Mary Gibson est une jeune pensionnaire d'un institut privé. On lui annonce que ses frais d'études ne sont plus assurés depuis des mois et que sa soeur Jacqueline, son seul lien familial, est introuvable. Inquiète, la jeune fille décide coûte que coûte de partir à sa recherche, sans savoir dans quoi elle va mettre les pieds…
Au début des années 40, la RKO charge Val Lewton de produire des films d'horreur à petit budget. Cette impulsion donnera notamment lieu à la célèbre trilogie de Jacques Tourneur (LA FELINE, VAUDOU et L'HOMME LEOPARD). C'est ainsi sous cette égide que Mark Robson débute sa carrière de réalisateur en 1943 avec LA SEPTIEME VICTIME. Ce dernier a auparavant endossé diverses fonctions comme celle de monteur sur les trois titres de Tourneur précédemment cités. Sa collaboration avec Val Lewton s'oriente alors naturellement vers l'épouvante avec par exemple LE BATEAU FANTOME, L'ILE DES MORTS ou BEDLAM. Avec près de trente longs métrages, il s'essaiera aussi à d'autres genres comme le film de guerre avec LES PONTS DE TOKO RI, le film d'aventure avec L'AUBERGE DU SIXIEME BONHEUR ou le film catastrophe avec TREMBLEMENT DE TERRE.
Quelques notes sur l'équipe de LA SEPTIEME VICTIME : De Witt Bodeen au scénario était déjà de la partie pour LA FELINE. La photographie est dirigée par Nicholas Musuraca, spécialiste des jeux de lumière expressionnistes distingués dans l'oeuvre de Jacques Tourneur. En clin d'oeil, l'acteur Tom Conway reprend le rôle du Dr Judd qu'il interprétait déjà dans LA FELINE. Par ailleurs, Kim Hunter (la jeune Mary Gibson) sera l'épouse de Marlon Brando dans UN TRAMWAY NOMME DESIR mais, dans le genre qui nous intéresse, elle apparaîtra aussi en chimpanzé dans les trois premiers PLANETE DES SINGES.
LA SEPTIEME VICTIME n'est pas véritablement un film d'épouvante ou fantastique même s'il s'aventure dans les milieux occultes. Il en ressort surtout un drame policier mâtiné de mystère. Règne donc une ambiance de film noir, alors en essor, s'écartant toutefois de l'aspect parfois glamour de ce genre pour se focaliser sur l'angoisse (l'inquiétude de l'héroïne face à la disparition de sa soeur, l'anxiété sociale de la disparue). Le métrage dégage ainsi un ton fortement pessimiste avec une notion de mort très présente.
C'est donc en enquêtant sur la disparition de sa soeur que Mary se retrouve nez à nez avec une confrérie sataniste. Le Palladisme, dont il s'agit ici, est un mouvement luciférien lié à la franc-maçonnerie et issu de la seconde moitié du 19e siècle. Ses membres vouent un culte à Baphomet, un démon au corps humain, à tête de bouc et pourvu d'ailes. Les partisans déçus par la religion rallient ce type d'organisation par opposition face au mensonge, à l'hypocrisie du christianisme à leurs yeux. Ici, l'Ordre nous est présenté régi par des codes de valeur propres tels que la non-violence. Toutefois, dans LA SEPTIEME VICTIME, on est bien loin des rituels sacrificiels, des messes noires et de la débauche connotés par ce genre d'histoires.
Tout reste donc dans la suggestion de l'inquiétant et ce que l'apparente «normalité» de la vie quotidienne pourrait abriter. Le salon de beauté cosmétique "La Sagesse" est la couverture de cette secte diabolique. A la manière de films tels que LE SECRET DERRIERE LA PORTE, la clé de l'énigme se trouve enfermée dans de fameuses pièces secrètes. Le mystère, et par ailleurs les angoisses, tombe malheureusement bien vite alors que c'est lui qui entretient notre intérêt. Le ressenti de la menace repose énormément sur la mise en scène avec une atmosphère oppressante et l'installation de la méfiance. Les passagers du métro new-yorkais deviennent tout à coup des personnes douteuses et, par ailleurs, les véritables intentions du Dr Judd apparaissent nébuleuses.
