3. Interview de Tomas Alfredson

Le samedi 31 janvier, le réalisateur Tomas Alfredson présentait sur scène MORSE au public de Gérardmer en nous expliquant que le froid que nous avions affronté pour entrer dans la salle n'avait rien à voir avec les températures extrêmes que son équipe avait dû affronter pour le tournage du film. Justement, lorsque nous avons rencontré en tête-à-tête le cinéaste, le lendemain en fin d'après-midi (dimanche 1er février), nous n'avons pas manqué de revenir sur ce point mais aussi plus généralement sur le contenu du film…

DeVilDead : MORSE parle de vampires dans un cadre très réaliste avec un décor social très différent du cinéma d'épouvante. Pourtant, le film conserve des aspects mythologiques du vampirisme. C'est le cas par exemple de la nécessité d'être invité à entrer dans une demeure. En particulier sur ce point, c'est la première fois, je crois, que l'on voit le résultat de la transgression de cet interdit dans un film…

Tomas Alfredson : Ca, c'est une chose nouvelle inventée pour l'histoire. Cela vient du livre de John Ajvide Lindqvist sur lequel ce film est basé. Je dois tout de même admettre que je suis assez peu au fait des particularités et des mythologies liées au vampirisme. Dans ce domaine, j'ai dû m'en remettre à 100% aux éléments apportés par John Ajvide Lindqvist. Pour cette scène en particulier… Pour moi, en général, c'est toujours une catastrophe lorsque je fais des choses dans lesquelles je ne crois pas. Je ne me sentais pas à l'aise avec cette scène et cette petite fille qui commence à saigner. J'avais du mal à voir de quelle façon cela devait être fait. A un stade avancé de la production, cela ne fonctionnait toujours pas. Il y avait de la musique dessus et, au dernier moment, nous l'avons retiré. Et tout à coup, cela fonctionnait bien mieux à mon sens avec les effets sonores mis en avant…

Est-ce que c'est pour cela que l'on ne voit jamais le vampire voler alors que cela est évoqué ?

Vous savez, les images les plus fortes sont faites par les spectateurs eux même grâce à leur imagination. Donc si vous voulez évoquer qu'un personnage est très rapide. Il est plus efficace de pointer la caméra sur le personnage. A ce moment là, vous faites un mouvement latéral pour voir réapparaître le personnage essoufflé de l'autre côté du cadre. Du côté opposé, là où il ne devrait pas être. Vous imaginez fort bien ce qui s'est passé. Alors que si vous montrez réellement la personne se déplacer en courant très rapidement, cela en devient un peu ridicule, un peu dans le genre de Benny Hill. Cela va amoindrir l'effet et la narration. C'est aussi le cas lors de la séquence de la piscine. Il m'apparaissait plus sérieux de laisser tous ces éléments hors du champ tout en donnant quelques indices aux spectateurs. C'était à mon sens une bien meilleure solution.

Vous n'avez apparemment pas d'affinités particulières avec le Fantastique et les vampires. Pourquoi avez vous accepté de faire ce film ?

Car c'était vraiment intéressant. Le mélange entre réalisme social, le portrait de ce garçon malmené et renfermé… C'était vraiment dénué de sentiment et, en même temps, cela provoquait énormément d'émotions en moi. A mon sens, lorsqu'un film est trop sentimental, on décroche assez vite et je déteste ça. J'aime davantage que les sentiments d'un métrage ne soient pas forcés et qu'ils soient en partie créés par moi. C'était d'ailleurs l'une des grandes qualités du livre original. Mais aussi parce que j'ai eu pas mal de mauvais moments à cet âge là moi-même. Cela m'a ramené beaucoup de souvenirs et de sentiments assez forts de mon enfance. Ce type d'émotion, ceux que l'on éprouve à cet âge là, sont souvent très forts et ils font partie de vous même. C'était d'ailleurs un bon moteur pour avancer sur un film que l'on développe sur plusieurs années.

Nous n'avons pas lu le livre original mais est ce que l'action prenait déjà place durant les années 80 ? Ou est ce qu'il s'agissait d'un choix délibéré de votre part ?

Non. Mais cette histoire pourrait être racontée à n'importe quelle époque. Aujourd'hui ou bien dans les années 60. Même en Australie, si vous en avez envie. Mais je pensais que cela donnait un "plus" au film. Cela lui donnait une spécificité. Et plus vous êtes spécifique et plus vous devenez universel. C'est une étrange équation. Et je pensais aussi que raconter ces ingrédients surnaturels serait plus facile dans le cadre du passé plutôt que si cela avait été raconté de manière contemporaine. Je ne sais pas pourquoi. Cela donne une dimension plus fictionnelle lorsque cela se déroule dans le passé.

Mais cela aurait bien plus facile pour vous de tourner le film dans un cadre contemporain. Car vous avez été obligé de choisir des costumes particuliers, la musique… Cela doit coûter plus cher, je suppose…

Oui, évidemment.

