Dès ses années lycéennes à Liverpool, Clive Barker s'implique dans la création d'une troupe de théâtre. Il rencontre l'acteur Doug Bradley, et commencent alors, pour eux, dix années de créativité, dont il reste, aujourd'hui, le court-métrage SALOME (d'après la pièce d'Oscar Wilde, tourné en pellicule 8mm) et le moyen métrage THE FORBIDDEN (en 16mm), tous deux réalisés par le futur écrivain. Quand bien même ces jeunes artistes ont du mal à s'imposer au public et à la critique, l'aventure continue jusqu'à 1982. Alors qu'ils commencent à rencontrer des petits succès, par exemple avec "Frankenstein in love" (se revendiquant comme un spectacle "Grand Guignol", et dans lequel Bradley est le professeur Frankenstein), puis "The secret life of cartoons" (où le futur interprète de Pinhead incarne un lapin de dessin animé parvenant à s'échapper du monde des cartoons pour intégrer la réalité), Barker décide de se consacrer, seul, à une activité d'écrivain.
Dès 1984, il publie un recueil de nouvelles, le premier "Livre de sang", et c'est en 1985, avec le roman "Le jeu de la damnation", admiré par Stephen King, qu'il devient un auteur majeur de la littérature fantastique international. Au même moment, il signe un accord avec la compagnie anglaise Green Man Production afin que celle-ci adapte au cinéma certaines de ses histoires. George Pavlou signe alors successivement deux films supposés s'inspirer des œuvres de Barker : UNDERWORLD et RAWHEAD REX, distribués directement en vidéo en France. L'écrivain s'avoue très déçu, particulièrement par UNDERWORLD dans lequel il ne reconnaît plus son travail. Plutôt que de rompre avec le milieu du cinéma, il prend le problème à bras le corps et projette de mettre lui-même en scène un film réalisé par ses propres soins. Il décide d'adapter son roman "The Hellbound Heart".
Comme producteur, il choisit Christopher Figg, qui avait auparavant travaillé à des postes d'assistant réalisateur, sur LA ROUTE DES INDES de David Lean, par exemple. Les deux hommes réunissent une équipe de techniciens expérimentés, comme le monteur Richard Marden (MALPERTUIS, THE HOUND OF THE BASKERVILLES de Paul Morrissey…), le chef opérateur Robin Vidgeon (qui avait été, jusque-là, assistant, sur ROLLERBALL ou INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT…) et le superviseur des effets spéciaux Bob Keen (L'EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, KRULL, LIFEFORCE…). Mais le cinéma britannique est alors en plein crise, et les financements sont très difficiles à trouver. C'est finalement la compagnie américaine New World Picture qui apporte la mise de départ. Elle n'hésite pas à augmenter cette somme en cours de tournage, au vu de la qualité des premières scènes tournées, afin de rajouter des séquences à effets spéciaux. Pour donner une tonalité plus américaine au film, on recrute des comédiens en provenance des Etats Unis, comme la débutante Ashley Laurence ou l'acteur confirmé Andrew Robinson (le sadique qui terrorise San Francisco dans L'INSPECTEUR HARRY…). Le casting fait aussi appel à des britanniques alors peu connus, comme Doug Bradley dans le rôle du chef des cénobites (affectueusement surnommé Pinhead, "tête d'épingle", par l'équipe de Bob Keen, patronyme avec lequel ce monstre rentrera dans l'histoire du cinéma fantastique).
