Elvis n'est pas mort. Lassé par la célébrité, ce dernier a échangé son identité avec celle d'un imitateur de province. L'usurpateur trépassé, plus personne ne croit notre bon vieux Elvis lorsqu'il s'escrime à défendre sa véritable identité. Le voilà vieillissant, pétri de remord et de ressenti, retranché dans une maison de retraite en plein Texas. C'est alors qu'une momie décide de prendre d'assaut l'établissement afin de se nourrir d'âmes humaines. Aidé par son ami de chambrée persuadé d'être le véritable John Fitzgerald Kennedy (croyant qu'un odieux complot l'a peint de couleur noire pour mieux l'exclure), Elvis va tenter de rattraper le passé en accomplissant une dernière action glorieuse.
Don Coscarelli est un réalisateur franchement atypique du paysage fantastique. Il devient à 19 ans le plus jeune réalisateur distribué par un studio lorsqu'il vend son petit film indépendant JIM THE WORLD'S GREATEST à Universal. PHANTASM, son troisième film, marque la révélation de cet auteur hors norme avec une histoire étonnante, mélangeant trouble onirique et chronique intimiste sur l'adolescence avec beaucoup d'audace. Le départ d'une grande carrière ? Curieusement non. Il met trois ans avant de donner de ses nouvelles avec DAR L'INVINCIBLE, puis sept pour donner une suite à son oeuvre de gloire avec PHANTASM 2 sous la demande pressente d'un studio. Il avoue à l'époque avoir accepté cette séquelle pour redevenir «bankable», et ainsi relancer sa carrière sur des bases plus personnelles. Et ça ne fonctionne toujours pas. L'homme poursuit depuis ses deux franchises en alternance, au scénario pour les deux séquelles de DAR, au scénario et à la réalisation pour les deux autres séquelles de PHANTASM.
Don Coscarelli est-il l'ultime cinéaste indépendant, ou l'un de ces nombreux cinéastes maudits condamnés à s'enfermer ad vitam dans ses propres oeuvres sous l'égide d'une industrie trop limitée pour intégrer ses inspirations hors normes ? Toujours est-il que la série des PHANTASM constitue une franchise extrêmement à part dans le paysage fantastique (quand bien même la qualité des opus n'est pas homogène), et que cette dernière possède de nombreux fans. Parmi ces derniers, Roger Avary, co-scénariste de PULP FICTION et auteur de l'abrasif KILLING ZOE, va jusqu'à écrire spontanément le script d'un hypothétique cinquième opus, PHANTASM'S END. Très ambitieux, le projet ne cesse d'être abandonné et réactivé pour des raisons financières. Sans aucun doute une nouvelle et longue arlésienne pour le genre (un site est même dédié à ce film fantôme : www.phantasmsend.com).
En signant BUBBA HO-TEP, Coscarelli casse sa routine et nous livre un film bien intriguant au pitch totalement improbable. Le film est tiré d'une nouvelle de Joe R. Lansdale, auteur à part qui donnait jusqu'à présent des cauchemars aux producteurs malgré le grand intérêt porté à l'oeuvre de l'écrivain par quelques metteurs en scène de premier plan (David Lynch, Ridley Scott entre autres). Pour égratigner la figure mythique qui sert de personnage principal à l'histoire, soit Elvis Presley en personne, Coscarelli mise sur Bruce Campbell, un comédien adoré pour son rôle de gloire dans la saga des EVIL DEAD sans pour autant avoir réellement pu proposer depuis de performances aussi marquantes. A bien y réfléchir, Bruce Campbell et Don Coscarelli sont comme des alter ego si l'on compare leurs carrières respectives. Leur association va du coup provoquer des étincelles.
Daté de 2002, BUBBA HO-TEP tourne depuis un moment dans les festivals du monde entier, créant de ce fait un buzz quasi unanime et encourageant les distributeurs mondiaux à tenter de distribuer ce petit joyaux pourtant parfaitement invendable. Le film se fit ainsi remarquer entre autres au festival de Toronto, de Hong Kong, de Gérardmer, au Bifff (voir à ce propos une interview de Don Coscarelli dans notre dossier consacré à l'édition 2003). Ce n'est que justice, car cet étrange film que l'on n'attendait pas est une très grande réussite. Le titre souffle horreur et comédie tout en insistant sur une sorte d'introspection dramatique, point d'orgue inattendu de cet ovni très touchant avant d'être délirant.
