Critique du film
et du Blu-ray Zone 0
THE IGUANA WITH THE TONGUE OF FIRE
1971
Un commissaire aux méthodes musclées (Luigi Pistilli) enquête sur une multitude morts défigurés à l’acide puis à la gorge tranchée dans l’environnement d’un ambassadeur français à Dublin nommé Sobiesky (Anton Diffring). Sa femme fantasque (Valentina Cortese), la belle-fille séductrice (Dagmar Lassander) et le fils éloigné (Werner Pochath) font partie des innombrables suspects où le mobile manque cependant.
Une production italo-franco-allemande (avec les Films Corona, possédés par le rythme de la nuit ou un trop-plein de bière, basés à Nanterre) qui reste curieusement inédite en France. Le film fut un échec en Italie, avec à peine 400 000 entrées, ce qui dut quelque part précipiter la mise au caniveau du film en France, les Gialli étant quasiment tous des désastres financiers dans l’hexagone.
Il y a de l’argent, beaucoup de voyages à travers l’Europe, des scènes audacieuses, des meurtres en rafale, des fausses pistes et indices en abondance et pourtant… tout le film part de travers dès le début et vire à l’absurde total au final. Mais que s’est-il donc passé dans l’oeil de Riccardo Freda et ses producteurs? Au point où le réalisateur, qui n’aimait pas son film, décida de prendre un pseudonyme pour l’occasion, et pas celui habituel de Robert Hampton, mais de Willy Pareto.
Après avoir voulu coller à la mode vieillissante des Krimis, Freda tente de relancer sa carrière affadie par un nouvel échec avec un Giallo, d’inspiration Argento. ne serait-ce que pour le titre animalier, les meurtres extrêmement violents et toute l’iconographie émanant du genre (gants de cuir noir, érotisme, gorges tranchées, etc…) Le réalisateur a pu de ce fait laisser libre cours à ses penchants sadiques déjà bien nourris dans ses longs-métrages d’inspiration gothique. Même si la structure emprunte plus à un autre courant du Giallo - celui dont le héros est un représentant de la loi et non pas un quidam, comme l’affectionnait Dario Argento. Saudf que le mimétisme animal comme parabole extravagante pour recoller au wagon des titres à la mode... il a fallu phosphorer chez les producteurs et c'est TRES capillotracté!
Freda opte pour une ambiance clair obscur des intérieurs. Des éclairages travaillés, sources de lumières précises pour donner de la profondeur au plan. Le directeur photo Silvano Ippoliti se fit d’ailleurs une spécialité de ces couleurs délicates et de ces clairs obscurs, à voir le travail effectué sur CALIGULA, SACCO ET VANZETTI, MAYA ou encore PAPRIKA. Freda rajoute des touches de couleur rouge en extérieur afin de créer des points d’attention, et de tirer l’œil de la grisaille ambiante (ex: 32mn04, 32mn10, 33mn01, la voiture en contre plongée à 56mn59…);
THE IGUANA WITH THE TONGUE OF FIRE est pensé pour le cinéma - Aux scènes de nuit américaine, de clair-obscur élaborés pour le grand écran mais parfois difficiles à regarder sur un petit écran. Des choix de photographie bien plus étudiés qu’on puisse penser pour ce film. Ce qui rappelle à bien des égards le travail de Peter Hyams, aimant justement des plans éclairés judicieusement dans des scènes très sombres comme THE RELIC ou LA NUIT DES JUGES. S’y ajoute une caméra sage dans les échanges de dialogue mais qui sait se réveiller lors de scènes de bagarre: à l’épaule, mobile et fait introduire le spectateur au cœur même des coups de poings donnés. Très bon.
On retrouve les obsessions de Freda sur la fine lame qui sépare beauté et pourriture, défiguration et impacts psychologiques. Une récurrence déjà bien abordée dans LES VAMPIRES ou LIZ ET HELEN, un des cœurs du film, sans parler de ses précédents films gothiques ou autres! Mais avec néanmoins des raccourcis thématiques et sociaux propres aux habitudes narratives du Giallo. Dépravation nichée chez les riches de ce monde, beauté=réussite… tout en étant larvé dans une des formes narratives motrices chez Freda : le mélodrame familial. Qu’il s’agisse du film de cape et d’épée, l’horreur gothique ou le Giallo, le macabre et les relents psycho-maniaques règnent en famille qui se disloque. Élément curieux et atypique: les deux héros (Pistilli et Lassander) n’apparaissent qu’au bout de 20mn de film, sans aucune ligne de dialogue. Le réalisateur diffuse d’ailleurs des éléments incongrus le long du film, comme des plans appuyés de marcheurs dans une mer à marée basse ou encore une facture d’un pressing qui se nommé « Swastika Laundry » (?!). Même si elle a vraiment existé et se base sur la signification hindoue du signe de la croix gamée, il semble plutôt étrange de le mentionner en 1971, aprés ce qu’Hitler et ses sbires en fit comme symbole.
