En 1865, Izo Okada, un samouraï champion du maniement du sabre, devient sous l'égide d'un cruel seigneur un assassin redoutable. Capturé par le shogun, Izo est crucifié et succombe sous de nombreux coups de lances. Mais son esprit, bouillant de haine et de désir de revanche envers le genre humain, le dispense de la mort. Le voici maintenant prisonnier d'un espace-temps en perpétuelle mutation, exécutant tout ce qui tombe sous le couvert de sa lame : hommes, femmes, enfants, ainsi que les divinités qui régissent l'univers.
Bien que bénéficiant d'une oeuvre hétéroclite et personnelle, le trublion nippon Takashi Miike fut longtemps frustré de ne pouvoir tourner un authentique film de sabre en costume. Une attente enfin récompensée par l'annonce en 2003 d'un nouveau ZATOICHI réalisé par ses soins, et qui verrait Takeshi Kitano dans le rôle-titre. Un projet des plus excitant qui connaîtra une finalité moins enthousiaste. Miike est congédié après des mois de pré-production au profit de Kitano au poste de réalisateur. Un coup dur qui le replie sur IZO, un film de samouraï basé sur le personnage historique Izo Okada, que Hideo Gosha avait déjà mis en scène pour les besoins de TENCHU. Miike allait-il s'acquitter d'un biopic respectueux et didactique ? La réponse est bien entendue : NON !
Signé par Shigenori Takechi, l'un des scénaristes récurrents de Miike depuis 2001 avec le film de yakusa AGITATOR, le script de IZO est prétexte à une plongée vertigineuse dans la psyché torturée de l'être humain et ses pulsions destructrices. La narration même du film est détruite. Izo passe d'époque en époque en un clin d'oeil, est persécuté par des personnages qu'il ne connaît pas (des samouraïs, des yakusas, des Swats, des vampires, des revenants, intervenant parfois dans des paradoxes temporels). Sa réponse est toujours la même. Il dégaine son sabre et tue. Impossible à arrêter car rejeté par la mort elle-même, Izo tuera encore et toujours. Le spectateur fait bien entendu parti des premières victimes dans la mesure où il est propulsé dans le maelström de l'univers d'IZO sans bénéficier de beaucoup de clefs de compréhension. Hormis un prologue s'arrêtant clairement sur l'exécution du personnage principal, le métrage est un enchaînement de séquences creusant les méandres labyrinthiques du film, vers une essence suggérée laissée à l'appréciation du spectateur.
Très difficile d'accès, IZO est un film qui se mérite. Si l'on pouvait croire que Takashi Miike s'orientait petit à petit vers un cinéma plus consensuel ou grand public (avec LA MORT EN LIGNE, ZEBRAMAN ou encore YOKAI DAISENSO, son remake des YOKAI MONSTERS), cet opus vient nous démontrer le contraire. Adulte, très violent, volontairement abscons, IZO est l'un des films les plus radical de son auteur. Instrument de la haine, Izo est initialement l'homme de main d'un seigneur sanguinaire, Hampeita Takechi, ayant réellement existé. Si Izo est puni alors que son maître ne l'est pas, c'est qu'il n'y a pas de justice dans ce bas monde. Ce que Izo démontrera tout au long du métrage en trucidant innocent comme coupable, homme comme femme, violant et tuant sa propre mère (ainsi que LA mère), puis portant sa lame sur des enfants.
Izo est une mécanique de la violence, mais ne se nourrit pas de la violence. Au contraire, celle-ci le consume, l'écorche, lui faisant peu à peu perdre ce qui faisait de lui un être humain. Peu à peu, le samouraï déchu se transforme en démon sanguinaire, suppliant que l'on mette un terme à sa douleur, mais ne pouvant aller contre son destin de tuer. Un cercle vicieux littéralement figuré par l'image d'Izo courrant sans fin sur un ruban de Möbius. Izo est l'incarnation de l'homme ne pouvant s'exprimer autrement que par la violence, comme le suggère les inserts d'images d'archives issues de la Seconde Guerre Mondiale, de Hitler aux foules de japonais endoctrinés saluant le départ des troupes pour le front. Certains ont cru comprendre que le film était une symbolique de la politique de Bush en Irak. Mais il s'agit plus globalement du concept paradoxal de l'homme (ou effectivement du pouvoir politique) qui se construit par la destruction, avec les effets secondaires catastrophiques que cela peut engendrer.