En ce qui concerne le cadre, l'histoire se déroule dans la banlieue de Stockholm. C'était dans le livre ou un choix de votre part ?

C'était dans le livre et c'est vraiment une banlieue très particulière en Suède. Car nous n'avons pas participé à la Seconde Guerre Mondiale. Et donc la Suède était plutôt riche durant la période de l'après guerre. Les démocrates sociaux qui ont gouverné le pays durant presque une centaine d'années ont justement expérimenté des projets sociaux grâce à cette richesse... Ils ont construit des métros, une trentaine de stations. Outre de ces stations, ils ont construit les zones d'habitation qui ont formé une banlieue dotée d'un style bien particulier. Donc cette partie de la banlieue est assez connue et possède une esthétique assez identifiable. Une partie des plans ont été réellement fait dans ces lieux alors que le reste a été tourné dans le nord de la Suède. Dans ce dernier cas, nous voulions être certains d'avoir de basses températures et beaucoup de ténèbres.

Vous avez tourné du côté de Kiruna ?

Non, c'était à Lilja qui est à environ une dizaine de miles sous Kiruna.

Car lorsque vous avez présenté le film au public, vous aviez parlé de température qui descendait à -25 et -30 degrés. Mais je ne crois pas que ce soit le cas du côté de Stockholm à cette période de l'année.

Non, c'est vrai. Nous avons des hivers très rigoureux tous les huit ans environ à Stockholm. Mais, vous savez, Stockholm est un peu comme Paris. Donc nous voulions vraiment avoir ce froid intense et l'absence de lumière. Donc nous avons trouvé des lieux de tournage qui répondaient à ces critères esthétiques. Mais ce fut vraiment très compliqué de travailler avec des températures aussi basses. Cela posait des problèmes avec les caméras, il ne fallait pas plus d'une minute pour que le matériel gèle complètement. Les éléments en plastique cassaient. Vous ne pouvez pas vraiment vous protéger contre le froid. C'était vraiment très compliqué.

Cela a dû être vraiment difficile pour la jeune actrice qui évolue souvent avec peu de vêtements, un t-shirt et un simple pantalon…

Il y avait toujours quelqu'un autour. A la seconde où l'on coupait, on lui mettait des vêtements chauds. Elle se tenait sur une surface chauffante… On prenait toutes les précautions pour ne pas mettre sa santé en danger.

Nous nous sommes posé une question à propos de l'homme qui accompagne la jeune fille. Pour nous, il s'agit d'un petit ami qui a grandi avec elle. De prime abord, on peut penser qu'il s'agit de son père mais il nous est apparu assez vite évident que c'était d'un ami, de la même façon que le personnage d'Oskar, qui est resté avec elle une quarantaine d'années. Mais le vampirisme est souvent vu comme une métaphore sexuelle. Alors que dans MORSE, la relation est purement platonique… Et il y a un bref plan en particulier, qui est très surprenant, où l'on voit les parties génitales de la jeune fille. Et elles sont apparemment cousues.

Oui, en effet. Dans le livre, ces éléments ne sont pas explicités clairement. Nous l'avons fait de façon très différente dans le film par rapport au livre puisqu'il s'agit d'un garçon castré. Dans le film, le personnage demande deux fois à Oskar si il l'aimerait toujours si elle n'était pas une fille. Donc tout le monde pense qu'elle sous-entend qu'elle est donc une vampire et non pas un garçon. Mais cette image particulière des parties génitales est là pour montrer à Oskar à quoi elle ressemble. Ce qui ne gêne pas le personnage d'Oskar. C'est purement platonique. Il ne se pose pas de questions de savoir s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon. Il l'aime, telle qu'elle est. Mais je pensais que si nous avions conservé un garçon castré, cela serait devenu une histoire d'amour homosexuelle. Alors que ce n'est pas le cas puisque film ne parle pas du tout de sexualité. C'est justement ce qui rend cette histoire si belle. L'homme plus âgé est, pour moi, de façon suggestive un ancien amoureux. Mais il est devenu trop vieux, trop maladroit, trop fatigué, trop effrayé et trop faible… Mais peut être a t'il été un Oskar quarante ou cinquante ans auparavant. Et a ce niveau là, le vampirisme n'est pas maléfique mais plutôt cruel. Cependant, dans le livre, ce personnage était, de façon sous entendue, un pédophile. Je ne voulais pas amener cela dans le film. C'était un pédophile qui était tombé profondément amoureux de cette fille sans jamais la toucher. Mais je pense que le thème de la pédophilie est aujourd'hui utilisé par beaucoup de cinéastes comme d'un simple effet de façon à provoquer le malaise et le dégoût. De mon côté, je pense que c'est un sujet bien trop grave, trop complexe et trop important pour l'amener comme un simple ingrédient dans un film. Cela aurait fait de l'ombre à tout le reste du film. Donc, je suis bien plus à l'aise de la façon dont on l'a fait. En suggérant qu'il s'agit d'un ancien amoureux dans un cadre enfantin et donc purement platonique.

