2. Interview Steve Johnson
Spécialiste des effets spéciaux ayant dirigé les effets
spéciaux de films tels que SOS FANTOMES, SPIDER-MAN
2 ou encore ABYSS, Steve Johnson était l'invité
du Festival Mauvais Genre. En plus d'être membre du jury, il donna
une Master Class de façon à présenter son travail devant
le public de Tours. C'est donc le dernier jour du festival que Steve Johnson
nous a donné un peu de son temps de manière à parler de
sa carrière mais aussi de la transition avec le numérique ou sa
vision sur l'avenir des effets spéciaux… Un long moment plutôt
" fun " et ce malgré l'aspect sérieux des sujets abordés
!
Notons que certaines des photos illustrant l'interview ont été
empruntées à des vidéos postées sur YouTube. Car
il s'avère que Steve Johnson décortique les effets des films où
il a travaillé au travers de petits making-of postés sur sa "chaîne"
ici :
http://www.youtube.com/user/stevejohnsonfx
DeVilDead : De quelle manière avez-vous été amenés à travailler dans le domaine des effets spéciaux ?
Steve Johnson : J'ai grandi au Texas et, lorsque j'étais enfant, j'étais très intéressé par les films d'horreur et de science-fiction. Comme je n'étais pas à New York ou à Los Angeles, je n'avais personne pour m'indiquer les techniques. J'ai donc du me débrouiller tout seul. Je devais avoir une douzaine d'années lorsque j'ai commencé à transformer mes amis en momie, en Mr Hyde ou en monstre de Frankenstein. Je n'avais ni la connaissance, ni les techniques professionnelles. Quelques années plus tard, j'ai trouvé des livres qui m'ont été d'une très grande aide. Ne serait-ce qu'à savoir où il était possible de commander des ingrédients professionnels. Le véritable tournant a eu lieu à 16 ans lorsque j'ai rencontré Rick Baker. Il est venu à Houston, l'endroit où je vivais. Il venait de terminer LA GUERRE DES ETOILES, il a œuvré sur la séquence de la Cantina et sur des extraterrestres. Il était venu à Houston pour une convention ou un festival. Ma mère m'y avait emmené et j'avais apporté quelques photos et dessins. Je lui ai demandé de regarder mon travail. Il a jeté un œil et il s'est dit que j'étais très talentueux (rires). Mais... Il m'a dit que je devais développer mon talent. Développer le dessin, la sculpture... Mais il était assez impressionné par ce que j'avais fait alors que je vivais au Texas. Ce qu'il m'a dit, c'est que lorsque l'on fait un film, on doit démarrer en bas de l'échelle et montrer ce dont on est capable. Mais le plus important, c'est aussi de démontrer que l'on est à même de résoudre les problèmes. Dans la plupart des cas, dans le domaine des effets spéciaux, on doit être une personne qui trouve le moyen de résoudre les problèmes quelles que soient les conditions. C'était plutôt encourageant. Ensuite, j'ai eu mon diplôme de fin d'étude, je devais avoir dix huit ans. Rick Baker m'avait dit que si je voulais travailler, il me suffisait de l'appeler. Donc, je suis allé à Los Angeles et je l'ai appelé. Il m'a trouvé un boulot dans les deux semaines après mon arrivée...
Rick Baker avait fait un peu la même chose pour Rob Bottin...
Rob Bottin... Greg Cannom et moi. Je pense que l'on a du être ses trois principaux protégés.
Et sur quel film avez-vous commencé à travailler ?
Le tout premier ? (rires) Il n'a jamais été distribué. Il était tellement mauvais ! (rires). C'est un ophtalmologiste qui était assez vieux et qui avait de l'argent. Il s'est dit qu'il allait faire un film. Ce fut horrible. Rick Baker n'a pas travaillé dessus mais c'est lui qui avait été appelé. Il savait que ça allait tourner mal et il a donc confié la tâche à Greg Cannom. Et Greg m'a appelé (rires). Ca s'appelait GALACTIC CONNECTION et ce fut un vrai désastre. Mais ce fut aussi une expérience assez amusante pour mon premier film. Mais ça se passe aussi un peu comme ça pour pas mal de films. Moi, je ne le savais pas car je n'avais encore jamais travaillé sur un métrage. On envoyé une demi douzaine de personnes dans les montagnes essayant de voir comment ils allaient bosser alors qu'ils n'avaient, eux non plus, jamais travaillé sur un film. Donc, personne ne savait quoi faire. Un vrai désastre ! (rires). Cela n'a donc jamais été diffusé et le film est sûrement perdu maintenant.
