4. Du 70mm ! Du vrai !

Joie, bonheur, immense bonheur : la découverte d'une copie 70mm d'origine, venue en droite ligne de Suède pour la diffusion de LA FILLE DE RYAN de David Lean. Largement méconnu et peu considéré dans la carrière de ce grand réalisateur, LA FILLE DE RYAN se solda par un échec, ne parvenant pas à rentabiliser le film Affaibli par des critiques assassines (majoritairement américaines, Lean s'éclipsa pendant près de 14 ans avant de revenir avec LA ROUTE DES INDES en 1984.

Après les énormes succès du PONT DE LA RIVIERE KWAI, LAWRENCE D'ARABIE et DOCTEUR JIVAGO (voir pour cela le compte-rendu 2011), Lean annonça vouloir faire un film plus intimiste et surtout moins dévoreur de budget. Résultat : les quelques 205 minutes du métrage, pour un drame romantique ayant pour toile de fond la guerre en Irlande contre les anglais en 1916, coûtèrent aussi cher que les budgets de DOCTEUR JIVAGO et LE PONT DE LA RIVIERE KWAI réunis. La MGM ne laissa faire le réalisateur qu'à la seule raison des succès passés.

Au final, une immense fresque amoureuse, sur les tourments sensuels de Rosy Ryan (Sarah Miles) qui s'amourache de son ancien professeur Saughnessy (Robert Mitchum). Insatisfaite de son mariage, elle tombe alors amoureuse du capitaine anglais Doryan (Christopher Jones), stationné dans son village. Leur passion va se mêler aux événements politiques du village, ce qui va éveiller la jalousie de chacun.

LA FILLE DE RYAN est un chef d'œuvre. C'est tout. Une immense intelligence de mise en scène, réduisant les dialogues au néant et laissant parler les images seules. Le film fut tourné en Super Panavision 70, d'un format de 2.20:1 et doté de 6 pistes magnétiques sonores. C'est simple : la sublime beauté des images, leur précision, leur luminosité donne envie de jeter le numérique aux orties. Car l'énorme problème de la projection numérique demeurera toujours le manque de luminosité, un handicap aujourd'hui irrattrapable. Ici, on touche au sublime. La scène de la tempête est positivement monstrueuse. Une mise en scène d'une folie rare, projetant les acteurs au cœur d'une mer déchaînée, presque sans cascadeurs. Et une image d'une précision sans précédent : la tempête projette des tonnes d'eau à l'écran, tant et si bien qu'on sent presque les gouttes s'écraser sur nos visages. Une sensation de 3D, et des scènes paralysantes. La scène d'amour entre Rosy et Doryan se déroule dans un quasi silence, magnifié par des éclairages rares et une direction d'acteurs qui touche à la perfection. On reste bouche bée par tant de talent déployé. Un final qui donne un poids immense sur l'estomac. Et d'une force irrépressible sur grand écran.

L'autre vrai 70mm du festival était LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS. Le premier film à avoir été tourné dans ce format, nommé Todd-AO, conçu et publicisé par Michael Todd. Todd avait participé à l'aventure du Cinérama, mais souhaitait autre chose – et plus de liberté ! Il conçut donc ce projet avec trois scénaristes, dont John Farrow (père de Mia et Tisa Farrow) qui devait réaliser le film. Mais l'ingérence de Todd força leur chemin à se séparer. Ce fut Michael Anderson (1984, L'AGE DE CRISTAL, ORCA, OPERATION CROSSBOW), plus docile, qui endossa la lourde responsabilité de chapeauter ce projet. Qui reprend ainsi les tribulations de Phileas Fogg (David Niven), écrites par Jules Verne. L'aventurier fait le pari, avec ses amis banquiers anglais, de parcourir le monde en moins de 80 jours. Flanqué de Passepartout (Cantinflas), il va traverser tous les continents par tous les moyens de transports imaginables, sauver une princesse indienne de la mort (Shirley MacLaine) et croiser un nombre impressionnant de "cameos" (le mot fut inventé pour l'occasion), dont Fernandel, Martine Carol, Marlene Dietrich, Frank Sinatra, John Gielgud, Charles Boyer, Peter Lorre, John Carradine, Buster Keaton… Malgré une énorme difficulté à financer le film, il rencontre un succès mondial, remporte plusieurs Oscars dont celui du Meilleur Film et du Meilleur Scénario. Et ceci devant des titres comme GEANT, LE ROI ET MOI, LES DIX COMMANDEMENTS et LA LOI DU SEIGNEUR. Mais curieusement, les quatre autres films sont demeurés des classiques au fil des ans, tandis que LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS a quelque peu sombré dans l'inconscient collectif. En revoyant le film quelques 60 ans plus tard, on comprend un peu mieux. Malgré le soin évident apporté à l'image et à la largeur d'écran, le film est pataud, lent. Clairement, on s'ennuie ferme sur les premières 90 minutes d'un film qui en dure 183. Il ne s'illumine qu'à travers les dialogues incisifs et terriblement british de David Niven. Et on constate un peu stupéfait que Todd n'a plus ni moins refait qu'un travelogue scénarisé qui ressemble à s'y méprendre à... THIS IS CINERAMA ! On y retrouve la scène de danse espagnole, la corrida, les plans aériens… La grande différence restant que LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS ne permet que très peu d'extérieurs et beaucoup de scènes de studios. Le film ne regagne un peu d'intérêt qu'après l'intermission, où un semblant d'action permet de maintenir un rythme un peu plus soutenu ; Si l'enjeu et le pari technique pouvaient sembler énorme à l'époque, il ne reste hélas qu'un film d'aventures paresseux au final. Même les 6 pistes stéréo parfois vrombissantes ne peuvent sauver une certaine médiocrité générale, aussi élégante soit-elle.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
Remerciements
Bill Lawrence et toute l’équipe du Widescreen Weekend, Jean-Luc Peart, Jan-Hein Bal et Marina Lavroff pour les traductions russes