Unis, il y a une censure qui était
très stricte. Mais il y a aussi des centaines de films qui étaient
distribués indépendamment des grands circuits et des major, sans
aucun contrôle ni difficulté ! On les projetait dans des granges.
Ce qui nous amène à BLOOD FEAST, qui est un
produit typique de ce circuit.
Cest ça que les gens navaient pas compris en France. Cest
que lon pouvait très bien exploiter ces films aux Etats-Unis en
dehors des circuits officiels. Ce qui nest absolument pas possible en
France où nous avons une censure d'état. Moi, je ne vais pas vous
dire que du mal du code Hays, le code de censure américain qui été
appliqué par les major company entre les années 30 et 60. Parce
quavant le code Hays, dans chaque état, il y avait une commission
qui pouvait couper, autoriser ou interdire. Donc, vous multipliez ça
par cinquante Etats, et il y avait cinquante commissions de censure ! Donc,
quelquun qui sortait un film au niveau national nétait jamais
sur de voir son film diffusé. Le code Hays disait "Nous, on vous
assure que si on donne le feu vert, vous pouvez lexploiter dans toute
lAmérique et personne ne dira rien !" Quest ce
que vous auriez choisi ? Vous êtes un homme daffaire, un producteur,
un distributeur... Vous ne voulez pas dennui.
Enfin, bref, moi, javais déjà entrepris de retrouver tous
ces films. Et il ny avait personne dautre qui le faisait. Moi, je
suis curieux, sinon je ne ferais pas ce que je fais. Vous voyez, on parlait
de Dwain Esper, qui a distribué FREAKS une fois que
la MGM l'a rejeté parce quils avaient trouvé ce film trop
monstrueux. Il y en a eu des centaines de gens comme ça. Et ça
a continué. Alors ça sest cristallisé autour du gore.
Parce que cest ce genre de choses qui attirait les gens dans les Drive-In.
Doù lexistence des Russ Meyer et de ses films. Les gens se
battaient, par exemple, pour aller voir un film sur la naissance d'un enfant.
Qui en parlait en France ? Personne ! Il ny a aucune trace.
Pour moi, il y avait lattrait de la chose défendue. De la chose
méconnue. Je vais vous expliquer. Moi, je suis né sous le signe
de Méliès
ascendant Barnum. Cest ça qui mintéresse ! Pour
moi, en quelques mots, le cinéma, cest du spectacle, mais j'ajouterais
: cest aussi du spectacle. Il y a des gens qui disent : "Le cinéma,
ce nest pas du spectacle. Cest intellectuel !" Moi, je
dis, cest aussi du spectacle. Cest modeste ! Et les gens qui
refusent au cinéma le spectacle me font penser à cet inventeur
dont parlait Alphonse Allais : un inventeur qui découvrirait un procédé
permettant dôter au caoutchouc son élasticité !
Et les gens prennent la pellicule, et que je te gratte, que je tenlève...
"Aaah, mais quest ce que cest que cet horrible spectacle. Ces
monstres, tout ça... Mais ce n'est pas du cinéma !"
Alors on obtient en grattant très fort, lécran blanc !
Voilà, ça, cest Bresson, ! Ou lécran noir et
là, bon, cest Marguerite Duras. Vous voyez, les extrêmes.
Mais il y en a pour tous les goûts. Comme je dis, dans le cinéma,
il y a même des mauvais films pour des gens qui ont mauvais goûts !
Voilà en quelques mots ma vision du cinéma. Cest mon idée,
je noblige pas les autres à la partager. Vous comprenez mieux ma
démarche maintenant !"
Ce numéro 8 va connaître des soucis de censure, soucis qui vont
lui donner une aura mythique. Chez certains revendeurs spécialisés,
ce numéro se négocie régulièrement aux alentours
de 300 euros ! Que s'est-il donc passé ?
"Le numéro paraît. Et on était très content
puisquil se vendait très bien. On nous dit alors que le numéro
est interdit. Losfeld avait reçu des inspecteurs dans la boutique. Il
leur a dit : "Je suis désolé mais il ny a plus aucun
exemplaire, tout à été vendu !" Parce que Losfeld
avait lhabitude denvoyer beaucoup de numéros à des
correspondants en Angleterre et en Belgique. Alors il a dit, ce qui nétait
peut être pas tout à fait vrai, que le stock nexistait plus.
Résultat, ils nont pas pu interdire quelque chose qui nexistait
plus ! Mais ils nous ont tout de même empêché de le
rééditer. Donc, les exemplaires imprimés n'ont pas été
détruits. Comme ça a été vendu en lespace
dune semaine ou deux, il ny en avait plus. Mais ce numéro
est tout de même devenu rare car il a été acheté
par tout le monde. Même par des personnes qui nétaient pas
intéressées par le cinéma fantastique parce quil
y avait des demoiselles qui étaient un peu dénudées. Cest
impossible de vérifier le nombre d'exemplaires imprimés pour ce
numéro. En théorie, cela tournait autour de 5000. Jétais
allé à une convention américaine, à Washington,
et il y a des stands où ils présentent des tas de truc. Jy
ai vu un numéro de "Midi-Minuit" dans un plastique, impeccable,
"Mint" comme on dit là-bas. 800 dollars ! Ils sont fous
des trucs français, des affiches françaises, les films de Rollin
Elles sont belles dailleurs ces affiches."
Autre évènement d'importance relaté dans les pages de ce numéro, le Festival de Trieste, premier Festival de cinéma fantastique à s'être tenu en Europe !