HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER est le premier long métrage de fiction réalisé par John McNaughton. Celui-ci commence par étudier les Beaux-Arts en se consacrant notamment à la photographie. Puis, il multiplie les petits boulots et finit par se caser dans le domaine de la distribution vidéo. Il réalise pour ce marché DEALERS IN DEATH en 1984, documentaire sur l'histoire du gangstérisme américain distribué par MPI.
Il prévoit ensuite un documentaire sur le catch américain. Mais des problèmes concernant les droits d'exploitation de documents le forcent à mettre ce projet en veilleuse. Il profite de l'argent mis à sa disposition pour réaliser son premier film de fiction. Les films d'épouvante sont à la mode (la série des VENDREDI 13 est au sommet de sa popularité au milieu de la décennie) et il s'oriente vers ce domaine.
John McNaughton est conscient que son budget limité de 100 000 dollars ne lui permet pas le recours à des trucages élaborés ou à de vastes décors de studio. L'idée de tourner une œuvre sur un Serial Killer lui vient en voyant un documentaire dédié à la vie d'un vrai assassin, Henry Lee Lucas, qui se vante d'avoir tué des centaines de personnes.
McNaughton s'inspire alors de ce personnage pour écrire son film. Il recrute des acteurs venus du théâtre. Certains, après HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER, feront de bonnes carrières au cinéma. Otis est interprété par Tom Towles (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de 1990, LE PUITS ET LE PENDULE et FORTRESS de Stuart Gordon). Henry est incarné par Michael Rooker qui deviendra notamment l'acteur mascotte de James Gunn dans les années 2000.
Lassée de son mari violent, Becky part à Chicago rejoindre son frère Otis, repris de justice qui habite un petit meublé et travaille dans une station-service. Otis partage son appartement avec Henry qu'il a rencontré en prison. Otis explique à Betty que Henry a été emprisonné pour le meurtre de sa propre mère. Becky avoue à Henry qu'elle a été violée par son père et Henry confesse que sa mère l'a maltraité au cours de son enfance. Ce que Becky ignore, c'est que Henry occupe son temps libre à assassiner des victimes choisies au hasard. Un soir, il entraîne Otis dans une de ses virées meurtrières.
Pour HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER, John McNaughton s'inspire d'un documentaire dédié à Henry Lee Lucas, condamné à mort en 1984 (sentence commuée postérieurement en peine de prison à vie). S'il est certain que cet homme a commis trois crimes (dont ceux de sa mère et de sa compagne Becky), il s'est aussi attribué des centaines de meurtres non résolus à travers tous les États-Unis. Il a ainsi acquis la réputation d'être un des plus terribles Serial Killer américains. Il reviendra ensuite sur la plupart de ses aveux, disant les avoir faits pour attirer l'attention.
Mais au moment où est écrit le film de John McNaughton, la réputation de tueur ultra-dangereux de Lucas est à son pinacle. De nombreux éléments biographiques de ce personnage sont repris fidèlement. La mère qui le bat, le déguise en fille et le force à assister à ses ébats sexuels ; le matricide et la peine de prison qui s'ensuit ; le père qui perd ses jambes dans un accident... Les personnages d'Otis Toole et de Becky Powell (véritables compagnons de Henry Lee Lucas) sont présents. Mais leur portraits, notamment pour Becky, ont peu de rapport avec la réalité. Le déroulement des événements et les crimes présentés dans le film sont largement fictifs.
Si McNaughton n'est pas fidèle à la lettre à la biographie de Henry Lee Lucas et ses compagnons, il s'en inspire pour donner à ses tueurs des caractères réalistes. Ce sont des paumés, des illettrés, ayant vécu des enfances malheureuses dans des milieux marginaux et défavorisés. Ce sont des inconscients, des irresponsables agissant par pulsion, commettant leur crimes comme on ferait une virée au café du coin un samedi soir.
Incapables de contrôler leurs vies, ils apprécient l'impression de puissance que leur donne le statut de bourreau. Ce regard intelligent et lucide sur le phénomène des tueurs en série nous emporte loin des clichés que véhiculeront ensuite LE SILENCE DES AGNEAUX et SEVEN, qui nous présenteront les Serial Killer comme des "génies du mal" ou des "incarnations du mal absolu", raffinés et lettrés. La vérité de cette criminalité est la même que celle de la délinquance en général : il s'agit du fruit de la misère morale et sociale.
