3. Partie 2
Jai limpression que certains de vos films en ont influencé dautres. Comme ici pour L'ALLIANCE INVISIBLE, avec cette histoire de secte aux tendances satanistes, un mélange de thriller et desotérisme. Puis LE LOCATAIRE de Polanski. Quen pensez-vous ?
Je nai jamais pensé cela, même si ces films ont été faits après les miens.
Cest mon délire de cinéphile ?
(rires). Je laisse cela aux cinéphiles ! Il est très possible quun producteur ait dit que puisque mon film avait très bien marché, il fallait en faire un autre dans le même genre. Les producteurs italiens suivent les modes. Si cela marche, alors il faut faire la même chose. Ce fut le cas de mon SEPOLTA VIVA, une espèce de feuilleton débile d'un kistch pas possible. Enorme succès, près de trois millions de spectateurs en Italie. Comme javais installé un système de double lecture du film, alors les plus vieux spectateurs pleuraient. Les plus jeunes riaient. 27 films ont été fait daprès ce même modèle. Les producteurs cherchaient un bon filon à exploiter. La seule chose que je sais, cest que lors de la conférence de presse à Venise de Quentin Tarantino il y a deux ans, il a dit que LULTIMO TRENO DELLA NOTTE lavait influencé dans la violence. Mais il dit cela de beaucoup de monde.
Cest aussi le cas de votre film suivant qui arrive en pleine mode du Giallo, CHI LHA VISTA MORIRE ? Vous réutilisez les codes existants : la main gantée de cuir noir, la caméra subjective, la révélation du coupable au final, etc tout en gardant un aspect personnel, votre identité de la dualité de lecture initiée avec LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO
Absolument.
Vous êtes assez cruel, tout de même. Si au début de cette vague, les victimes sont des femmes, il sagit ici pour la première fois denfants. Ce que copia un peu Lucio Fulci avec LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME. Même pour les choix visuels. La première scène se passe dans un environnement neigeux. Mon sentiment est que vous vous êtes approprié un genre pour mieux le tordre.
Votre analyse est correcte. Jai toujours considéré que jétais plutôt un artisan quun artiste. Qui effectue des pièces uniques même sil y avait une demande pour ce type de film. Mon producteur ma presque obligé à le faire. Jai fait cependant le film comme je voulais le faire. A lintérieur dun genre, jai toujours joui dune grande liberté. Javais des problèmes comme avec la neige. Selon le directeur de production, ça coûtait trop cher. Alors jai trouvé un ami qui connaissait quelquun à Megève qui pouvait nous aider sans que cela coûte dargent à la production. Car nous avions des budgets misérables et il fallait se débrouiller. Si on calcule avec les coûts actuels, ce type de films revenait à 600 ou 700.000 euros d'aujourd'hui.
Si peu que cela ?
Oui !
Mais cela parait pourtant être des films aisés.
Cest le savoir-faire qui prime dans ces cas-là. Mon expérience dassistant ma beaucoup apporté. Je savais ce que je voulais. Je ne me perdais pas dans des détails. Cest ce côté artisanal afin de trouver des solutions à tout. Pour en revenir à LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO... Le producteur avait des accords avec une société détat yougoslave. Pour une scène où le héros a un rendez-vous sur une place un peu londonienne avec du brouillard, lors des repérages, jarrive sur la place et elle était dune grande banalité. Mais il y avait un passage de train non loin Jappelle le directeur de production. Je lui dit que sil réussit à faire passer la locomotive au bon moment, je réalise la scène du meurtre avec la fumée. On me répond « Impossible : nous avions un accord sur le scénario. cela coûtera de largent en plus ». Alors, le lendemain, jai choisi la plus grande place de Zagreb et jai demandé des machines à brouillard partout. On ma finalement donné la locomotive !
Bien vu. Mais jen reviens au coût. Vous aviez engagé George Lazenby.
Oui, mais il ne coûtait rien du tout à cause du James Bond. Il sest fait avoir par Albert Broccoli et était plutôt fâché. Il navait quune idée à lépoque : retourner en Australie et sacheter un bateau. Il a donc accepté un petit budget italien. Mais cétait le lot des auteurs et acteurs. Nous étions à la merci de certains producteurs qui ne nous payaient parfois pas. Jean Sorel, que je revois à Paris de temps en temps, ma avoué ne pas sêtre fait payé sur LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO ! Comme pour moi. Vous savez, je nai aucun droit dauteur sur mes films. Ce qui est difficile aujourdhui pour moi.
