3. Troisième Jour

Remise en selle avec triple boucle piquée et double axel sur les fauteuils rudes du Zinéma. Aujourd'hui encore, il faudra jongler avec la pléthore de possibilités qu'offre les programmations et autres cartes blanches du Lausanne Underground Film & Music Festival.

Pour commencer, ce sera donc LE LIT QUI TUE. Après avoir été témoin le soir précédent des seins qui tuent, ce sera donc le lit en ce 20 octobre après-midi. Encore une production malmenée avec les ans. Commencé en 1972 et complété quatre ans plus tard, le réalisateur George Barry n'a jamais pu placer son film. Rejeté par nombre de distributeurs, il renonça et le métrage tomba dans l'oubli… ou presque. A la faveur d'un distributeur de Los Angeles visiblement peu scrupuleux, une copie de DEATH BED fut réalisée à l'insu du réalisateur et les droits vidéo vendus au début des années 80. Le film put ressurgir grâce à Stephen Thrower, venu par ailleurs présenter le film et son curieux destin. A noter pour les plus curieux que le film a été distribué en DVD chez Cult Epics aux USA. 77 minutes de curiosité empilée à la diable, oscillant dangereusement entre collage hasardeux, comédie noire et film fantastico-gore d'un lit qui mange les personnes qui ont le malheur de s'allonger dessus. Une histoire chaotique vient présenter un groupe de personnages qui entre et sort d'une maison abandonnée dans laquelle le fameux lit mort-vivant avale ses hôtes en émettant une curieuse mousse blanchâtre avant de plonger ses victimes dans un liquide jaunâtre, avec bruits de machouillis à la clé. Mais ce n'est pas tout, car le lit avale aussi pommes, vin (en débouchant la bouteille avant, s'il vous plait), chaussures, sacs et même un prêtre et sa bible… tout cela sous les yeux d'un peintre malade prisonnier de son dessin accroché sur le mur de la pièce où se trouve le lit. Dit comme cela, ça paraît bien branque. Et le film l'est incontestablement. Seulement, le rythme apathique n'en arrange pas la vision. Un scénario fait de bric et de broc, avec des flash backs qui coupent la narration de manière brutale et brisent la cadence narrative. Les personnages agissent de manière absurde : Demene Hall tente d'échapper au lit qui l'engouffre par les jambes. Elle s'en sort via des efforts surhumains, se traine sur le sol mais se trouve rattrapée par un drap sorti de nulle part. Le tout dans un seul plan d'une longueur et d'une lenteur sacrificielles. Pas un hurlement, pas un cri à l'aide. Certainement voulu, décalé, drôle mais jamais effrayant. Il est clair que Barry n'a pas voulu directement apeurer le spectateur mais produire un métrage à la croisée de genres. Le film possède une personnalité bizarroïde, certainement à part y compris avec son final qui prolonge l'absurdité générale. Ce qui n'est pas sans rappeler les compositions filmiques dadaïstes des années 20, comme si l'ombre de Germaine Dulac planait sur l'essence de l'oeuvre. Un film d'exploitation qui n'en est pas un. Trop brinquebalant pour les fanas de bis pur et dur, mais suffisamment désagrégé et incohérent pour emporter l'adhésion d'un cinéma parfois expérimental.

Après ces confessions meurtrière d'un lit trop accueillant, ce fut vers le fils du vénéré et regretté George Pan Cosmatos que nos yeux émerveillés se posèrent. Panos Cosmatos a réalisé BEYOND THE BLACK RAINBOW, proposé en compétition officielle et précédé d'une réputation flatteuse. Un exercice de style au visuel ultra-travaillé, un Scope valeureux mixé à un scénario vaniteux et à la vacuité confondante pour un final en forme de blague potache qui semble dire qu'on s'est foutu de la gueule d'à peu près tout le monde pendant les trèèèèèèèèès longues 110 minutes du métrage. Un supplice. On y reviendra plus en détail prochainement lorsque nous nous en serons remis.