C'était un remake spatial de FRENCH CONNECTION ? (rires)
Non, non, non ! (rires). En fait, c'était un peu comme LE CLAN DE LA CAVERNE DES OURS. D'ailleurs, cela a été fait avant LE CLAN DE LA CAVERNE DES OURS. Il n'y avait pas de dialogues et cela parlait d'une poignée d'hommes primitifs qui se baladaient dans la forêt. C'était vraiment terrible ! (rires). Donc, ce que l'on a fait, ce sont des costumes de singes et ce n'était pas très réussi non plus. Sûrement une autre raison pour laquelle le film n'a jamais été distribué.
A partir de là, vous avez donc gravi les échelons jusqu'à superviser de grosses équipes d'effets spéciaux...
Oui, c'est exactement ça. Ce fut une progression graduelle. Après avoir fait ce film, GALACTIC CONNECTION, j'ai travaillé pour Rob Bottin. Encore une fois, c'est Rick Baker qui a suggéré à Rob de m'engager. Il faut comprendre qu'à l'époque, il n'y avait que cinq ou six personnes à même faire ce genre de boulot. Et ils étaient tous à Los Angeles. Du coup, il était très facile de trouver du travail. S'il y avait un boulot, on l'obtenait ! Donc, j'ai travaillé avec Rob Bottin sur un autre costume de singe pour le film LA BETE D'AMOUR. Puis, on a bossé sur d'autres films comme FOG de John Carpenter. Après avoir travaillé pour Greg et Rob, Rick Baker m'a finalement demandé d'intégrer sa propre équipe pour faire faire LE LOUP-GAROU DE LONDRES. Ce fut un grand changement car il s'agissait d'un plus gros budget. Dans le même ordre d'idée, j'ai fait avec lui VIDEODROME, GREYSTOKE ainsi qu'une poignée de films plus modestes... Nous avons passé une année en Angleterre pour faire les costumes de singes pour GREYSTOKE. A notre retour aux Etats-Unis, Rick était vraiment épuisé et il a décidé de prendre une année loin des tournages. Mais c'est juste au retour d'Angleterre que Richard Edlund a appelé Rick pour lui proposer de faire les effets spéciaux de SOS FANTOMES. Richard Edlund venait de monter une société pour faire toutes sortes d'effets spéciaux. Il s'était installé sur la côte de Los Angeles dans des locaux spacieux. Il voulait donc faire des effets optiques, des effets pratiques (comme des explosions, la pluie…) ou encore des monstres. Il s'est alors retrouvé face à SOS FANTOMES et Rick lui a suggéré de s'adresser à moi. Du coup, j'ai trouvé un bon boulot et je suis resté là le temps de quelques projets. J'ai travaillé ainsi sur VAMPIRE, VOUS AVEZ DIT VAMPIRE, POLTERGEIST II, LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN... Ce fut une excellente expérience car j'ai pu travailler sur de gros films grâce à la structure de Richard Edlund. C'était plus rassurant, car même si j'avais travaillé sur de gros films auparavant, dans ce cas précis, si quelque chose merdait, la pression était différente puisqu'il s'agissait d'une grosse société et que ça n'allait pas directement me retomber sur les épaules (rires). De plus, il fallait être très créatif et puis cela m'a permis de travailler avec de très grosses équipes. Je devais avoir quelque chose comme 80 personnes lorsque je supervisais les effets d'un film. Je crois que le dernier film que j'ai fait dans ce cadre, c'était PREDATOR... Mais on s'est fait virer ! (rires). Je ne sais pas si je devrais raconter cette histoire (rires).