BUBBA HO-TEP s'ouvre pourtant calmement, en se centrant sur le personnage d'Elvis, cloué au lit de son hospice, nourrissant le gâchis de son existence (à s'être fait passer pour un sosie, personne ne croit plus en sa vraie identité) et le grand traumatisme de voir son sexe parasité par une odieuse protubérance. Le fantastique vient s'immiscer discrètement dans le morne quotidien du personnage, avec des morts un peu trop nombreuses pour être honnête (quand bien même sommes nous dans un hospice), puis l'apparition d'un étrange insecte qui provoquera une séquence de lutte qui n'est pas sans rappeler une scène similaire dans le premier PHANTASM. Enfin, l'entrée en scène de la momie à mi-parcours du film lèvera toute ambiguïté sur l'appartenance de BUBBA HO-TEP au genre. Curieusement, c'est au stade où l'élément horrifique est totalement dévoilé que le film consolide ses ambitions dramatiques et sa géniale empathie pour ses personnages.
Le grand talent de BUBBA HO-TEP est là. Assumer pleinement son argument de film de genre tout en parvenant parfaitement à faire exister son message introspectif et sa peinture de personnages de ratés magnifiques. C'est dans son combat contre la momie que Elvis va tenter de retrouver sa dignité d'antan, de regagner le nom qu'il a lui-même perdu. Ce dernier va faire équipe avec un voisin de chambrée (extraordinaire Ossie Davis, comédien pourtant de registre classique), qu'une folie douce l'oblige à croire qu'il est l'ancien président Kennedy. Un ressort d'abord comique qui vire au touchant dès lors que le film refuse de confronter le personnage à la réalité, le présentant toujours avec l'aura de son identité fantasmée (Elvis l'appellera systématiquement président dans la deuxième partie du film). Ce duo entre un vrai faux Elvis et un faux vrai Kennedy clarifie parfaitement le propos du film, soit un regard doux amer sur la quête du soi profond que la proximité de la mort rend paradoxalement vitale.
Très riche, BUBBA HO-TEP est aussi très drôle. Le film prend son histoire et sa galerie de personnages très au sérieux et crée de ce fait un irrésistible décalage. De l'enquête souterraine d'Elvis et de Kennedy en plein hospice (fondée sur une logique parfois particulière), aux méthodes de la momie pour aspirer les âmes par les orifices de ses victimes (même les plus graveleux), BUBBA HO-TEP offre son pesant de situations cocasses et de dialogues absurdes parfaitement montés en épingle. Bien entendu, la performance des deux comédiens principaux participe beaucoup à la réussite de l'ensemble. Le regretté Ossie Davis, disparu en février dernier, offre une impeccable performance très premier degré, où le doute n'a pas sa place (le comédien est dans la droite lignée des interprétations «officielles» de président à la AIR FORCE ONE). Quant à Bruce Campbell, il décroche enfin un rôle à la hauteur de sa réputation. Outre la figure bien connue d'Elvis Presley, le comédien joue avec sa propre image et le style qui a fait sa gloire de série B (ce dernier détourne d'ailleurs certaines lignes de EVIL DEAD 3 L'ARMEE DES TENEBRES, Ash se faisant lui-même appeler «le King» dans ce dernier).
Discrètement, BUBBA HO-TEP s'impose donc comme une réussite majeure. Un film aux qualités indiscutables mais qui s'impose chez le spectateur à l'affectif, au coup de coeur. Un film adulte, en total contre courant avec ce que le cinéma de genre peut proposer. Le succès mérité que BUBBA HO-TEP récolte aux quatre coins du globe donnerait peut-être prochainement raison au souhait de Don Coscarelli, de fonder une nouvelle franchise sur ce titre. A la fin des crédits déroulant, le film anticipe déjà sa séquelle en annonçant un BUBBA NOSFERATU : CURSE OF THE SHE-VAMPIRES. D'après les maigres informations récoltées, il s'agirait d'une préquelle. Décidément cinéaste du long terme, Coscarelli a même récemment annoncé le titre et le concept d'un hypothétique troisième film, BUBBA SASQUATCH, où Elvis partirait chasser le Bigfoot.