Malheureusement, une mise en scène trop appuyée sur les indices, une avalanche de personnages qui défilent sans âme, apparaissant et disparaissant de manière surréaliste nuisent considérablement au film. Un flagrant manque de finesse dans la construction du récit et une logique qui défie le sens commun. Sans parler des zooms intempestifs, la musique perçante à chaque indice révélé... beaucoup trop démonstratif, Freda singe les mimiques du Giallo et rate totalement son suspense et sa mise en scène de suspense et des meurtres.
Il tire assez peu parti des avantages des décors naturels des lieux de tournage (hormis les falaises irlandaises au bout d’une heure de film. Idem pour la Suisse, où les scènes extérieures dynamisent un récit complexe à outrance mais qui patauge un peu. Cela rejoint toutefois ce désir d’ailleurs que les cinéastes italiens tentèrent de privilégier à la fin des années 60. La Grèce pour LA QUEUE DU SCORPION, les Pays Bas pour LE DIABLE A SEPT VISAGES et donc Dublin et l’Eire pour cette seule et unique fois ici.
Tout comme une des rares fois en Suisse, avec notamment une scène de bobsleigh qui semble reprise du James Bond AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTE: caméra embarquée dans le bob, embardées. Qui se termine ici par un accident dont la maquette fait hélas lancer de playmobil dans la neige artificielle. Un des gros points faibles du film, d’ailleurs: les effets spéciaux. Déjà les maquettes de LIZ ET HELEN prêtaient à rire, ici, hélas cela se termine par le même résultat. Les ferveurs gore du film, comme les jets d’acide en pleine figure ou les égorgements en gros plans, font plus faux qu’autre chose. La valeur de choc ne tient pas la route que c’en est presque risible.
En parlant d’artifices, le film cède aussi aux sirènes de scènes érotiques totalement inutiles (voire franchement limite et gênante avec l’adolescente semi-nue) - Mais vendeuses et quasiment obligatoires aux yeux des producteurs de l’époque. A noter que le film dut être sévèrement coupé à la demande de la censure italienne pour la sortie du film. Notamment la scène de sexe entre Luigi Pistilli et Dagmar Lassander, tout comme certains moments de meurtres.
Les acteurs traversent le film sans paraitre véritablement touchés par les horreurs qui s’y déroulent. La meilleure s’avère Valentina Cortese, bourgeoise ancienne entraineuse, abandonnée par son mari, qui s’exprime à moitié en français. Très professionnelle (un point d’ailleurs bien soulevé par Dagmar Lassander dans son segment) avec une technique d’actrice bien au taquet. Anton Diffring , LA touche de classe et de superbe, ballade son regard et sa présence menaçants avec une facilité déconcertante - mais avec des incongruités énormes, comme l’accident de bobsleigh qui le laisse indemne et peu intéressé par le fait que quelqu’un ait pu saboter l‘engin. incompréhensible. Freda a la réputation d’être odieux avec ses acteurs et exigeant - ce qui lui couta d’ailleurs la place de réalisateur pour LA FILLE DE D’ARTAGNAN suite à ses vifs échanges avec Sophie Marceau - mais on se demande ce qu’il a bien fichu ici, tant les acteurs paraissent parfois désincarnés. Il faut dire aussi que la majeure partie des personnages reste tellement mal écrite, qu’il n’ont du probablement pas pu faire mieux…
Une résolution très Scooby-Doo dans son essence et révélation du coupable aux motivations qui tentent l’absurde pour relier gore et frustration, sexe... avec quelques effets de maquillages grotesques et outranciers qui n’arrangent en rien la crédibilité de l’ensemble. C’est gore, ça fonce dans le décor, exagère à fond - mais pour mieux masquer l’inanité de l’écriture globale du film. L’iconographie reconnue par le public tente de maintenir à flot. Mais clairement, Freda ne sait pas comment définir le rythme, générer le suspense et clarifier... un incroyable bordel scénaristique!
