7. Courts-métrages

Le Lausanne Underground Film & Music Festival proposait en 2011, comme chaque année, une grosse sélection de courts-métrages offrant des visions très diverses que ce soit dans la forme ou dans le fond. De l'expérimentation auteurisante jusqu'à une narration traditionnelle, il y en avait pour tous les goûts sur la vingtaine de courts-métrages que nous avons pu découvrir lors du festival.. .

LES ECHOS DUN MURMURE de Michael Paris et Johanna Genet ou les symptômes maladifs des courts-métrages français prétentieux. Ca ne veut rien dire, joué avec les pieds et doté d'une superbe technique. Visuellement, c'est magnifique. Effets spéciaux, couleurs, cadre, on sent un réel attachement à l'emballage. Mais c'est au service du vide. Ca se veut sensitif, non narratif, mais les dialogues et les choix visuels (le ballon de football ?) sombrent dans le ridicule et le pénible. Il dure 14 minutes mais l'impression qui s'en dégage est d'avoir perdu trois heures de notre vie, car il aurait très bien pu durer 15 heures que trois minutes que l'équilibre n'en n'aurait pas été modifié. Poseur, obscur, pétri d'ambition genre étudiant en cinéma dans sa plus détestable forme. Et finalement c'est très chiant!

Frédéric Grousset, réalisateur d'AQUARIUM et CLIMAX, avait effectué un teaser pour le Festival Lyonnais Hallucinations Collectives, à influence d'Australie, de fin du monde et de serial killer. Il a étendu ce teaser pour en arriver à Avec KANGOOTOMIK, qui voit un kangourou traverser une lande déserte sur une trottinette, faire subir les derniers outrages à un arbre et ceci en pleine fin du monde atomisé. Le tout sur un karaoké. Tourné en un jour et demi, animatronic inclus, KANGOOTOMIK est déjanté, outrancier, fun, doté d'une photographie idéalement travaillée - très jolis plans sur la falaise- et avec des effets spéciaux qui font mouche. Hollywood peut bien exploser en paix.

Dans THREESOME de Johannes Dullen. Deux potes vont voir une jeune femme et leur apparente partie de jambes en l'air prend une direction inattendue. En fait, il n'y aura rien de sexuel à l'écran. Sauf que THREESOME est diablement excitant. Prenant à rebours les codes de la relation sexuelle filmée, Dullen détourne les actes pour une approche complètement décalée. On aime bien la simulation orgiaque avec le micro-onde qui balance sur le frigo ! Des préliminaires à l'orgasme jusqu'à l'après-coup, les acteurs vont lécher les cheveux, triturer les trois poils de barbe, disposer leur corps de telle manière que la simulation pornographique ne ressemble à rien. Ingénieux, efficace et très très drôle.

DEATH BY VHS de Damien Ferland se focalise sur les joyeuses heures des films video tournés dans les années lycée ressurgissant dans un montage disloqué, à la faveur d'une résurgence de film de genre type HALLOWEEN et consorts. La forme est amusante, ça fait très potache comme approche. L'amateurisme de l'ensemble n'est guère compensé par une quelconque réflexion sur la portée des images ou même leur drôlerie involontaire. Sympa, mais très dispensable.

THE WONDER HOSPITAL de Beomsik Shimbe Shim est une merveilleuse perle d'animation de 11 minutes produit entre les USA et la Corée du sud. Une jeune fille se voit donner le choix d'un avant ou d'un après à son visage lorsqu'elle se présente à une mystérieux hôpital. Une pérégrination surréaliste remettant en question notre perception de la beauté et du réel. La fine ligne entre altération et modification physique, emprunt d'une étrange drôlerie. Couleurs irréelles, montage inventif et émotion palpable. Superbe !

Court australien tourné en 16mm, FACING RUPERT de Gregory Erdstein.narre l'histoire peu conventionnelle d'un homme opéré d'une tumeur au cerveau. Sauf que la tumeur se révèle être Rupert, son frère jumeau. 11 minutes bien bizarres, une intrigue ramassée qui va droit au but et vire au cauchemar éveillé. Le cinéaste opte pour un réalisme ambiant quelque peu dérangeant lorsqu'il fait comprendre ce que Rupert veut. Cumulé à l'absurdité du discours hospitalier qui nie à l'opéré le statut de patient que cette situation requiert. FACING RUPERT privilégie l'irruption d'un fantastique onirique, presque touchant où le rire naissant fait place à une certaine angoisse irréelle.

