Dracula réclame sa fiancée, c'est le message que véhiculent les adorateurs du maître, regroupés dans la secte des «Parallèles» : il y a Triboulet le nain, la folle de la tour qui, la nuit venue, se change en ogresse, et la Louve écarlate, tous prêts à célébrer l'union de leur maître. Les religieuses de l'Ordre de la Vierge Blanche sont mises à contribution : elles gardent jalousement la jeune fille dans un hôtel parisien et la sépulture du Maître sur les îles Chausey. Le professeur, un médium, et Éric mènent l'enquête et tentent de sauver la jeune femme des griffes du vampire en se heurtant à tous ces êtres démoniaques.
Les années 90 voient le retour de Jean Rollin au cinéma d'horreur avec LES DEUX ORPHELINES VAMPIRES en 1997, qui succède à KILLING CAR, et LA FIANCÉE DE DRACULA, son dernier film en date (réalisé en 2000) dans lequel il se mesure enfin au mythe suprême du cinéma fantastique, tant exploité, entre autre, dans les productions de la Hammer. Ses derniers films reprennent les thèmes, les situations des premiers films du cinéaste mais développent un pan plus littéraire de son œuvre.
LA FIANCÉE DE DRACULA surprend surtout par la diversité de ses situations, de ses lieux. Si les premiers films de Rollin se déroulaient dans un nombre très limité de lieux (qui se retrouvaient d'ailleurs d'un film à l'autre), l'intrigue de LA FIANCÉE DE DRACULA multiplie les endroits qui sont bien sûr autant de références explicites à l'univers du cinéaste, mais qui, gouvernés par une écriture très littéraire, font une empreinte forte dans le récit. Ils marquent à chaque fois la transition entre les séquences : c'est plus le lieu qui fait figure d'unité narrative qu'un autre élément du récit. Il s'agit pour Rollin de rendre hommage à la littérature qui l'influence : Gaston Leroux (l'auteur des phrases mystérieuses citées par la fiancée de Dracula), ou plus généralement les romans-feuilleton du XIXème siècle, mais aussi la série Harry Dickson de Jean Ray, dont Rollin avait tenté de réaliser une adaptation dont il reste un essai (LA GRIFFE D'HORUS, présent par exemple sur le DVD allemand des RAISINS DE LA MORT).
L'aspect littéraire du film ne s'illustre pas seulement par ces références à de grands ancêtres de la littérature populaire. Dans ses films des années soixante-dix, Rollin laissait libre cour à l'improvisation dans sa réalisation mais aussi dans les dialogues : il en ressortait une impression d'amateurisme qui lui valait les critiques les plus violentes : dans LA FIANCÉE DE DRACULA il ne reste plus de place pour l'improvisation : tous les dialogues sont écrits au cordeau dans une langue lettrée, assez contraignante cette fois-ci pour les acteurs. Ils usent alors d'un ton déclamatoire théâtral et surprenant. En outre, la trame scénaristique est celle du roman d'apprentissage, où le jeune héros, Éric, doit surmonter les épreuves successives symbolisées par l'apparition des monstres de la secte. Bien qu'aidé dans sa quête par le Professeur, il ne pourra cependant pas venir à bout du monstre ultime, le comte Dracula.
Sur cette texture de roman-feuilleton, enrichie de tonalités différentes, aventure exotique et horreur gothique principalement, Jean Rollin greffe des situations évocatrices de ses opus des années soixante-dix, qui sont presque primordiales par rapport au propos : la pendule sur la plage de Pourville lès Dieppe est une citation de la scène finale de LA VAMPIRE NUE, la fiancée enchaînée aux poteaux de la plage est telle la suppliciée dans la deuxième partie du VIOL DU VAMPIRE… Il prend encore plaisir à insérer des situations érotiques (liées surtout au personnage de la morte vivante incarnée par Sandrine Toquet) ou des situations proches de la comédie burlesque (le massacre de tous les protagonistes par les nonnes, durant lequel le nain s'écrie «Ces nonnes sont complètement folles !»), faisant écho en cela aux œuvres surréalistes. Il s'appuie en outre sur l'univers de Bunuel : les derniers plans montrant la vieille à la plage, sur son fauteuil, écoutant la violoniste sont une citation avouée au CHIEN ANDALOU. Mais Rollin n'emprunte pas seulement quelques images au cinéaste espagnol, il puise dans l'œuvre de l'auteur du CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE tout un ton anticlérical qui s'exprime à travers les personnages des sœurs de l'Ordre de la Vierge Blanche (parmi lesquels l'œil averti reconnaîtra Cathy Castel, l'une des actrices de Rollin dans les années 70 : LA VAMPIRE NUE, LEVRES DE SANG…).