Le film reste médiocre au mieux, appartenant la moitié inférieure des Gialli. De style et de qualité inférieurs à son opus précédent de LIZ ET HELEN, sans parler des enjeux qui ne dépassent pas ( et ne cherchent pa sà depasser) les conventions du genre. Mais comparé à la quasi totalité des Gialli postérieurs à 1973 jusque 1980, THE IGUANA WITH THE TONGUE OF FIRE demeure correctement photographié, maintient un suspens honorable et possède suffisamment de diversification dans les décors et de soin pour maintenir l’intérêt. Il ne mérite certainement pas le dédain à la fois de son propre auteur ou d’autres critiques, mais mérite une certaine réévaluation. Tout en gardant à l’esprit que le film reste un Freda très en-dessous du lot.
Très beau menu animé, rythmé par une sélection habile de musiques du maestro Stelvio Cipriani. Arrow met à disposition le film en format 1.85:1, 1080p, encodage AVC-MPEG 4, sans codage régional et d’une durée complète de 95mn38. Le menu donne accès au lancement du film, 12 chapitres accessibles depuis le menu à des scènes clés du film et non pas bêtement saucissonnées en fraction régulières. Ensuite la large palette de suppléments ainsi que le choix des langues et sous-titrage.
Le Blu Ray de 50 GB présente le film depuis un nouveau master 2K effectué depuis le négatif 35mm original. La partie video se caractérise d’abord part un débit binaire important (35 mbps de moyenne). Une copie relativement propre et quasi exemptes de poussières. Le film avait grandement besoin d’un beau nettoyage, compte tenu des conditions pénibles précédentes dans lesquelles que nous étions obligés de subir pour visionner le film. Cela ne va pas sans quelques soucis. Certains moments restent presque flous (à 4mn37), aux contours imprécis, et à la définition contestable, tout comme des couleurs comme passées. Qui alternent avec d’autres, plus réussis de manière incontestable , comme la sortie du château au début du film, avec les gros plans sur Valentina Cortese, et ses yeux effrayés à la vision du cadavre. les gros plans s’avèrent par ailleurs superbes, avec un niveau de détail régulièrement remarquable, ce qui permet de profiter à pleine mesure des détails des effets spéciaux assez grossiers d’égorgement et autres jets d’acide sur des visages de mannequins. Egalement, on remarque que dès que la lumière baisse d’intensité, il devient difficile de déceler les détails - rejoignant le point soulevé sur les choix de photographie effectués pour le grand écran. Ainsi que la gestion des clairs-obscurs ou de contre-jour (ex: la semi-obscurité à 22mn50 ou la poursuite dans l’obscurité bleu-nuit sur le pont) se révèlent mal gérées. Toutefois, le grain filmique reste bien présent à l’écran, respectant au mieux son origine celluloïdale. Les couleurs, comme les points de fuite rouges voulus par Freda, sont robustes et éclatent bien à l’écran.
Côté audio, deux pistes disponibles: anglaise et italienne, toutes deux en DTS HD MA 2.0 mono. Un doublage anglais parfois aléatoire, mais plus net que son confrère italien, un peu plus brut. La version italienne apparaît cependant plus dynamique, avec plus de précision dans l’environnement sonore. Mais les soucis se concentrent ailleurs, trahissant quelque peu le film. A 29mn24, il manque carrément des lignes de dialogues dans la version anglaise et les bruits de fond de la TV ont également été oblitérés. Et cette version invente des lignes de dialogues qui n’existent pas (34mn40)... même à 48mn50, réinventant les paroles de la chanson de CARMEN de Bizet que fredonne Valentina Cortese;. Cela créé des moments sonores inexistants dans la version italienne. Tout comme l’appel à sortir du pub (58mn) non doublé en anglais et des sous-titres inexistants. Et avec un sous-titrage qui suit les dialogues anglais au lieu d’effectuer une traduction des dialogues originaux Italiens... n’importe quoi et en dépit du bon sens. De ce fait, je conseille beaucoup plus la piste audio italienne, bien plus détaillée et proche de la réalité!