Au contraire, allez-y ! (rires)
Donc, le dernier film que j'ai fait dans la boîte de Richard Edlund, c'était PREDATOR… de McTiernan. On devait faire la créature. Lorsque nous sommes arrivés, ils avaient déjà un design pour l'extraterrestre et ils nous dont dit "Voilà ce qu'on veut". Le design était horrible. C'était assez risible. Mais le véritable problème, c'est que la créature devait être très grande. Elle avait une articulation supplémentaire aux jambes, un peu comme un loup-garou. C'était ce que voulaient le réalisateur et le producteur. A ce moment là, c'était encore Jean-Claude VanDamme qui devait être dans le costume. Donc, on a fait le costume pour lui. Mais on devait tourner dans la jungle. C'était n'importe quoi ! De la boue glissante, un sol forcément inégal, des lianes et autres végétaux sur le sol… Donc, on devait trouver un moyen pour qu'il puisse bouger de lui-même avec ses extensions au niveau des jambes. On était dans les années 80, la technologie ne permettait pas de le faire. On a essayé. Essayé. Et essayé encore… Finalement, j'ai dit que la seule manière d'y arriver, c'était en revoyant le design et surtout en plaçant un harnais dans le costume. Il aurait alors été possible d'accrocher un câble et suspendre la créature à un câble. Cela aurait donné l'impression qu'il se déplace seul alors que l'acteur aurait fait semblant de marcher. Mais… Imaginez ce principe dans la jungle, cela prend un temps infernal. Cela nécessitait un très long moment de préparation entre chacun des plans. Cela prenait une éternité. Nous étions de toutes façons déjà en retard sur le planning. Et ce qu'il s'est passé, c'est que la Fox a envoyé un avertissement à Joel Silver qui était déjà connu pour dépasser les budgets. En gros, on lui a dit que s'il prenait du retard, on allait le virer et qu'il ne retravaillerait plus jamais à Hollywood ! Ce n'est pas une excuse mais je pense que finalement, nous avons servi de bouc émissaire. Pourtant, on les avait prévenu que la créature ne fonctionnerait pas dès le départ et par la suite que ce serait extrêmement difficile à mettre en œuvre. Finalement, il a été dit qu'ils n'avaient pas de monstre, qu'ils ne pouvaient pas tourner et qu'il fallait nous virer. Finalement, ils se sont tournés vers la boîte de Stan Winston. Et la créature est devenue une icône. Pourtant, ils ont refait le design et, à l'arrivée, il s'agit seulement d'un mec dans un simple costume en caoutchouc. Je n'aime pas le nouveau design. Mais ils devaient aller très vite et ils ont fait ce qu'ils ont pu. Maintenant, je me demande ce qu'il se serait passé si j'avais été au bout de ce projet. Car c'est devenu un film vraiment très connu. Et finalement, tout ce que j'ai fait, c'est me faire virer ! (rires).
Vous avez aussi rencontré des problèmes sur le tournage d'ABYSS… Avec James Cameron…
Evidemment ! Toujours ! Mais je n'ai pas vraiment de mauvaises choses à dire à propos de James Cameron. Le truc, avec James, c'est qu'il sait exactement ce qu'il veut. Il est vraiment très malin. Il obtient vraiment le meilleur des gens qui bossent avec lui. Mais il l'obtient d'une mauvaise façon. Il est abusif… Colérique… Très méchant… Donc, il obtient le meilleur des gens mais en leur faisant peur. Toutefois, c'est le travail le plus dur que j'ai eu à faire. Mais dans le même temps, c'est aussi ce dont je suis le plus fier. A l'époque, on me demandait de faire des effets impossibles. Aujourd'hui, ce serait facile avec le numérique. Mais, à l'époque, on me demandait des créatures transparentes, qui étaient auto-luminescente, qui changeaient de couleurs… Et le tout devait se tourner sous l'eau ! Imaginez la difficulté de l'entreprise à cette époque où il n'y avait pas le recours des effets digitaux. James Cameron savait exactement ce qu'il voulait et ne se posait pas vraiment de question sur la technique ou la manière d'y arriver. Avec un autre réalisateur, cela ne se serait pas fait. Mais finalement, on a réussi et ce même si Jim est un "bad motherfucker". Cela me fait penser à l'anecdote du PCP sur le tournage de TITANIC. Quelqu'un était si en colère contre James Cameron et sa façon d'être abusif envers ses collaborateurs. Il a donc versé une grosse quantité de PCP dans la soupe du repas. C'est assez fou car finalement il y a eu une quarantaine de personnes qui ont été envoyées à l'hôpital. Jim, lui, il n'a pas mangé la soupe. Il essayait de l'atteindre. C'était une attaque contre Jim et c'est le seul à ne pas avoir mangé… Ca donne une idée de sa réputation !
Cela fait donc deux expériences qui se sont passés de manière difficile. Mais quel est le film où votre expérience fut la meilleure ?
Beaucoup d'entre eux. Mais je pense que celui dont j'ai le meilleur souvenir est sûrement SOS FANTOMES. Déjà parce qu'il s'agissait d'une comédie. Et en raison de ma carrière, je n'avais pas eu l'opportunité de travailler sur des comédies. J'avais surtout du faire en sorte de poignarder des gens, créer des monstres et faire peur au public. Mais celui là était différent puisqu'il devait faire rire. C'était une expérience amusante que ce soit sur le tournage ou par la suite en studio. Cela m'a permis de trainer un peu avec Bill Murray et Dan Aykroyd. Et puis c'était aussi le premier film où j'étais vraiment à 100% responsable des effets spéciaux. J'étais jeune, j'étais excité par ce projet, ce fut une grande expérience.
Vous avez parlé des effets digitaux. Il y a eu un tournant dans la manière d'appréhender les effets spéciaux avec l'arrivée des effets numériques. Comment avez-vous appréhendez cela ?