Par de nombreux détails humoristiques, Rollin caricature la religion (le briquet-Jésus musical, la toile proclamant "Ni Dieu Ni Maître", la nonne s'écriant "C'est la lutte finale…" ou l'improbable danse maure au cœur du monastère), et cette critique culmine dans la scène où les «Parallèles», menés par Brigitte Lahaie dans le rôle de la Louve, abattent une sœur et lui arrachent le cœur à coup de piolet, tandis que la morte vivante se nourrit du sang d'une autre.
Avec ses deux derniers films, Rollin fait certes appel à une équipe renouvelée mais il utilise également des visages habituels de son cinéma : Cathy Castel et Brigitte Lahaie (RAISINS DE LA MORT, LA NUIT DES TRAQUÉES), bien sûr, mais aussi Nathalie Perrey (LA ROSE DE FER, LEVRES DE SANG) et Bernard Musson (LA VAMPIRE NUE mais aussi LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE de Bunuel) qui apparaissent en un vieux couple de sorciers sanguinaires. La musique est de nouveau supervisée par Philippe d'Aram, auteur de plusieurs B.O. des films de Rollin à la fin des années 70 et durant les années 80 (FASCINATION, LA MORTE VIVANTE, PERDUES DANS NEW YORK). Cerise sur le gâteau, Jean Rollin lui-même fait une apparition au début du film : il pousse le fauteuil d'un mourant dans un cimetière.
Ce disque fait partie de la collection Jean Rollin qui compte une dizaine de titres édités par L.C.J. et distribués depuis quelques temps par un magasin de VPC. Les DVD de cette collection sont projetés pour la vente au public dans le courant de la rentrée 2003.
Le dernier film de Jean Rollin bénéficie avec cette édition d'une copie à peine correcte eu égard au peu d'années qui se sont écoulées depuis sa sortie en salle : elle souffre de nombreux picots blancs. De plus, le transfert n'est pas exempt de défauts : une pixellisation très gênante envahit l'écran à trois minutes du début du film. L'image est au format 4/3 (dans un ratio de 1.66:1) ; le son n'est proposé qu'en mono et bien évidemment, seule une version française non sous-titrée est disponible.
Les disques de la collection offrent tous les mêmes bonus et utilisent la même présentation. Les bandes-annonces font un rapide tour du meilleur de Jean Rollin (ou du moins du plus marquant) mais on peut regretter qu'elles soient presque identiques sur tous les disques (elles sont enchaînées en un seul programme heureusement chapitré, ce qui permet l'accès direct à une bande annonce). Même remarque pour l'interview, proposée en ratio 1.77:1 ; elle apporte néanmoins quelques précisions intéressantes sur le travail de Rollin, et sur sa propre perception de son travail.
Si LA FIANCÉE DE DRACULA n'a pas le goût suranné des réalisations des années soixante-dix de Jean Rollin, ni l'aura des réalisations de la Hammer traitant du même mythe fantastique, c'est cependant un métrage dans lequel le cinéaste mélange des ingrédients connus de son public à une tonalité plus littéraire ou, par instants, burlesque. Il est regrettable que ce film, une curiosité pour les inconditionnels, ne bénéficie pas d'une meilleure édition, tant en ce qui concerne la qualité que les bonus : la bande-annonce de LA FIANCÉE DE DRACULA ne figure même pas sur le disque !