Si BUBBA HO-TEP devrait bientôt montrer le bout de ses bandelettes sur nos écrans de cinéma, le DVD américain du film est quant à lui disponible depuis bien longtemps déjà. Bénéficiant de sous-titres français, ce disque est un excellent moyen de découvrir le film pour les plus impatients, pourvu qu'il bénéficie d'un lecteur multizone. L'image, au format, est d'une qualité dénuée de tout défaut. La piste audio disponible est une version originale en 5.1, parfaitement efficace que ce soit dans les moments forts ou plus introspectifs.
Le disque se pare d'une liste de bonus agréablement fournie pour un film aussi particulier. Un premier commentaire audio réuni Don Coscarelli et Bruce Campbell pour un visionnage commun. Si le duo évite de partir dans des tergiversations trop pointues (malgré les multiples lancements de Campbell sur la réalisation de quelques plans à effets photographiques, une déformation de ses interventions sur les éditions des EVIL DEAD sans doute), le commentaire trouve rapidement son rythme entre anecdotes et convivialité. On se retrouve très vite à partager un bon moment dans ces propos sobres et pourtant très enthousiasmants. Un second commentaire donne cette fois la parole au King lui-même. Bruce Campbell rejoue donc son personnage pour nous et pour une piste plus gag qu'autre chose. Si l'idée est amusante sur les premières minutes (le King se gavant de junk food plus que de raison en parlant), on se lasse vite d'écouter ces improvisations à la bouche pleine.
Une série de mini-documentaires nous propose de découvrir les coulisses du film. Un classique Making Of brosse rapidement la production, dans une alternance d'interviews et d'images de tournage. On retiendra plus volontiers le long passage dédié à la performance d'Ossie Davis, que sa récente disparition teinte d'une émotion particulière. Trois autres petits modules sont visibles à part afin de mieux s'attarder sur des points précis. Bien entendu, un premier détour obligé nous arrête dans les locaux de KNB pour la fabrication de la momie. Beaucoup plus passionnant, le deuxième module se voit entièrement consacré aux costumes du film et au défi de recréer les ensembles babyloniens d'Elvis avec un budget serré. Beaucoup d'astuces nous sont ainsi explicitées par un secteur bien souvent ignoré des Making Of. Le dernier petit documentaire est une interview du compositeur Brian Tyler par Don Coscarelli lui-même. Le jeune compositeur, tout juste remarqué pour sa musique de l'indépendant SIX STRING SAMOURAI, livre toutes ses méthodes encore hors normes pour un entretien riche et sans temps morts.
Outre des bandes-annonces et autre galerie photographique, le disque propose deux scènes coupées plutôt dispensables (ainsi que des images brutes des flashes égyptiens). Heureusement, le commentaire optionnel de Coscarelli et Campbell parvient à replacer ces courtes séquences dans leur contexte en apportant ainsi un éclairage non désagréable à ces chutes de montage. Dernier bonus digne d'intérêt, l'écrivain Joe R. Lansdale nous fait la lecture du premier chapitre de la nouvelle à l'origine de BUBBA HO-TEP. Illustré par des images du film retouchées numériquement, ce module nous laisse apercevoir à quel point le film est fidèle à son origine littéraire. Bien entendu, il faudra savoir tendre l'oreille pour déchiffrer le lourd accent du sud de l'auteur, ce bonus comme aucun autre n'étant sous titré en français. Dernier petit cadeau, un fascicule introduit par Bruce Campbell et bourré de photos de production accompagne cette édition décidément bien remplie.
Film ovni par excellence, BUBBA HO-TEP n'est pourtant pas un maelström de n'importe quoi dopé à l'ironie. Au contraire, c'est une oeuvre posée, souvent drôle, parfois très émouvante dans sa peinture de la vieillesse ou de son personnage de King raté, en pleine quête intérieure pour tenter de trouver un semblant de sens à son existence si déconcertante. Cette excellente édition Zone 1 du titre aura raison des plus impatients, tandis que le film est prévu pour une sortie cet été (2005) sur nos écrans français.