L'un des dénominateurs communs des films en compétition semble être les errances et perditions de l'humain. Après le destin science-fictionnel de HELLACIOUS ACRES, l'instabilité émotionnelle de BEYOND THE BLACK RAINBOW, voici que pointe la folie vagabonde de THE OREGONIAN. Second long métrage de Calvin Lee Reeder, il reprend comme héroïne Lindsay Pulsipher, déjà présente dans ses précédents courts et aujourd'hui connue du grand public pour son rôle de Crystal Norris dans la série TRUE BLOOD (saison 3) et dans la sérieTHE BEAST. Mais les amateurs que nous sommes la connaissaient de l'épisode THE FAIR-HAIRED CHLD de William Malone (MASTERS OF HORROR - saison 1). Elle incarne "The Oregonian", une jeune femme victime d'un accident de voiture. Errant sur une route pluvieuse afin de chercher de l'aide, elle réalisa avoir écrasé un homme et un enfant. Se retrouve surveillée par une vieille femme hystérique à cape rouge et s'enfonce dans un road movie à la folie exponentielle. Parfois difficile d'accès et rugueux dans sa narration, THE OREGONIAN possède toutefois une séduction onirique et poétique désarticulée qui est contagieuse. On excusera les plans parfois primaires, limite amateurs, de certaines exagérations visuelles et hémoglobineuses pour se concentrer sur l'atmosphère fiévreuse, sans concession, parfois furieuse. Très bon. Au point que le film a reçu le Grand Prix du LUFF cette année.

Et pour terminer la journée, quoi de mieux que Joshua Grannell rameutant l'hystérie généralisée de LA VALLEE DES PLAISIRS alias HOLLYWOOD VIXENS, alias BEYOND THE VALLEY OF THE DOLLS, l'unique film de major réalisée par Russ Meyer. Et qui plus est, le seul film écrit par le critique non moins célèbre Roger Ebert ! La 20th Fox a du halluciner méchamment en voyant la non-suite de l'énorme succès de LA VALLEE DES POUPEES. Une explosion de violence, de sexe, de chansons, de hippies, de parties non-stop remplies de drogues en tous genres, de femmes à poil, lesbiennes, gays, orgies et autres sexualités jusqu'au twist final complètement déjanté. Un Panavision majestueux qui écrabouille, broye, désagrège, vaporise, bousille le bon goût hollywoodien. Une esthétique camp, colorée au service d'un récit caricatural, reprenant peu ou prou l'argument initial de LA VALLEE DES POUPEES et son héroïne aux rêves de grandeur et de célébrité qui se brise net dans le monde frelaté et délétère de la musique. Il faut préciser que le film se vit frappé d'un classement X aux USA lors de sa sortie, ce qui n'empêcha pas le métrage d'être un énorme succès, rapportant près de dix fois sa mise initiale. Au grand dam de Jacqueline Susann, écrivain du roman original de La Vallée des Poupées, qui menaça la Fox d'un procès, ayant été outrée par le résultat final. Il est également connu que Grace Kelly, membre de la direction de la Fox à ce moment, eut le même comportement et fit tout ce qu'elle put pour casser le contrat entre Meyer et la Fox, ce qui se passa après le flop de THE SEVEN MINUTES l'année suivante. Ce qui stoppa la carrière de Meyer dans le monde des majors hollywoodiennes. Il n'empêche, ce déferlement de luxure reste réjouissant aujourd'hui, et témoigne de l'étendue des capacités techniques du cinéaste. Un art du montage, voire la scène de début et les commentaires saccadés avant l'arrivée du groupe à Los Angeles, par exemple. On pourra reprocher un fin complètement ridicule, au bord du foutage de gueule réactionnaire et une homophobie rampante, mais le final tonitruant à base de meurtres, de décapitations plus les excès en tous genres emportent l'adhésion.

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