Suite à des problèmes d'argent, Larry s'installe dans la demeure de sa famille, laissée à l'abandon depuis des années. Accompagné de sa fille Kirsty et de son épouse Julia, il emménage dans la vielle bâtisse, et y découvre que son frère Frank, un vaurien, y a laissé des déchets plein sa chambre. Ce qu'ils ignorent, c'est que Frank a en fait été emporté dans une dimension parallèle par d'étranges créatures, les cénobites, qu'il a convoqué à l'aide d'un étrange casse-tête magique. Au cours du déménagement, Larry se blesse à la main. Son sang se répand sur le sol de la chambre de son frère, ce qui a pour conséquence de ramener à la vie ses restes, dissimulés sous le plancher. Frank, dont Julia était la maîtresse, contacte sa belle-sœur et lui demande de faire venir dans la demeure des inconnus, afin qu'il puisse utiliser leur sang pour se régénérer…
A première vue, HELLRAISER a tout d'un produit typique des années quatre-vingt. S'inscrivant dans un cadre contemporain, il met en scène une famille apparemment classique, avec son incontournable adolescente, rappelant autant la Laurie Strode de HALLOWEEN que Nancy Thompson dans LES GRIFFES DE LA NUIT. Passée cette mise en place, Barker prend pourtant ses distances avec le slasher américain en se concentrant avant tout sur Julia, la belle-mère de Kirsty. Au lieu d'adopter le point de vue de la jeune fille, HELLRAISER se place dans la perspective de Julia, dont tous les secrets et l'état d'esprit nous sont révélés par des flash-back, et se veut avant tout la peinture d'une passion tout à fait adulte.
Le véritable moteur de HELLRAISER est la passion qu'éprouve cette femme, sexuellement frustrée par un mari trop sage, pour son beau-frère, un débauché, un marginal constamment à la recherche de nouveaux plaisirs. Cette passion purement physique va la mener à céder à l'odieux chantage de son amant d'outre-tombe, celui-ci lui promettant de s'enfuir avec elle une fois que son corps sera entièrement reconstitué. En effet, l'état de Frank étant celui d'un écorché plus ou moins frais, il lui est impossible de se déplacer hors de son repaire, et il charge sa maîtresse de lui apporter des victimes, des hommes qu'elle drague en ville, afin qu'il puisse se repaître de leur énergie vitale. Julia sera finalement récompensée lorsque, Frank ayant achevé de se reconstruire, il pourra s'accoupler avec elle, en une étreinte brutale, bien éloignée des minauderies gentilles du pauvre Larry.
Mais Frank est pressé par le temps. Car, si il a réussi à échapper temporairement aux cénobites, ceux-ci vont bien finir par se rendre compte de sa fuite et se lanceront sur ses traces. Les cénobites sont, en fait, une étrange confrérie démoniaque, habitant une dimension parallèle (à moins que ce ne soit l'enfer ?), dimension à laquelle on ne peut accéder qu'en manipulant un étrange artefact : la "configuration des lamentations", un cube étrange, au sein duquel travaille un mécanisme maléfique. Tentateurs, ces démons promettent aux humains des souffrances immenses et indescriptibles ; les amateurs de sensation extrême, comme Frank, les masochistes qui cherchent le plaisir dans la souffrance, ne peuvent être qu'attirés par cette ultime promesse. Mais suite à cette expérience hors du commun, le mortel qui s'adonne aux cruels délices des cénobites reste captifs, pour l'éternité, de leur univers démoniaque…
HELLRAISER frappe par ses choix visuels, tendant vers une atmosphère gothique. L'action se déroule essentiellement dans des intérieurs plutôt lugubres, tandis que les extérieurs sont presque toujours de nuit, ou alors baignent dans une ambiance morne et brumeuse. La puissante bande sonore, composée par Christopher Young, joue la carte de la solennité, rappelant les musiques signées par James Bernard pour la Hammer. Les thèmes du film eux-mêmes semblent renvoyer aux classiques gothiques : comme au temps du CAUCHEMAR DE DRACULA, la sexualité hors des normes sociales est perçue comme maléfique, liée aux forces infernales, et elle conduit, à plus ou moins long terme, à la damnation éternelle. Lucy attendait avec un mélange d'appréhension et d'impatience la visite de Dracula ; Julia se livre, elle aussi, dans les griffes du troublant, mais dangereux, Frank.
Sur ce fond gothique bien anglais, Clive Barker parvient à ajouter des rehauts éminemment modernes. Ses démons sont bien éloignés des diables classiques, avec petites cornes et barbichette. S'inspirant à la fois de certains artistes modernes (Francis Bacon notamment), il crée des monstres dont le look s'inspire de sources variées, souvent contemporaines, comme l'imagerie sado-masochiste, ou des éléments venant de cultures punks, gays, ou tribales, particulièrement en ce qui concerne les piercings et autres décorations corporelles. Le résultat est superbe, Barker ayant réussi à créer un bestiaire fantastique radicalement nouveau, devenu immédiatement classique. De même, les scènes de mutation de Frank, particulièrement sa renaissance, donnent dans une viscosité répugnante et sans détour, plongeant le spectateur dans un univers où le spectacle de la chair en constante mutation n'est pas sans rappeler les films de Cronenberg ou les horreurs de THE THING.