McNaughton, dans la tradition de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven, refuse de juger ses personnages. Henry est présenté avec ses côtés positifs (sa gentillesse envers Becky) et ses aspects odieux (son comportement lors des scènes de crime). Il va plus loin que le film de Craven puisque Henry, à la fin du métrage, n'est pas "puni" et continue sa cavale sanglante. HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER se présente comme l'extrait du journal intime d'un criminel, à la fois cru et réaliste.
L'impression de réalisme est renforcée par les moyens matériels très faibles mis en œuvre. Limité par un budget étriqué, filmé en 16 mm, multipliant l'emploi de décors naturels dans des quartiers sinistres de Chicago, HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER bénéficie d'un cachet documentaire et reprend les méthodes du cinéma néo-réaliste italien, de la nouvelle-vague française et du cinéma-vérité. En cela, il prolonge des œuvres contestataires américaines fameuses, associées au cinéma d'épouvante, comme LA NUIT DES MORTS-VIVANTS ou LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE.
La réalisation de John McNaughton est loin d'être bâclée. Au début du film, les mises en scène des cadavres des jeunes femmes (dont on ne verra pas les meurtres), fardées, avec mise en avant nécrophile de leurs sous-vêtements, sont accompagnées de mouvements de caméra élégants et d'un travail sur la bande-son soigné. Les scènes de meurtres, en fait rares et surtout cantonnées à la seconde moitié du métrage, sont réfléchies et rendues plus dures par la froideur et la neutralité documentaire de la réalisation. Le crime filmé en vidéo fait l'effet d'une douche froide. McNaughton avouera que l'idée des Serial Killer filmant leurs méfaits lui a été inspirée par le personnage de Dollarhyde dans le roman «Dragon rouge» de Thomas Harris (porté à l'écran à deux reprises avec LE SIXIÈME SENS de Michael Mann et DRAGON ROUGE de Brett Ratner).
HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER n'est pourtant pas dénué de longueurs ou de passages inégaux, avec notamment un démarrage lent. Son regard sur les Serial Killer est juste et affûté, mais il s'inscrit tout de même dans la lignée de films antérieurs. C'est à l'évidence à LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE que nous pensons le plus, surtout pour la réalisation. Mais nous pouvons aussi le rapprocher de PSYCHOSE de Hitchcock et LE VOYEUR de Michael Powell, pour les personnalités médiocres des tueurs, leurs enfances malheureuses et leurs pathologies sexuelles. L’imbécillité et l'inconscience des assassins se retrouvent aussi chez la famille de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE. HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER n'est donc pas si innovant que son réalisateur et la critique l'ont déclaré en son temps.
Il s'agit pourtant d'un film indéniablement intelligent, traitant de son sujet avec une grande honnêteté intellectuelle. L'interprétation remarquable de Michael Rooker participe aussi de sa réussite.
Au départ, HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER est destiné au marché vidéo. Mais, comme le tournage progresse, il est de plus en plus question de le sortir au cinéma. Cette idée est renforcée par le bon accueil que le film reçoit lors de ses premières projections publiques, en festival notamment.
Pourtant, sa diffusion sera chaotique. Le distributeur Vestron s'y intéresse, mais l’œuvre s'inspirant de personnages réels, il demande à la firme productrice MPI de prendre une assurance contre les risques d'action judiciaire de la part de personnes impliquées dans les crimes de Henry Lee Lucas. MPI refuse et Vestron se désengage. Finalement, Atlantic, un autre distributeur, est intéressé.
HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER est présenté en 1988 devant le MPAA, organisme chargé de la classification des films aux USA. Dans la seconde moitié des années quatre-vingts, le MPAA est dans une période de grande sévérité. HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER, loin d'être aussi horrible graphiquement que la plupart des Slashers américains d'alors, se retrouve pourtant avec un classement X, associé par les spectateurs et les exploitants au cinéma porno. Atlantic renonce à sortir ce film qui doit se contenter d'une exploitation en vidéo.
Néanmoins, il acquiert une réputation de film-culte et est montré dans de nombreux festivals à travers le monde où il est bien accueilli. Il connaît une large diffusion au début des années quatre-vingt-dix, bénéficiant de l'énorme succès du SILENCE DES AGNEAUX de Jonathan Demme, qui lance la mode des films de Serial Killer pour la décennie. La carrière de John McNaughton est durablement amorcée, et il réalisera des œuvres telles que MAD DOG AND GLORY (comédie produite par Martin Scorsese et interprétée par Robert De Niro) ou le thriller érotique SEX CRIMES.