Avez vous eu des problèmes avec la censure là où le film a été projeté ? Comme les Etats-Unis ?

Non. Enfin, si ! Nous avons eu une demande l'autre jour. C'était une compagnie aérienne du Canada qui voulait projeter le film sur leurs vols. Ils nous ont demandé si il était possible de rendre l'image floue en particulier sur le bas ventre du personnage principal féminin. Là, je me suis dit "Pauvres gens qui ont ce type de standards moraux". Car vous voyez, on peut montrer des membres coupés et des têtes arrachées mais vous ne pouvez pas montrer une fille ou un garçon nu. C'est le seul cas de problème que nous avons rencontré. Je crois...

Hier, sur scène, vous avez dit que vous avez choisi de venir à Gerardmer plutôt qu'à Mexico. Pourquoi ?

Nous avons eu de bonnes réactions venant de France. Pour diverses raisons, les spectateurs de nationalités différentes réagissent de façons différentes par rapport à ce film. Je pense que le marché français est très important et cela me rendrait vraiment heureux que les spectateurs apprécient le film en France. Il faut aussi ajouter que je suis un Francophile (ndlr : rien à voir avec Jesus Franco !) même si je ne parle pas le français. Je suis vraiment intéressé par tout ce qui concerne votre pays. C'était donc ce qui me semblait être la meilleure chose à faire.

Le Festival de Gérardmer est très spécifique en ce qui concerne le type de films projetés. C'était la même chose à Mexico ?

Je dois avouer que je ne sais pas. Vous savez, j'ai été invité à 70 festivals mais comme vous pouvez vous en douter, j'ai aussi d'autres choses à faire à côté. Et cela prend énormément de temps ne serait ce que le trajet ainsi que tout ce qu'il y a autour. Cela dit, je pense que le Festival de Mexico est plus dans le genre de la Berlinale.

De quelle façon a été reçu votre film en Suède ? Car il s'avère que nous ne connaissons pas bien le cinéma suédois d'aujourd'hui. Nous connaissons Ingmar Bergman, évidemment, Bo Widerberg ou Jan Troell mais c'est un cinéma qui n'est pas forcément bien connu en France.

Il a été bien accueilli. Mais nous avons dû faire face à une situation compliquée. Car en Suède, il y a un monopole sur les salles de cinéma depuis deux ans. Du coup, les distributeurs sont à la merci d'un seul exploitant pour quasiment toutes les salles. Comme les Américains sont plutôt dominant, ils prennent les meilleures salles et emplacements. Cela devient donc très dur pour un film qui est un petit peu différent et original de trouver sa place. Nous avons reçu un bon accueil de la critique et les médias se sont intéressés au film. Mais la chaîne de cinéma qui détient 90% des salles en Suède a préféré garder les meilleurs écrans pour des blockbusters. C'est une situation un peu déprimante. De plus, nous avons aussi un problème avec le téléchargement illégal qui fait du mal à l'économie cinématographique suédoise. La Suède est le pays le plus informatisé. Quasiment tous les foyers suédois sont équipés d'ordinateurs dernier cri et d'une connexion haut débit. A partir de là, tout le monde se met à "voler" les films surtout que nous n'avons pas de législation claire au niveau de la protection des oeuvres. D'un point de vue philosophique, l'économie est en ruine à cause de cela.

Maintenant que le film a été diffusé dans un grand nombre de festivals. Qu'allez vous faire ? Nous avons entendu qu'il y avait un remake américain de MORSE en chantier. Qu'en pensez vous ? Allez vous le réaliser…

Oh, non ! J'ai l'habitude de dire que la vie est trop courte pour réaliser deux fois le même film. Ce n'est pas du tout intéressant. J'ai beaucoup d'offres en provenance d'Hollywood que j'essaie d'évaluer pour voir si je peux vraiment y apporter quelque chose. Mais, en ce moment, je travaille sur une pièce de théâtre avec le Kungliga Dramatiska Teatern de Stockholm (Le Théatre Dramatique Royal de Stockholm).. Car je dirige aussi des pièces de théâtre.

Que pensez vous de cette habitude de refaire à l'américaine les films "étrangers" ?

C'est plutôt triste. Si j'étais un producteur, je prendrais l'opportunité de refaire des films qui ne sont pas si bons dès le départ. Ce serait l'approche la plus logique. Refaire un mauvais film pour l'améliorer. Car certains films ont de très bonnes idées assez mal exploitées et en changeant des éléments, on peut obtenir une œuvre réussie. Mais refaire des films réussis, je ne vois pas du tout l'intérêt. Dans le cas du remake de MORSE, j'ai vraiment l'espoir qu'ils mettent beaucoup d'amour et de tendresse dans ce projet. Car cela en a besoin ! Je ne suis pas sûr que ce sera aussi bien rendu une fois qu'il sera refait de façon plus "commerciale".

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Dossier réalisé par
Francis Barbier & Christophe Lemonnier
Remerciements
Tomas Alfredson, Alexandra Faussier & Florence Alexandre