C'est arrivé assez lentement. Durant les années 80, nous étions comme des rock stars, on voyageait à travers le monde, on avait des groupies. Mais à ce moment là, les réalisateurs et producteurs venaient à nous et nous discutions des défis à relever sur un film. Il fallait trouver des moyens pour y arriver tous ensemble. C'était stimulant. J'ai donc grimpé les échelons, j'ai gagné une certaine notoriété et j'ai travaillé sur des projets de plus en plus gros. Il fallait être de plus en plus créatif et mon rêve était devenu réalité. Mais lorsque les effets digitaux sont arrivés, nous avons été mis, petit à petit, de côté. Les personnes qui prenaient en charge les effets numériques ont pris plus d'importance. Mais cela a pris un long moment. En fait, au début, il y avait beaucoup plus de travail. Si on prend l'exemple de JURASSIC PARK, les scénaristes n'avaient pas écrit le film avec en tête les effets digitaux. Mais depuis que les images de synthèses ont été intégrées à notre culture, les scénaristes sont devenus libres d'écrire tout ce qu'ils veulent. Mais au début, si vous faisiez un plan large, avec une créature dans son intégralité, c'était des images de synthèse. Mais si vous vouliez un gros plan, on le faisait avec de l'animatronique. Soudain, il y avait beaucoup plus de travail dans le domaine de l'animatronique. Ce fut une véritable explosion et il y avait du boulot partout. Sans compter que c'est bien plus cher à réaliser, l'animatronique, au contraire des effets prosthétiques comme un vieillissement ou le maquillage d'un zombie. Donc, le business était florissant et c'était vraiment bien. Et puis les effets digitaux se sont améliorés et se sont finalement révélés bien moins onéreux. Tout à coup, les images de synthèses étaient meilleures et donnaient des résultats plus satisfaisants. Car lorsque vous tournez avec des créatures réalisées en animatronique, vous le faites sur le tournage. Quand le réalisateur décide que c'est bon, c'est dans la boîte et c'est terminé, on ne peut plus rien changer. Alors qu'avec les images de synthèses, on tourne puis les techniciens ont des mois pour travailler sur une séquence, un temps considérable pour peaufiner les détails et revenir à de nombreuses reprises sur des effets. Avec JURASSIC PARK : LE MONDE PERDU, c'était toujours la même configuration. Plans larges en images de synthèse et gros plans avec de l'animatronique. Mais c'est la première fois où je ne voyais pas la différence entre les deux. C'était vraiment "Attendez, quels sont les plans digitaux ? Lesquels ont été fait avec de l'animatronique ?". Et ce que je vais dire est assez triste pour moi. Car les seuls moments où je pouvais faire la différence, c'était lorsque les effets réalisés sur le plateau faisaient "artificiels". C'était pourtant le boulot des Studios Stan Winston mais les effets produits par ILM étaient bien meilleurs à l'arrivée. C'est à ce moment là que je me suis dit "Ok, c'est terminé, je peux commencer à faire mes valises !" (rires).
C'est vrai qu'à présent, grâce aux effets numériques, cela donne une énorme liberté aux cinéastes. Mais, si on prend un exemple récent avec LE CHOC DES TITANS, cela manque de poésie ou de magie. Tout le contraire du film original et des animations de Ray Harryhausen.
Oui… Oui… C'est intéressant que vous disiez cela. Car 99.99% de gens à qui je parle, qu'ils soient dans l'industrie cinématographique, que ce soit des fans ou simplement de simples personnes dans la rue… Tout le monde est d'accord avec ça. Les gens n'aiment pas les effets digitaux. Mais je crois qu'il y a une raison. Avec l'exemple que vous me donnez… Quand Ray Harryhausen a fait ses films, cela venait de son esprit directement au vôtre. Il avait un ou deux assistants mais c'était vraiment sa vision. Il faisait le design, il sculptait et il faisait l'animation. Un seul homme connaissait ce qu'il voulait transmettre au public. Et il y arrivait car il n'y avait aucune interférence. De nos jours… Par exemple sur le remake du CHOC DES TITANS, il y a peut être une centaine de personnes qui ont pensé à la manière de faire les choses. Au final, il y a trop de cuisiniers comme on dit. J'ai travaillé avec H.R. Giger sur deux projets, LA MUTANTE et POLTERGEIST II. Il m'a dit quelque chose de très important. Sur POLTERGEIST II, la première fois où j'ai travaillé avec lui, il m'a dit "Si tu es un artiste, tu dois être créatif aussi vite que tu peux !". Que ce soit peindre, sculpter ou faire des effets spéciaux, c'est pareil. Il m'a dit "Car la raison, c'est que si tu peux revenir dessus, jour après jour, semaine après semaine, tu oublies ce que tu voulais faire à l'origine". Tu finis par diluer ce que tu voulais créer. Simplement il m'a dit qu'il fallait vomir mon art. Le sortir rapidement. Et si c'est brut, c'est en général meilleur car c'est chargé d'émotions. Moi, je venais de chez Rick Baker. Et je pense que son travail est en général trop parfait, très symétrique. Mais c'est la manière dont j'avais appris à faire les choses. Mais en travaillant avec Giger, nous sommes arrivés à un arrangement. Il m'a dit que si je devais faire une sculpture à partir de l'un de ses designs, je devais le faire aussi vite que je pouvais. Essayé de le faire en moins d'une journée. C'est ce que j'ai fait et je pense que c'est plus réussi de cette façon et que le résultat ressemble bien plus à ses designs. Car cela a un coté brut, un côté spontané… Cela a plus d'âme car c'est ce qu'il y a de plus proche de ce que j'avais en tête.