Les toasters se révoltent dans RISE OF THE APPLIANCES de Rob Sprackling ! Un homme raconte comment l'électroménager et autres tondeuses se sont éveillées à la vie et ont attaqué les humains. On pense à MAXIMUM OVERDRIVE ou encore LE DEMON DANS L'ILE, mais cela s'arrête là. L'action se déroule au sein d'une famille anglaise moyenne faisant face à une attaque de Dyson, un toaster récalcitrant, une agression de télé et même une Nintendo étrangleuse, nunchaku-style ! Enraciné dans le quotidien, l'horreur surgit au creux d'éléments apparemment inoffensifs, jusqu'à montrer une rue prise de panique. Belle progression narrative, même si on sent un côté méchante blague montée à la va-vite. Tourné à l'arraché mais faisant preuve d'un sens de l'humour toujours présent et d'une action resserrée : les 9 minutes sont menées tambour battant de manière tout à fait jouissive. Très recommandé.

LES YEUX DE LA TETE de Pierre Mousquet et Jérôme Cauwe est un film d'animation à tendance politico-économico-comique où un homme prend une balle de golf dans l' œil et doit trouver au plus vite un donneur. Le recours à l'économie chinoise va se trouver nécessaire. Une satire des puissants et des règles économiques actuelles qui n'y va pas avec le dos de la cuillère. Le trait est grossier, parfois amusant et le dessin délibérément caricatural va dans le sens de la dénonciation potache. LES YEUX DE LA TETE s'amuse des clichés inhérents aux riches qui vampirisent au propre comme au figuré les pauvres, jusqu'au plus profonde région réculée de la Chine. Là où la vie ne vaut pas grand-chose, semblent dire les réalisateurs. Huit minutes parodiques dans un anglais volontairement exagéré qui enfoncent cependant des portes ouvertes, tant la dénonciation parait grotesque, piétinant hasardeusement le politiquement correct -le greffon est celui d'un chinois à la peau forcément jaune : qu'est-ce qu'on rit - et déjà mille fois vues ailleurs. Reste un graphisme proche de Beavis et Butthead qui peut à la rigueur faire passer le temps.

Un femme-araignée aux pattes métalliques, perdue dans un univers aride et rocailleux, c'est l'univers qui semble s'être déréglé dans IF NOT NOW WHEN de Spencer Rockwell. . Un parti-pris surréaliste qui mélange les genres et les formes. Le temps perd les pédales et emporte tout sur son passage : du dessin au bricolage de mutations, Rockwell tente un assemblage thématique autour du temps qui tisse inexorablement sa toile. Il alterne prises de vue réelles, animation image par image, collages. Un univers confus qui regorge d'images en ruptures permanentes de ton. Cela peut désarçonner le public peu habitué à des divagations esthétiques. La performance artistique, via une sorte de ballet dans la caverne, prend le dessus pour sauter à pied joint dans une métamorphose animale dans une mine abandonnée… et les sept minutes vont ainsi se dérouler sans logique apparente. Un cinéma expérimental qui en appelle à l'immersion des sens, mais qui reste pourtant hermétique.

MANDRAGORE de Fabrice Blin est produit par Metaluna productions via Fabrice Lambot. On peut y suivre un homme nu (Bruno Slagmulder) perdu en pleine forêt recueilli par une femme (Agathe de la Boulaye) vivant seule avec son enfant. Elle le soigne, éloigne sa progéniture mais tombe sous le charme de l'homme, qui est lui aussi séduit. La structure du scénario rappelle curieusement celle suivie dans l'épisode MOTHER OF TOADS du film THE THEATRE BIZARRE (co-produit aussi par Metaluna), jusque dans sa résolution. Une mise en images soignée au service d'un argument un peu bateau et une fin qu'on voit venir malheureusement d'assez loin - dès que la mère se saisit de la poupée sur la table. Les aspects fantastiques sont effleurés, les effets spéciaux discrets sont plutôt réussis et bien intégrés au récit. Bruno Slagmulder porte bien sa quarantaine, même sans habits. Mais on comprend assez mal la raison de le faire se balader à poil pendant le premier quart. Agathe de la Boulaye, actrice pourtant compétente, ne semble pas s'être remise de DYING GOD... Tout est élaboré de manière professionnelle, mais il manque une patte singulière sur les 17 minutes pour rendre vraiment le tout accrocheur.

THE ORIGIN OF CREATURES de Floris Kaayk s'inspire du mythe de la Tour de Babel. Ce court métrage d'animation batave est parmi ce qui a été vu de plus original et de plus emballant dans la sélection de courts présentés au LUFF en 2011 ! Dans un univers post-apocalyptique, des créatures formées de phalanges croisées, d'œil solitaire, de bras assemblés s'échappent des décombres d'une ville en ruine afin de construire une tour sous laquelle survit la matrice qui pond les créatures les unes après les autres. Entre le manque de communication et de coordination, on assiste à une parabole numérique d'un monde en perpétuel chaos et recommencement. Tourné en HD, cette mutation générique prend une tournure tragi-comique bien incarnée et pas si futuriste que cela. Et surtout, les 12 minutes émerveillent de par la qualité extrême des effets spéciaux ! Les membres aveugles encapsulent le réel dans leur destin pathétique, si bien qu'on retrouve un peu de notre humanité dans cette destruction programmée.

