3. Cinerama ! En Digital !

Pour les autres films en Cinerama, comme SEVEN WONDERS OF THE WORLD, SEARCH FOR PARADISE et CINERAMA HOLIDAY… la rareté des copies semble être une autre paire de manche. Et c'est avec curiosité qu'on accueille la programmation de deux films aussi différents que SOUTH SEAS ADVENTURE et RUSSIAN HOLIDAY.

Les deux films sont bizarrement parmi ceux ayant eu le moins de succès. Les retrouver restaurés digitalement avant les autres films parait incongru. SOUTH SEAS ADVDENTURE est la première tentative d'apporter un vague fil narratif au travelogue. Ici un voyage dans l'hémisphère sud, d'Hawaï via Tahiti, les iles Fidji, les Iles Tonga,l'Australie, la Nouvelle Zélande… avec une claire mise en évidence de l'exotisme des îlies et des eaux translucides des récifs coralliens. La caméra suit d'abord le parcours de deux touristes américaines (Diane Beardmore et Marlene Lizzio) à Hawaï, puis d'un peintre/marin français (Igor Allan) sur la trace de Gauguin à Tahiti qui rencontre sa muse (Ramine) jusqu'au destin de deux émigrés rejoignant leur famille au cœur de l'outback australien Toujours en deux actes avec intermission, et qui dans sa seconde partie tente de dépoussiérer l'image des mers du sud avec notamment des images assez bluffantes des montagnes néo-zélandaises et leurs skieurs du dimanche remontant les pentes via hélicoptère. Comme dans THIS IS CINERAMA, on note une nette emphase sur la religion : de deux chants liturgiques successifs en passant par la livraison d'une bible en langue locale des Nouvelle Hébrides pour subir une leçon de morale et un Notre Père. Le film demeure néanmoins construit comme une invitation au voyage. Avec toujours cette habilité à élaborer des prises de vue estomaquantes. Un bémol sur la remastérisation projeté en format "SmileBox" sur l'écran incurvé : les couleurs paraissaient quelque peu passées, avec des flous perceptibles sur l'ensemble de l'image. Cette expérience digitale ne fut donc pas une franche réussite.

Pour fêter cet événement, le Festival a réussit à retrouver l'actrice incarnant la muse du néo-Gauguin, Ramine. Ceci par l'entremise d'une petite annonce dans un journal tahitien, elle fit spécialement le déplacement pour cet événement. Le film n'avait en effet pas été projeté depuis plus de 40 ans en salles et est toujours indisponible en VHS, DVD et Blu-ray. Tout du moins à ce jour puisqu'une édition Blu-ray est prévue pour 2014. Son intervention, remplie d'émotion et d'humilité, fut un témoignage touchant et émouvant pour l'ensemble des festivaliers. Et quel sourire !

Ce fut une autre histoire en ce qui concerne RUSSIAN ADVENTURE. Cette bizarrerie fut le chant du cygne du travelogue en Cinerama trois panneaux. Elle fait plus l'effet d'un tripatouillage que d'une oeuvre foncièrement originale. Première particularité : il s'agit en fait d'une compilation d'extraits de différents films tournés en Kinopanorama, la réponse russe trois Panneaux au Cinerama américain. Les différences techniques résident dans un défilement d'image en 25 images par seconde, l'utilisation de 9 canaux audio stéréophoniques (4 derrière l'écran et 5 au plafond et sur les arrières) ainsi qu'un écartement plus important entre chacun des panneaux, donnant des jointures parfois aléatoires. On peut tracer ainsi plusieurs films, qui ont été vraisemblablement autorisés à être découpés dans le cadre d'un échange culturel avec les Etats-Unis vers 1965 – sortie de films américains sur le territoire russe et sortie de RUSSIAN ADVENTURE aux Etats-Unis :

