JENIFER est le quatrième épisode des MASTERS OF HORROR, une série télévisée de 2005 dont le principe consiste à confier chacun des épisodes à un réalisateur spécialisé dans le cinéma d'horreur. On y retrouve des pointures comme John Carpenter, Tobe Hooper et Dario Argento, dont l'épisode nous occupe ici. Aussi sympathique que soit cette série, on peut oublier tout de suite les autres épisodes. Car JENIFER n'est pas seulement le meilleur – et de très loin - de tous les MASTERS OF HORROR, c'est avant tout une œuvre très aboutie de Dario Argento, qui s'inscrit pleinement dans la filmographie de l'illustre metteur en scène de SUSPIRIA, INFERNO, et TENEBRES.
L'argument de base de JENIFER pouvait pourtant paraître éloigné de l'œuvre du réalisateur italien. Le scénario en est signé par Steven Weber (un acteur attachant qui avait notamment subi une mort douloureuse à coup de talon de chaussure dans JF PARTAGERAIT APPARTEMENT), d'après une bande dessinée d'horreur des années 70, écrite par Bruce Jones et mise en image par un des dieux du genre, Bernie Wrightson. JENIFER est donc l'adaptation d'un comic book horrifique américain, un genre auquel ne semblait pas s'intéresser un réalisateur plus inspiré par les arts dits majeurs (les titres de TERREUR A L'OPERA, LE SYNDROME DE STENDHAL, LE FANTOME DE L'OPERA suffisent à exprimer les goûts d'Argento).
Mais c'est là un des multiples paradoxes du metteur en scène : si Argento est un artiste intransigeant qui préfère se couper un bras plutôt que de devoir se censurer, c'est aussi un showman tout aussi désireux de rencontrer un large succès public. Ainsi, dès les années 70, Argento s'était intéressé à la télévision en produisant notamment la série PORTA SUL BUIO en Italie. Fort de ses succès dans son pays d'origine et en Europe, l'auteur a plusieurs fois tenté sa chance aux USA (INFERNO, TRAUMA), mais ses expériences avec les producteurs se sont avérées douloureuses et lui ont laissé un souvenir amer. JENIFER marque donc une nouvelle tentative de l'auteur de conquérir le territoire américain.
Le film s'ouvre sur l'inspecteur Spivey (Steven Weber), qui sauve une jeune femme prénommée Jenifer, en abattant un dément qui la poursuivait armé d'un hachoir. Spivey ne tarde pas à découvrir que Jenifer est en réalité une créature étrange, dotée d'un corps séduisant mais également d'un visage monstrueux, incapable de s'exprimer par la parole. Emu par le sort de la jeune femme, il cherche à la ramener chez lui, mais son épouse ne le supporte pas. Spivey va abandonner sa famille pour se consacrer à Jenifer, tout en essayant de contenir les instincts monstrueux de la jeune femme…
A tous ceux qui décrivaient Argento comme un auteur en fin de parcours – et qui avaient donc mal vu LE SYNDROME DE STENDHAL et LE SANG DES INNOCENTS – JENIFER vient apporter un démenti cinglant. L'auteur nous livre ici un film dont la perversité cruelle, l'érotisme malade, la beauté visuelle, l'émotion enivrante, l'humour corrosif et l'inventivité constante en remontrent à 99% de la production télévisuelle et cinématographique internationale. En peu de mots : JENIFER est un film qui a du Mojo.
D'abord parce qu'Argento se lâche ici dans le gore comme il ne l'avait plus fait depuis longtemps. Aidé notamment par les effets spéciaux de Gregory Nicotero, la nouvelle star du maquillage cradingue et fils spirituel de Tom Savini, l'auteur nous invite à faire un voyage au pays des meurtres les plus écoeurants jamais filmés – on n'en détaillera pas ici les délices pour préserver la surprise. Mais le grand intérêt du film est surtout dans la description de la relation que nouent le flic et Jenifer, une passion sexuelle dont le pauvre héros ne tarde pas à être complètement dépendant. C'est sur ce thème que l'auteur fait preuve d'un talent de mise en scène épatant, en inventant des images au pouvoir de suggestion quasi pornographique. Ainsi, le temps d'une scène pendant laquelle le héros accomplit son devoir conjugal, Argento fait une utilisation particulièrement osée du montage alterné en suggérant les fantasmes du flic à l'égard de Jenifer. Un passage vraiment audacieux pour un film de télévision, qui montre que l'auteur n'a rien perdu de son côté subversif.
On sourit en pensant à certains films français de ces dernières années, qui s'escriment à décrire des passions fatales chez des philosophes ou apprentis philosophes, car Argento résume et dépasse tout cela dès les quinze premières minutes de son film, en se payant en plus le luxe d'être toujours divertissant. Bref, JENIFER est un film absolument indispensable, l'œuvre d'un auteur en pleine possession de ses moyens, plus passionnant que jamais, dont on est impatient de découvrir les prochains films.
Cette édition française de JENIFER nous présente l'épisode avec une belle image 16/9, de sorte que le spectateur n'a à aucun moment la sensation de regarder un simple téléfilm. Les suppléments - présents en quantité – sont quasiment identiques à ceux de l'édition américaine. On ouvre le bal avec le documentaire «Le travail d'un maître» consacré à Dario Argento, franchement décevant. Durant 16 minutes, cette featurette laisse la parole à Tony Musante, star du premier film du maître, L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, puis Claudio Simonetti, compositeur attitré du réalisateur, et enfin Steven Weber, scénariste et acteur principal de JENIFER. Ce bonus ne s'adresse pas vraiment au néophyte - puisqu'il se focalise curieusement et sans aucune logique sur des détails de certains films précédents d'Argento - mais n'est pas vraiment destiné non plus au fan de la première heure, qui n'apprendra strictement rien ici. Ce documentaire réussit donc étonnamment à ne satisfaire personne.
Le bonus suivant, un entretien avec le réalisateur consacré exclusivement à JENIFER, est plus plaisant, mais reste essentiellement descriptif. Il en est de même de l'interview de Steven Weber, dont le dévouement à la cause du film d'horreur et le respect à l'égard d'Argento sont néanmoins touchants. L'acteur scénariste s'exprime tout particulièrement sur son travail d'adaptation de la bande dessinée, aspect du film qui aurait gagné à être nettement plus développé dans les bonus. A cet égard, le commentaire audio de Weber n'apporte strictement rien de nouveau à ce qui a déjà été dit dans les featurettes, mais l'acteur y fait preuve d'un certain talent lorsqu'il se prend à imiter son metteur en scène.
Le documentaire «De l'écrit à l'écran» s'intéresse exclusivement au tournage de la première scène du film, en assemblant bout à bout des séquences de making-of déjà largement exploitées dans les bonus précédents : autant dire que le seul intérêt de la chose est de voir Argento faire une ou deux plaisanteries entre deux prises. Quant à la featurette «Sur le tournage», il s'agit d'un petit montage de courtes séquences absolument inutile. En guise de bonus caché, on peut profiter d'une minute de prise ratées, et d'un documentaire plus long concernant le maquillage de JENIFER.
Repris directement du DVD américain réalisés par Anchor Bay Entertainment, ces suppléments s'avèrent quelque peu décevant. On sera d'ailleurs surpris que l'interview de Carrie Fleming ne soit pas reprise ici. En tout cas, un conseil : évitez ces bonus et préservez intact le mystère insondable de ce chef d'œuvre qu'est JENIFER.