Hommage au film dans le film dans le film, c'est CHANGE OVER de John Blouin et Nicolas Bilodeau. Ainsi, une cabine de projection où ce que l'ont voit sur un écran n'est pas forcément ce qui est projeté… et cela ne provient pas que d'un film. Une construction habile en poupée russe, avec une technique adéquate et une mise en abyme intéressante. Bel hommage rendu à la force de l'image et le trouble qu'elle provoque. Et comme quoi aussi, tout se termine toujours par une partie de jambes en l'air en cabine. Vraiment ?

Avec PUTAIN LAPIN de Guerin van der Vorst, y'a pas à dire la Belgique veut nous faire croire que c'est le royaume de la crasse, des laissés pour compte, du réalisme craspouille, du désarroi et de la révolte. Entre LOUISE MICHEL, MAMMUTH ou l'horrible LA MEUTE, on a notre compte. Eh bien non : PUTAIN LAPIN suit la même trajectoire. Le cinéaste aurait mis Yolande Moreau en héroïne que ça n'aurait pas changer la mise. Ici, une prostituée ramasse un client qui se trouve être un ours en peluche géant, qui vient de se faire larguer par sa femme. Il ne veut pas baiser, juste parler. Elle le prend pour un lapin. Un ton décalé, une image en noir et blanc qui appuie sur le côté glauque des putes en service - sans oublier une scène-pipi à genoux de péripatéticiennes pour enfoncer le clou. Une bonne idée : l'ours s'exprime par des grognements sous-titrés dont on ne sait pas vraiment si la putain en question comprend leur signification. Un décalage assez drôle. Scène de baise en bagnole tendance zoophile et hop, fin. Faussement provocateur, PUTAIN LAPIN titille par le titre mais repousse par le film.

Un concours de grimaces entre une jeune enfant et son grand-père prend une tournure tragique dans SPIDER FANG ! de Justin Perkinson. Deux minutes carrées, directes, enfantines qui sent la bricole mais au concept sympa. Un twist qu'on sent venir, mais l'aspect léger de l'ensemble fait passer le tout et se termine sur un sourire. Totalement inconséquent, cependant !

LADY BE GONE de Julien Roby et Pius Zoll s'inspire des peintures d'Arcimboldo, un visage animé de Marylin Monroe à base de pétales de fleurs, de rondelles de carottes et autres grain de riz. Avec la voix de Virginie Hoog qui pousse la chansonnette, le bel équilibre végétal va se disloquer et s'auto-ingérer. Car la nature se dissout dans la culture et vice-versa. Malin, drôle, artistiquement réussi et doté d'une animation à la croisée du numérique et de l'image par image qui force le respect. Mais qui ne porte pas bien à conséquence…

Paul, un jeune homme frustré se soulage dans sa baignoire mais ne se doute pas que sa semence perdue va provoquer l'arrivée d'une créature qui va bouleverser sa vie. Sa baignoire a donné naissance à un enfant. Une idée de base audacieuse qui s'accompagne d'une atmosphère urbaine presque oppressante. TUB de Bobby Miller donne un certain sens de l'urgence via le personnage de Paul qui voit sa vie d'avant lui échapper - lui, brillant yuppie-wannabe. Et sa nouvelle vie induit un cauchemar qui prend forme, dont il est obligé de tenir compte à l'avenir. Le récit est mené à vive allure et se repose beaucoup sur l'interprétation hallucinée d'Eric Levy. Les effets spéciaux du bébé sont assez peu ragoûtants et rappellent curieusement le look de l'alien d'INSEMINOID ! Une progression délirante vers un final abrupt pour un court percutant.

Craspouille : le retour avec DEVIL ON COMMISSION de David Evans. Un homme voit son double mort dans sa baignoire et attend patiemment de l'aide… ou la fin ? Une esthétique crade pour décrire l'enfer du quotidien… mais pourquoi faut-il toujours cette représentation du sale via des personnages obèses au bord du pourrissement personnel et physique ? On passe...

THE ADDER'S BITE de Firas Momani s'attaque à la transposition imagée de "Ainsi Parlait Zarathoustra" de Friedrich Wilhelm Nietzsche. Allégorie du mal, représentation de créatures infernales au look d'alien des profondeurs, qui allongent une trompe pompant une sorte de cadavre gisant dans un vestiaire de piscine. Un cérémonial entre l'ignoble et le grotesque, une imagerie volontairement dégagée du réel pour mieux tenter de faire poindre le malaise et la volonté de puissance. Oui mais non. On comprend bien ce que souhaite le réalisateur. Mais si les Shadocks pompaient à juste titre, THE ADDER'S BITE pompe tout simplement grandement le spectateur. Comme l'enfant grondé au final, on aurait préféré plonger dans la piscine plutôt que dans cet océan de noirceur vaniteuse qui tourne en rond. Heureusement, ça ne dure que neuf minutes. Encore trop !

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