  • CHIROKAYA STRANA MOYA RODVAYA de Roman Korma (1958)
    Traduisible par "Vaste est mon pays", le film faisait la promotion du Kinopanorama à l'exposition internationale de Bruxelles en 1958. La scène d'ouverture de RUSSIAN ADVENTURE avec la course de traîneaux provient directement de ce métrage.
  • VOLSHEVNOYE ZERKALO de Leonid Kristi et Vassili Komissarzkhevskly (1958)
    "Le miroir magique", fantaisie documentaire en quatre segments, dont des morceaux de danse typiques ukrainiennes sont repris dans RUSSIAN ADVENTURE.
  • TCHIAS NEO ZKHIDANNYKH PUTESHESTVIY POLYOTE NA VERTOLYOTE de Leonid Kristi (1960)
    "Une heure de voyage aérien inattendu en hélicoptère",  d'une durée originelle de 66 minutes, cède ici des plans aériens.
  • CHETVYORTAYA PROGRAMMA PANORAMIKH FILMOV "TSIRKOVOYE PREDSTAVLENIE" I "NA KRASNOY PLOSHCHADYU" de Leonid Kristi (1961)
    Littéralement "Quatrième programme de la société Panorama avec "Représentation au Cirque" et "Sur la place Rouge" offre la séquence du cirque de Moscou, notamment celle du clown Popov, ainsi que celle du Spoutnik en plein vol.
  • SSSR SOKRITIM SERDDEM de Leonid Kristi et Vassily Kafanian (1961)
    "La Russie au grand Cœur" offre des scènes du Ballet du Bolchoï.
  • VANTARKTIKU ZA KITAMI de Solomon Kogan (1961)
    "En Antarctique derrière les baleines" donne des séquences sous-marines et l'épouvantable chasse et dépeçage de baleine.
  • UDIVITELNAYA OKHOTA de G. Minaichenkova et Andreï Zhadan (1962)
    "Une chasse incroyable", comme son nom l'indique, affiche des scènes de chasse d'animaux sauvages. A noter que les deux réalisateurs ne se retrouvent pas au générique de RUSSIAN ADVENTURE. Au contraire, un certain Boris Dolin y apparaît, probablement du à une mauvaise traduction du russe, Dolin étant l'auteur d'une adaptation d'Hans Christian Andersen nommée UDIVITELNAYA ISTORIYA ("Une histoire étonnante") à l'orthographe très proche de UDIVITELNAYA OKHOTA.
  • ZIMNIE ETUDIE (1963) de Stanislas Rostotsky
    Bien que cela ne soit pas sûr à 100%, certaines scènes moscovites hivernales ainsi que celles du métro proviendraient de ce film.

D'une durée de 122 minutes et narré par Bing Crosby qui apparaît dans une séquence pré-générique, le film sortira le 29 mars 1966 à Chicago ou encore le 3 mai 1966 à Los Angeles pour ne tenir que 13 semaines à l'affiche. Une misère comparée aux 133 semaines de THIS IS CINERAMA projeté 14 ans auparavant. De ce fait, le film disparut progressivement de la circulation, apparaissant ça et là dans quelques copies Cinerama trois bandes (Barcelone, par exemple) ou dans des transferts 70mm miteux. Il faut dire que techniquement, le Kinoparama était qualitativement inférieur. Des couleurs bien moins vives, des jointures entre chaque panneau qui laissent à désirer, des perspectives parfois ratées… sans parler de la qualité des films avec des erreurs de raccord, les ombres de la caméra qui, lors de la première scène de poursuite en traîneau (très impressionnante au demeurant !), se voient sur pratiquement chaque plan. Même si son sauvetage numérique fut un travail difficile et délicat, le métrage n'est pas non plus aidé par une copie digitale assez lavasse par instants, rattrapé par des moments de grâce (les ballets du Bolchoï), de fantastique intempestif (le double rêve d'un apiculteur faisant face à une invasion d'ours s'emparant de ses ruches !) ou de beauté sauvage comme pour la scène d'ouverture en traîneau ou la descente de rivière de bucherons sur leurs tronc d'arbres, faisant la course avec une locomotive lancée sur les rails le long de l'eau ! Mais il semblerait que les auteurs russes aient parfois quelque peu oublié la raison pour laquelle les spectateurs se déplaçaient en masse pour voir du Cinerama : une invitation au voyage, du rêve et un spectacle familial. Et Cinerama s'est lourdement trompé en insérant une scène de chasse à la baleine : double harponnage, déluge, de sang, dépeçage du mammifère et engloutissement de sa carcasse par les entrailles du bateau. On fait rarement pire pour attirer le chaland. Si bien que RUSSIAN ADVENTURE ressemble par certains aspects à un Mondo italien !

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
Remerciements
Bill Lawrence et toute l’équipe du Widescreen Weekend, Jean-Luc Peart, Jan-Hein Bal et Marina Lavroff pour les traductions russes