Le film relate ainsi l'histoire d'une personne enrôlée dans une secte et qui ne peut s'en défaire sous peine de mort (selon la loi du silence). Il suit parallèlement le parcours évolutif de deux soeurs. Jacqueline, la disparue, est belle, remarquée et dirigeante d'une société de cosmétiques. Elle est décrite comme une personne mystérieuse avec un goût de l'aventure. Le développement de l'action fera ressortir la faiblesse psychologique de cette première. Pendant que l'une sombrera dans la dépression, l'autre s'ouvrira à la vie, et à l'amour, en découvrant le monde hors du cocon académique. Et sous son allure initialement enfantine, Mary saura se montrer très déterminée.
La fuite finale de Jacqueline reflète tout à fait les tourments de son esprit et la confusion mentale dans laquelle elle se trouve : seule dans le noir, perdue et apeurée. Cette fuite dans les ruelles sombres vaguement éclairées par des réverbères rappelle d'ailleurs fortement une scène similaire dans LA FELINE de Tourneur tourné l'année précédente. Même procédé, même technique de frayeur : silence et bruit soudain d'un couvercle de poubelle qui tombe ou d'un crissement de pneus.
Etant donné les moyens et le temps réduits, pas de risque inconsidéré : LA SEPTIEME VICTIME s'appuie essentiellement sur une machine déjà rôdée ailleurs. Robson reprend les ingrédients de mise en scène qui ont fait le succès de l'oeuvre de Tourneur. A savoir, le sens de la suggestion ainsi que le travail sur les ombres et la lumière du directeur de la photographie Nicholas Musuraca. Exit les effets grandiloquents risquant de faire sombrer le navire dans le ridicule, le métrage reste sobre : au cours d'une scène, l'héroïne sous la douche voit s'avancer une silhouette menaçante à travers le rideau, l'idée sera réinterprétée une vingtaine d'années plus tard par Alfred Hitchcock dans PSYCHOSE.
On ressent cependant les limites de cet aspect implicite. Le brin de romance ajouté à l'intrigue est ainsi atténué. On regrette la retenue des sentiments : la crainte lors de la fuite de la disparue, l'amour naissant entre Mary et l'avocat Gregory Ward. Les membres de la secte s'avèrent peu effrayants. En outre, certains personnages traduisent quelques clichés : la figure paternaliste quelque peu dépassée en la personne de Gregory Ward exprimant un «boit ton lait» infantilisant.
Le scénario s'avère assez mince, un manque à imputer certainement à la courte durée du film et à son budget qui obligea la suppression de plusieurs séquences à même le plateau de tournage. Certains éléments sont ainsi laissés dans le brouillard : le personnage du Dr Judd reste ambigu, les intentions des Palladistes ou encore le tueur de la poursuite finale. Un bémol est à poser quant au discours final, appuyé par la citation du Notre Père, où la notion du Bien et du Mal est définie comme une « vérité » non argumentable.
Concernant l'aspect technique du disque, l'image manque quelque peu de définition et de contraste. En outre, la compression se fait peu discrète et quelques rayures et poussières apparaissent de temps à autre. La bande sonore présente un léger souffle mais reste très claire. Le DVD propose une version originale avec ou sans sous titres français et malgré les quelques défauts évoqués, le visionnage télévisuel est tout à fait honorable pour un film de cet âge.
L'édition s'ouvre sur une présentation de Serge Bromberg, en passionné, il nous gratifie d'un discours intéressant sur la cellule de production de films fantastiques de Val Lewton qu'avait décidé de créer la RKO pour contrer le monopole d'Universal dans ce genre. Cette introduction au film se déclenche directement au démarrage du disque et est accessible en individuel dans le menu par la suite.
LA SEPTIEME VICTIME a été ombragé par les oeuvres de Jacques Tourneur, et pour cause, il flotte sur ce métrage de forts effluves du style lancé par le réalisateur français. L'intrigue inaboutie pose des éléments de peur et de mystère malheureusement vite évaporés. Il n'en reste pas moins un film appréciable et astucieusement mis en scène. Par les thèmes abordés, à savoir les agissements d'une société satanique et la claustration, qui plus est dans une mégalopole telle que New York, le film de Mark Robson préfigure en quelque sorte l'un des classiques du genre, ROSEMARY'S BABY, que Roman Polanski mettra en scène 25 ans plus tard.