Par ailleurs, l’éditeur possède l’excellente idée d’offrir deux pistes de sous-titrage : anglais, tout comme anglais pour les sourds et malentendants. un exemple qu’on devrait suivre par chez nous, où la plupart du temps, les sous-titres français sont absents pour les films uniquement francophones, hormis chez certains gros éditeurs.
Au rayon des suppléments, on commence par un commentaire audio assez curieux. Les deux intervenants (Adrian J. Smith et David Flint) connaissent leur sujet, cela suit globalement ce qui se passe à l’écran. Mais il s’agit plus d’une conversation entre potes cinéphiles, autour d’une bière et d’une pizza. Partie citations cinéphiles, partie où ils se moquent du film et le tournent parfois en ridicule. Même si le film reste un ratage, cela reste un exercice périlleux d'effectuer un commentaire - ici déséquilibré avec beaucoup de suppositions - comme l’indiquent leurs auteurs. Entre un hommage solide à Anton Diffring et des plans que Freda filme et que les deux commentateurs ne comprennent pas… j’avoue avoir toujours beaucoup de mal à cerner cette habitude détestable d’indiquer apprécier le film de genre et éclater de rire à des scènes dont on se fout ouvertement de sa tête. Des éléments intéressants disséminés au beau milieu d’un dialogue conversationnel irritant et affichant un certain mépris envers le film. en anglais non sous-titré.
Pour le segment "Of Chameleons and Iguanas", les propos du critique et historien Richard Dyer sont tout à fait justifiés, mais génère parfois autant d’incompréhension et de difficulté à suivre que ce qu’il dénonce dans le film de Freda même ! Difficile exercice que d’exprimer les réticences à parler d’un film quand on a soi même des difficultés à exprimer clairement ses propres idées. Mais force est de reconnaître qu’il a raison sur toute la ligne sur la nature ambiguë et parfois désespérante du film quant au talent de Freda quelque peu gaspillé.
Considering Cipriani: comme pour Nora Orlandi dans l’édition Blu ray Arrow de LIZ ET HELEN/ DOUBLE FACE, Lovely Jon revient cette fois la carrière de l’immense Stelvio Cipriani - sur la logique mathématique de ses compositions, le fait d’être toujours ponctuel pour la livraison de la musique, tout comme à l’intérieur du budget fixé. Il couvre l’ensemble de ses musiques de films, des influences diverses. Il intervient à partir de la 10e minute sur L'IGUANA DALLA LINGUA DI FUOCO et de l’influence curieuse que Dave Brubeck a pu avoir sur l’élaboration des mélodies! Il pointe de manière très juste les éléments « exotiques » qui collent pourtant parfaitement à la côte irlandaise. Le segment est de ce fait intelligemment mené et monté, appuyant par les images du film (et la musique) les points et analyses effectués. Notamment aussi sur les « emprunts » que firent d’autres compositeurs sur le travail de Cipriani, notamment Riz Ortolani qui repiqua une mélodie de ce film pour la recoller dans la scène du début de LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME. Très bon job. (pour les amateurs, la musique du film est sortie sur CD chez Digitmovies en novembre 2006).
Puis un entretien avec Dagmar Lassander, excessivement éclairant sur son expérience d’actrice et les demandes fortes des agents, tout comme la dureté du réalisateur (ce qui n'est une nouvelle hélas pour personne). A savoir, l’impossibilité d’être, une fois mariée, une actrice de valeur sur le marché. Sur son impossible travail d’être forcée jouer enceinte, mais également sur son début assez étrange. En fait, comme beaucoup d’actrcies, découvertes par hasard, sur la particularité du visage et d’un moment particulier. La difficulté de tourner les scènes de sexe, la joie d’un métier très demandeur, le privilège d’avoir fait partie d’un monde spécial, mais qu’elle a su mettre de côté du moment où elle s’est mariée. Un regard posé et passionnant. En italien avec sous-titres anglais.
Deux Films annonces, une galerie photos mais surtout le photo-roman italien complet (d'origine Cinesex donc à fond dans les scènes dénudées), une jaquette réversible - pour arriver à une édition très généreuse d’un film mal-aimé, mais qui tente ô combien de mieux faire comprendre sa génèse, malgré des qualités discutables - avec des suppléments qui offrent une belle perspective sur le sujet. On recommande.