HELLRAISER s'avère une très bonne réussite, brassant, dans un scénario ambiguë et foisonnant, des trouvailles sidérantes. Les seules réserves pouvant être faites à son égard sont liées à son budget trop limité, dont pâtissent, hélas, certains passage et maquillages (Kirsty évoluant dans l'univers des cénobites, par exemple). Certains points du scénario, liés aux créatures démoniaques, restent aussi un peu flous. N'ayant coûté que peu d'argent, HELLRAISER connaît un beau succès aux USA, à la grande satisfaction de New World qui lance aussitôt le tournage d'une suite : HELLRAISER II, LES ECORCHES, pour lequel Clive Barker se contente d'écrire l'histoire de départ et d'être producteur. Dans HELLRAISER, les cénobites n'apparaissent que relativement peu, bien moins que "Oncle Frank" par exemple. Pourtant, leur chef Pinhead va orner les affiches du film dans le monde entier, et devenir instantanément une icône du cinéma gore des années 1980, au même titre que Freddy Krueger, Ash ou Jason. En France, il est sélectionné pour le Festival d'Avoriaz, où il gagne le prix spécial de la Peur !
Dès l'époque du laserdisc, HELLAISER connaît plusieurs éditions, la plus marquante étant un collector américain incluant un commentaire audio de Clive Barker, des copies du scénario à différentes étapes de son développement et de nombreux suppléments (galerie de photographies, story board…). En DVD, ce titre est d'abord disponible dans des éditions médiocres, en Grande-Bretagne (recadrage plein écran) et aux USA (mauvaise qualité d'image). Puis, ces deux pays ressortent le film dans des versions plus acceptables. Ainsi, Anchor Bay USA propose un nouveau transfert THX du film, accompagné d'un commentaire audio de Clive Barker et Ashley Laurence. Mais cette édition est appelée à devenir obsolète, puisque Anchor Bay Grande-Bretagne vient de sortir un somptueux coffret "ultime", réunissant les trois premiers volets de la saga, ainsi que les essais cinématographiques du jeune Clive Barker : SALOME et THE FORBIDDEN.
Toutefois, toutes ces éditions ne contiennent aucune option rendant ce titre accessible aux francophones. Il nous reste toutefois un DVD français, sorti par TF1 video, en 2000.
Proposant le film dans un cadrage panoramique 1.77 (proche du cadrage 1.85 d'origine), ce télécinéma bénéficie de l'option 16/9. Toutefois, le résultat n'est pas parfait. L'image semble un peu tronquée sur le côté gauche, tandis que les contrastes et la définition manquent de subtilité. De plus, la compression a tendance à s'emmêler les pinceaux dans les scènes sombres, assez fréquentes dans ce film. Certes, le résultat reste regardable, notamment grâce à des couleurs relativement naturelles, mais il est aussi très perfectible.
La bande-son anglaise est restituée dans son mixage Dolby Surround d'origine, tout comme la version française. Les deux sonnent de façon acceptable, malgré quelques poussées de souffle un peu gênantes. Les sous-titres français sont imposés sur la version originale.
Cette édition propose quelques suppléments, parmi lesquels une petite featurette promotionnelle de cinq minutes, au cours de laquelle sont interviewés Bob Keen, Clive Barker et des acteurs du film. On peut aussi consulter quelques photos de l'élaboration des effets spéciaux, les bandes-annonces de HELLRAISER et HELLRAISER II, LES ECORCHES, ainsi que des biographies soignées des comédiens Ashley Laurence, Andrew Robinson, Doug Bradley et Clare Higgins. Clive Barker a le droit, en plus de sa biographie, à une filmographie détaillée.
Bien que globalement convenable, cette édition souffre tout de même d'une qualité d'image moyenne. Elle n'en reste pas moins la seule à proposer des sous-titres et un doublage français.