Y'a-t-il une lueur d'espoir dans cet implacable nihilisme ? Fort heureusement. Elle ne vient pas des divinités régissant l'univers, un impassible androgyne portant un serpent autour de son cou, déléguant la gestion du monde à un groupe de ministres paniqués par cette «imperfection» de la nature. Elle vient de Izo lui-même, dont une partie de l'esprit prend la forme de la femme qu'il chérissait lors de sa vie terrestre. Ce personnage féminin va l'accompagner dans ses méfaits, le soutenir, tenter de le guider hors des chemins de la vengeance aveugle. Une personnification du remords peut-être, ou du besoin irréductible d'apaisement, finalement plus fort que la pulsion de destruction. La fin du film voit l'homme succomber sous un seul souffle de la perfection de l'univers, scellant le destin de celui qui défia les dieux. Mais le repenti n'est pas interdit, comme le suggère la réconciliation intérieure figurée par une séquence qui n'est pas sans rappeler le final de GOZU.
Cinéaste insaisissable, Takashi Miike livre avec IZO l'un de ses meilleurs travaux, pour qui aime être un tant soi peu surpris au cinéma. Manquant souvent d'un peu de rigueur, suite à la cadence infernale à laquelle l'homme nous livre ses oeuvres, Miike se surpasse réellement avec IZO, confiant dans la portée auteurisante du film. Doté d'un budget limité, nous ne pouvons que louer la qualité de la direction artistique qui, des décors aux costumes, fait des miracles malgré la multiplication des personnages et des environnements. On regrette juste la qualité de certains effets spéciaux, dont la médiocrité ne rend pas justice à l'inspiration de ses auteurs.
Côté casting, le film est un régal sans précédent. Mettant en scène une multitude de petits rôles, IZO les attribue à des invités prestigieux, ravis de figurer dans le nouveau film du fameux «réalisateur culte à l'étranger». Les habitués sont bien entendu au rendez-vous comme Kenichi Endo (le père de VISITOR Q), Renji Ishibashi (le boss de GOZU), Miki Ryosuke (habitué aux yakusa eiga de Miike comme AGITATOR) ou encore Susumu Terajima (récurrent des films de Kitano, il se fait torturer dans ICHI THE KILLER). Mais les nouveaux venus dans la famille Miike se pressent entre les séquences, citons entre autres Ryuhei Matsuda (fils du célèbre acteur Yusaku Matsuda, qui révéla son physique androgyne dans TABOU de Nagisa Oshima), Kaori Momoi (vue dans KAGEMUSHA de Akira Kurosawa), Hiroki Matsukata (héros de COMBAT SANS CODE D'HONNEUR de Kinji Fukasaku), Ken Ogata (rôle-titre du MISHIMA de Schrader), Mickey Curtis (l'inoubliable homme de main du magnifique KAMIKAZE TAXI de Masato Harada), le chanteur compositeur Kazuki Tomokawa (qui apparaît régulièrement pour mettre en musique les plaintes d'Izo) et surtout Takeshi Kitano. Devant ce parterre de personnalités, le personnage de Izo est confié à Kazuya Nakayama, jusqu'alors relégué au dixième plan, et qui décroche à 47 ans son premier rôle d'importance. L'homme se surpasse donc littéralement dans ce film, offrant une performance intensément douloureuse et extrêmement physique qui est pour beaucoup dans la réussite du film.