Justement, j'ai un autre exemple concernant le contraste entre perfection et imperfection. C'est le KING KONG de Peter Jackson. Dans le film original, on a une créature imparfaite mais cela lui donne justement une dimension surréaliste. Alors que dans le dernier remake en date, on a une créature parfaite mais cela en fait un simple singe ! Peter Jackson avait dit qu'il était un grand fan du KING KONG original. Du coup, en partant de ce que vous venez de me dire, est-ce que vous pensez qu'il est passé à côté de son film à cause de l'importance de l'équipe ?
Encore une fois, cela revient à ce que je disais à propos de l'animatronique. Quand vous faites des effets digitaux, vous allez le faire sur une très longue période de temps. Vous n'arrêtez pas de revenir dessus. Et vous allez vers la perfection, vers le mouvement dénué de défaut mais c'est ce qui rend la chose irréelle. Car il s'avère que nous ne sommes pas parfaits. Vous n'êtes pas parfait. Il y a quelque chose qui ne va pas dans chacun de nous. La manière de bouger, la manière de parler, ce à quoi on ressemble… Il y a tellement de choses à dire là-dessus et c'est ce qui donne justement cet aspect irréel. Mais je vais vous dire quelque chose. Je ne voudrais pas paraître négatif à propos de ça car je ne suis spécialement fan et ce n'est pas nécessairement parce que cela m'a mis au chômage. (rires) Mais il y a deux raisons qu'il faut évoquer, une principale et une secondaire. Premièrement, c'est moins cher… Moins cher et plus rapide. Pas seulement sur le design mais aussi parce que vous n'avez pas besoin de filmer quoi que ce soit pendant le tournage avec les acteurs sur un fond vert. Le réalisateur n'a pas besoin d'être inquiet que quelque chose tourne mal, que des éléments se cassent et il n'y pas non plus besoin de payer une vingtaine de techniciens dédiés aux effets sur le plateau. C'est la raison principale, l'argent. L'autre raison et, là, je suis plus positif à ce propos. Je pense au futur. Car je pense que le futur du divertissement passera inévitablement par le perfectionnement des technologies d'images de synthèse. Car aujourd'hui, c'est moins cher et on tend pourtant de plus en plus à améliorer les possibilités des effets digitaux. Mais le jour où l'on pourra faire un acteur en images de synthèse. Le moment où l'on ne pourra plus faire la différence avec un vrai comédien. A ce moment là, ce ne sera que le début ! Car pensez au divertissement tel qu'il était il y a 10 ans en arrière. Et pensez à ce qu'il sera dans 10 ans. 20 ans. 50 ans à partir de maintenant. Imaginez ce que cela deviendra dans 50 ans et les images de synthèse seront inévitables. Ce que j'imagine, c'est quelque chose de photo-réaliste dans un environnement de réalité virtuelle. Vous pourrez bouger à l'intérieur. Etre qui vous voulez… C'est le progrès. Pour chaque chose qui naît et évolue, il faut que quelque chose meurt.
C'est plutôt pessimiste pour vous...
Pessimiste ? Non, c'est optimiste. C'est vraiment quelque chose de positif… Dans le domaine du divertissement, nous sommes vraiment à un moment important. Et puis, vous savez, j'ai fermé boutique en 2006. Et je suis très heureux. J'ai bossé pendant une trentaine d'année, j'ai fait dans les 200 films, clips, attractions de parcs à thèmes et shows télévisés. C'était vraiment ce que je voulais faire depuis que j'étais enfant au Texas. Je suis un homme à présent. Et ce n'est plus vraiment ce dont je rêve. Si les effets spéciaux digitaux n'avaient pas pris le dessus, je serais sûrement encore en train de faire le même boulot. Et, vous savez, quand vous êtes fatigués, c'est vraiment un travail stressant. Comme nous étions moins respectés, que nous obtenions moins d'argent, il y avait encore beaucoup plus de stress. Je suis vraiment plus heureux maintenant ! Merci le numérique ! (rires) Voilà comment c'est positif !