Radical, ultra violent et pourtant très introverti, IZO est un film expérience. Malheureusement, il paraît évident que beaucoup réagiront devant ce spectacle si particulier par le rejet. Rejet de la violence (on lui reproche ses excès gores), rejet de la réflexion proposée par le film (on lui reproche d'être prétentieux), rejet du rythme (on lui reproche d'être trop long), ou encore rejet de certains choix de mise en scène pourtant courageux (comme les intermèdes musicaux de Kazuya Nakayama, à la guitare –très- sèche et à la voix rocailleuse, trop spéciaux pour certains). Mais pour qui saura entrer dans son ambiance particulière, pour qui sera sensible au discours du film (qui aurait bien plus mérité d'être sous-titré A HISTORY OF VIOLENCE), et pour qui évitera de se réfugier derrière l'ironie bête pour combler les trous d'un spectacle dont il n'aura (culturellement) jamais toutes les clefs, IZO est un film monstre, bousculant les règles classiques pour atteindre l'individu directement au ventre. Ceci explique que de nombreux spectateurs, avouant n'avoir rien compris au film, estiment pourtant avoir passé un moment qu'ils n'oublieront pas de sitôt.
IZO est désormais disponible en Zone 1, soit le meilleur moyen de profiter du film avec des sous-titres en anglais. L'image, au format et anamorphosée, est d'une qualité très satisfaisante. Une bonne surprise dans la mesure où les films de Miike ne sont pas toujours gâtés à ce niveau par les éditions étrangères. Le film n'a malheureusement pas été mixé en 5.1, il faudra ainsi se satisfaire d'une piste en stéréo d'origine pourtant très efficace.
La bonne surprise vient des bonus directement repris de l'onéreuse édition japonaise. Un premier Making Of d'une vingtaine de minutes nous propose de découvrir les coulisses du tournage, soit beaucoup d'images de plateaux montées à la sauce locale (avec de nombreuses incrustations de titres fluos et voix off dithyrambique). Plus pertinent et complet, on préfèrera s'attarder sur «Secret of IZO», un module de près de 90 minutes qui alterne images de tournage et interviews avec l'équipe du film. Assez promotionnel, le documentaire n'évite pas une certaine complaisance dans la récurrence des louanges prodigués à Miike par son casting hétéroclite. En revanche, il permet de s'attarder réellement sur les méthodes de mise en scène de Miike, construisant son film à même le plateau de tournage dans une bonne humeur et une collaboration de tous les instants. Un principe de travail formidable pour les comédiens, mais épuisant pour le réalisateur qui nous apparaîtra bien souvent mort de fatigue face à la concentration et au rythme infernal du tournage. Très loin de l'image de fainéant cynique que certains essaient de lui attribuer, Miike se confie à plusieurs reprises face à la caméra, partageant son enthousiasme de réaliser un film exigeant comme IZO tout en s'excusant par avance du manque de clefs narratives prodiguées par le métrage.
Comme de coutume dans les bonus asiatiques, un dernier module nous présente Miike et le casting principal lors de la première du film au Japon. Chacun y va de son petit mot cordial devant un par terre de spectateurs qui ne sait visiblement pas ce qui l'attend. Doté d'un intérêt très limité, ces quelques minutes prolongent malgré tout la sympathie que nous éprouvons face à cette joyeuse équipe. Enfin, une archive de bandes-annonces achève ce disque de bonus, des autres films Miike jusqu'aux dernières acquisitions de l'éditeur.
Trop fou et gore pour les cérébraux, trop auteurisant pour les fans de cinéma branque, IZO occupe un créneau difficile. Présenté au prestigieux festival de Venise en 2004 dans la perplexité générale, accueilli depuis dans divers festivals (Stiges, Leeds ou Stockholm) dans une incompréhension similaire, IZO ne mérite pas sa réputation de spectacle imbitable. Bien au contraire. Le spectateur qui aura la chance ou la volonté de pouvoir entrer un tant soit peu dans cet univers hors norme risque de rencontrer un film radical et puissant qui le marquera pour longtemps. L'un des meilleurs Miike, si la subjectivité de ce propos veut dire quelque chose.