Vous saviez qu'il y a eu des projets pour reproduire des acteurs disparus ? Par exemple, durant les années 90, il a été question de faire un film avec un Bruce Lee numérique mais aussi de terminer le film inachevé avec Marilyn Monroe… Finalement, ça n'a pas été fait.
Non, je ne savais pas. Mais ça finira par arriver. Vous savez, tout le monde se moque du personnage de Jeff Bridges dans TRON LEGACY. Ce n'est pourtant pas si mal. Mais comment voulez vous apprendre ? Vous ne pouvez pas vous améliorer sans essayer. C'est bien que des producteurs et des réalisateurs essaient pour faire avancer les choses. Après tout, combien de personnes sont mortes pour réussir une transplantation cardiaque ? Il faut bien essayer. Au moins, personne n'est mort de la copie numérique de Jeff Bridges. (rires) C'est comme ça que l'on apprend.
Il y a eu une charnière dans la manière de faire des effets spéciaux mais il y a une autre révolution. C'est la manière de faire des films. Aujourd'hui, il est devenu très facile tourner un film. On peut s'acheter une caméra performante avec de petits moyens. On peut utiliser son ordinateur pour faire les effets spéciaux… Qu'est ce que vous pensez de ça ?
J'adore ! A présent, même si l'on est jeune, on peut accéder aux outils facilement. Il suffit de regarder sur YouTube pour y trouver des tas de trucs incroyables. Cela ne peut rendre que le divertissement bien meilleur en rendant les outils accessible à tout le monde. Tenez, vous avez vu les courts-métrages tout à l'heure… C'était impossible il y a une vingtaine d'années.
Justement, j'allais vous parler de KAYDARA…
Le film que nous avons vu hier soir ? Oui, j'ai rencontré les deux créateurs ici. D'imaginer que ce sont seulement deux personnes qui ont fait ça, c'est incroyable. C'est même impossible ! Je veux dire qu'une personne comme moi qui a commencé à travailler dans ce milieu durant les années 70 et de voir un tel film confectionné seulement par deux personnes, je suis époustouflé ! Ce sont deux français qui ne viennent même pas d'une grande ville et qui ont fait ça seul dans leur garage. C'est carrément délirant ! … Mais je n'aime pas le doublage ! (rires) Mais l'anglais n'est pas leur langue maternelle, je dois leur reconnaître ça. D'ailleurs, je leur ai dit, ce n'est pas vraiment un secret… Hier, j'ai vu un court-métrage. Le Western…
56 PESOS ?
Oui ! C'était étonnant. Dommage que le film n'était pas en compétition car c'était mon préféré. Rien n'explique pourquoi les cow-boys parlent français, c'est très surprenant. (rires) Mais j'ai vraiment aimé… Le sang matérialisé par de l'encre diluée dans l'eau lors des coups de feu... Mais c'est quelque chose que j'aurais pu leur demander. Pourquoi les cow-boys parlent français car rien ne l'explique.
On a parlé du fait qu'à présent les outils sont faciles d'accès et qu'il est possible de réaliser des films techniquement incroyables. Mais on a un peu l'impression qu'une grande partie de la génération des nouveaux réalisateurs essaient surtout de reproduire ce qu'ils ont aimé au cinéma. C'est particulièrement flagrant dans les films qui sortent en salles des nouveaux réalisateurs français. Pour reprendre ce que vous disiez à propos de "vomir son art", dans ce cas précis, on a un peu l'impression qu'il manque justement un peu de recul ou bien de personnalité, qu'ils n'ont pas digéré les influences…
Vous savez, de nos jours, il n'y a pas beaucoup de nouvelles idées à Hollywood. C'est assez frustrant pour moi. Car lorsque l'on vient dans un festival, comme celui de Tours, on s'aperçoit qu'il y a clairement partout dans le monde des gens qui ont de vraies idées, de vraies personnalités… Et qui sont vraiment très talentueux. Vous n'avez pas nécessairement besoin d'être à Hollywood. A vrai dire, je pense qu'être cinéaste à Hollywood, c'est un peu comme une malédiction. C'est un peu comme ce que je disais à propos de Rick Baker. Tout doit être parfait. Vous devez suivre les règles à la lettre, vous placez "B" après "A", "C" après "B"… Pourtant, lorsqu'on voit un film comme LA CITE DE DIEU, c'est impressionnant ! Quel que soit l'endroit où l'on se trouve à travers le monde, on peut faire de l'art. On n'a pas besoin de connaître ou suivre les règles pour s'exprimer soi-même, faire de l'art. Mais, par exemple, avec tous les remakes qui sortent. C'est avant tout une question d'argent. Car faire des films, dans le cadre d'un studio, c'est extrêmement cher. Et ils ne veulent pas perdre d'argent donc ils ne prennent pas de risque. Ainsi, on peut refaire ARTHUR. On peut refaire HALLOWEEN… On fait des calculs et les résultats doivent indiquer que l'on va faire du profit. Mais si l'on s'intéresse à une idée originale, quelque chose digne d'être filmé, qui peut changer la vie des gens… Ils ont peur de le faire. Je n'aime pas être aussi négatif mais c'est clairement dommageable pour le business. C'est honteux car il devient assez difficile de monter un film de toutes les façons et que c'est ça qui bloque les cinéastes. J'ai des amis à Hollywood, comme Stephen Norrington qui a fait BLADE, et qui ne feront plus jamais de films au sein des studios. Maintenant, ils préfèrent travailler dans leur coin, financer eux-mêmes leurs films puis les amener aux studio. En leur disant "Voilà notre film, vous le prenez et ça ne vous coûtera pas trop d'argent". Pas mal de cinéastes commencent à faire ça pour éviter d'être de vulgaires pantins. Car au sein d'un studio, vous avez un millier de personnes entre vos idées et l'écran. A côté de cela, à propos de certains cinéastes qui se bornent à reproduire ce qu'ils ont vu, c'est un peu triste de ne pas apporter du neuf, d'y insuffler une véritable personnalité.
J'ai été assez surpris de vous voir à quasiment toutes les projections, ce qui n'est pas toujours le cas des membres d'un jury dans les festivals. Par exemple, on vous a vu à la projection de ALIEN VS NINJA…
Le fait est que j'aime les films ! C'est la raison pour laquelle je suis venu à ce festival. Et puis on fait la fête jusqu'à six heure du matin, j'ai rencontré un tas de personnes vraiment cools et puis c'est une manière d'apporter mon soutien à Gary (Constant) et les cinéastes. J'aime les films ! … Et puis on apprend de toutes choses. C'est la démarche artistique. Vous pouvez trouver des choses à ajouter à votre imagination, de manière à pouvoir ensuite créer quelque chose vous-même. Et puis j'aime vraiment les choix de Gary. Je crois vraiment dans ce qu'il fait… Aussi longtemps que mes fesses pourront le supporter ! (rires) Car, je suis resté assis pendant 6 heures dans un cinéma alors que j'avais déjà passé 12 heures dans un avion pour venir. Ce fut une très longue journée… C'est pour ça que je bois ! (il nous présente son verre de vin en riant)
Vous avez donc arrêté de faire des effets spéciaux, mais vous auriez pu aussi choisir de faire vos propres films ?
Je pense que je pourrais être un bon réalisateur. J'ai déjà réalisé quelques trucs. C'est dommage que vous n'ayez pas pu assister à ma master class car j'y ai justement présenté l'un de mes courts métrages. J'ai aussi fait des choses pour la télévision et des clips vidéo. Vous savez, j'ai eu des propositions pour faire des films mais à chaque fois, c'était de très petits budgets. Et comme souvent, je commençais à conceptualiser les choses et on s'apercevait qu'on n'avait pas assez d'argent ou pas assez de temps pour faire ce dont j'ai envie. Et je ne voulais pas que mon premier film soit un métrage à tout petit budget. Surtout qu'il y avait déjà des personnes pour interférer simplement en se demandant si je serais mauvais… Si je serais bon… J'ai arrêté ma compagnie en 2006 car ce n'était plus amusant. Plus du tout. Il y a des personnes qui sont prisonnières de leurs peurs, de savoir s'ils vont encore gagner assez d'argent pour conserver leur train de vie… Ce ne fut pas une décision facile à prendre. Ce fut assez dur. Car je gagnais des sommes d'argent obscènes et tout d'un coup… Plus d'argent !!! Mais cela s'est bien passé car je suis heureux comme je ne l'ai pas été depuis bien longtemps. A présent, j'occupe mon temps en écrivant. Pas des scénarios comme on pourrait s'y attendre. Car, encore une fois, si vous écrivez un script, il y aura des tas de personnes pour mettre leur grain de sel dedans. J'aime vraiment les mots, j'aime beaucoup lire. Pour moi, c'est comme faire de la sculpture avec des mots. Et si l'on fait un script, personne ne saura jamais ce que vous avez vraiment écrit… Dans le cas des romans, particulièrement dans le genre que j'écris, je pense que c'est la chose la plus créative que j'ai pu faire. Faire des monstres pour les films des autres, c'était créatif, bien sûr, même si ça l'est devenu de moins en moins… Mais écrire, c'est vraiment un autre niveau. Bien plus encore que tout ce que j'ai pu faire en sculptant ou en faisant de la peinture car vous ne créez pas qu'un personnage. Vous allez créer un univers… Les personnages, les décors, les mots que vous allez placer dans la bouche des protagonistes… Evaluer les informations que vous n'allez pas divulguer au lecteur de manière à conserver leur intérêt. Je ne sais pas ce que peuvent ressentir ou penser un grand sculpteur ou un grand peintre. Mais, pour moi, écrire, c'est du vrai art. Est-ce que je pourrais en vivre un jour en gagnant de l'argent ? J'espère bien. Mais je travaille tous les jours, j'aborde l'écriture comme un vrai travail. Je n'ai pas encore été publié en dehors de quelques nouvelles. Mais, vous savez, je ne cherche pas à vendre des millions de copies. Déjà, si je peux vendre un exemplaire, ce serait vraiment cool. (rires)
Quel type d'histoires vous écrivez ?
Le premier livre que j'ai écrit… au Costa Rica. Lorsque j'ai quitté Los Angeles, je suis parti au Costa Rica pendant un an. Au milieu de la jungle, je n'avais pas l'électricité, j'étais dans une maison dans un arbre. Cela changeait complétement de Los Angeles avec les Mercedes, l'assistant personnel… Je ne parlais même pas espagnol et j'étais dans cette maison sur un arbre, au dessus de la forêt, avec les singes qui me rendaient visite et, moi, en sueur en train d'écrire ce livre. Et je pensais qu'à mon retour, j'aurais des tas de propositions pour me l'acheter. Cela ne s'est pas passé comme ça et je ne l'ai toujours pas vendu. C'était basiquement comme d'aller à l'école. Je n'avais jamais vraiment essayé d'écrire à l'époque, une fiction de taille importante. Donc, j'ai appris beaucoup durant cette année là. Cela m'a déprimé à mon retour aux Etats-Unis en m'apercevant que je ne pouvais pas le vendre aussi facilement. Vous savez, les écrivains écrivent. Mais les gens n'abandonnent pas. Après tout, si je n'arrive pas à vendre celui là, est ce que c'est parce que je suis un mauvais écrivain ? Peut être… Peut être pas… Mais cela ne veut pas dire que je ne vais pas m'améliorer. Et j'ai fait ce que j'ai fait de plus dur dans ma vie. J'ai repris mon stylo et je me suis remis à écrire. Et je ne me suis pas arrêté. Enfin… Ce n'est probablement pas ce à quoi vous pourriez vous attendre. C'est plus surréaliste. Il y a des aspects horrifiques ou fantastiques. Je ne dirais pas que cela ressemble à du Stephen King. Car j'aime jouer un peu plus avec les mots même si Stephen King est mon auteur préféré. D'un autre côté, vous pourriez peut-être penser que cela ressemble à du Stephen King bien qu'il y ait sûrement d'autres écrivains qui doivent m'influencer de manière inconsciente. Je dirais que c'est clairement de l'horreur émotionnelle. Parfois, je mets des monstres dans mes histoires, car je ne peux pas m'y empêcher. Mais pas vraiment les monstres tels qu'on peut les appréhender. Plutôt les vrais monstres, d'un point de vue psychologique, les personnes qui sont réellement mauvaises et maléfiques. Par exemple, j'ai beaucoup aimé le film RED, WHITE & BLUE que l'on a pu voir ici. Pour moi, ce film est le slasher le plus terrifiant que j'ai pu voir. Pourtant, ce n'est pas un slasher. Voilà le genre de choses que j'écris.
Le tueur du film le devient pour venger sa femme, il est aussi une victime.
Oui mais le véritable tueur, c'est la jeune femme.
Aussi.
La victime est aussi le personnage mauvais de l'histoire. C'était vraiment excellent. C'est le genre de choses que j'essaie de faire. Et si j'arrive à faire quelque chose d'aussi bon, je serais heureux.
On retrouve aussi cette idée des inversions des rôles dans THE NEIGHBOUR ZOMBIES, le film coréen en compétition, et il se sert de cette idée de manière à parler de la difficulté de pardonner...
Oui, c'est plutôt malin. D'ailleurs, au début, le film ne donnait pas l'impression que l'on allait dans ce genre de direction. C'était plutôt basique. La deuxième partie du film propose d'ailleurs déjà une approche intéressante du genre. J'ai vraiment bien aimé ce film. Particulièrement le dernier segment que vous évoquez. Car vous savez, je pense que leur film va directement au cœur du sujet. Car, à mon sens, les films de morts-vivants parlent d'isolation et du fait d'être différent. Mais dans le cas présent, la dernière partie ne parle plus vraiment d'être un mort-vivant mais du préjudice occasionné.