Je souhaite appuyer sur un point qui mest cher. Vous avez tourné avec Anita Strindberg que japprécie énormément. Belle et talentueuse je trouve quelle na pas eu la carrière quelle méritait.
Ma collaboration fut parfaite (Note : le visage Aldo Lado séclaire et il éclate de rire)
Elle est belle dans votre film, presque radieuse.
Elle était magnifique, grande, belle, excellente actrice. Mais du fait de sa vie privée, elle na pas continué.
Elle semble avoir disparu après le dernier film de Freda.
Cest un peu la même chose que Barbara Bach. Elle nétait pas une grande actrice mais elle avait une belle présence. Elle était mariée à un italien, donc avait la nationalité italienne. Doù sa présence dans mon film. Puis elle a divorcé et a disparu aux USA. Je lai retrouvé à Los Angeles. Elle vivait avec lun des vice-présidents de la Warner et avait fait un James Bond et elle allait tourner dans LOURAGAN VIENT DE NAVARONE. Ce ne sont pas de vraies comédiennes, peut être par manque dambition. Mais dites-moi, cest à mon tour de poser une question. Pourquoi cet intérêt pour mes premiers films comme LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO, CHI LHA VISTA MORIRE ?
La rareté prime sur le reste pour ce type de films. Ils ont été rares et difficiles à trouver. Aujourdhui, ils sinscrivent dans un cycle de films qui ont donné un nouvel élan à la cinéphilie. Ce genre avait été longtemps méprisé, un vrai manque de reconnaissance. Ce nest plus lapanage des films dauteurs, mais dune frange dauteurs, comme vous, qui ont été oublié pendant un certain temps. Et de linfluence que certains films ont pu avoir sur dautres, plus reconnus aujourdhui. Par exemple les éléments de CHI LHA VISTA MORIRE? : Venise, le brouillard, des parents à la recherche dun enfant au centre dune histoire, la déambulation dans une ville labyrinthique cest NE VOUS RETOURNEZ pas de Nicholas Roeg mais aussi SOLAMENTE NERO dAntonio Bido.
Je suis daccord avec vous.
Cette idée du traitement de la violence, aussi, très particulier à lItalie. Dans LULTIMO TRENO DELLA NOTTE, qui sinspire mais je crois que vous netes pas vraiment daccord avec cela- de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE (Note : Aldo Lado fronce des sourcils). Tout en y ajoutant un sous-texte social, un double niveau de lecture, qui est propre à votre style.
Cest ce qui fait en effet la particularité de mes films.
Pourquoi ce choix des mélodies dans CHI LHA VISTA MORIRE? Comme la ritournelle chantée par une chorale denfants qui revient comme un leitmotiv.
Je voulais faire un conte de fée mais dans un mauvais sens pour les enfants. Un peu comme Hansel et Gretel. Cétait sur quoi nous avons travaillé et ce qui en est sorti est cette chanson, comme une obsession qui revient. Pour LULTIMO TRENO DELLA NOTTE, je souhaitais que lun des protagonistes utilise un instrument de musique. Impossible de mettre un piano ou un violoncelle dans un train ! Le choix sest porté sur lharmonica. Ce qui a donné aussi ce côté obsession dans le film. On entendait déjà quils étaient là, avant même que laction ne commence. La musique fait partie des éléments qui aident à donner les émotions, en harmonie avec le reste. Comme le silence. Le silence dans LULTIMO TRENO DELLA NOTTE, entre la fête des parents et la jeune fille qui meurt. Le silence joue comme une musique. Ennio écrivait des morceaux quon montait. Et puis, au montage, certaines musiques disparaissaient à sa demande, car elles étaient de trop.
Cest plutôt honnête de reconnaître cet état de fait.
Jai toujours essayé dêtre sincère dans mes films. Même dans ceux que jai raté. Jai toujours dit ce que je pensais. Lorsque jétais assistant, il mest arrivé deffectuer des repérages dans les pays de lEst. Etant un homme de gauche, jai toujours essayé de faire attention au social. Et une chose meffrayait dans les pays de lEst, cest que les gens avaient peur de parler. Pour moi, cétait terrible. Mais cest pour cela que jai toujours dit ce que je pensais. Je me suis pris des coups de bâtons sur la tête toute ma vie. Mais je continuerai.
Parlez-nous un peu de LA CUGINA avec Dayle Haddon, qui ne semble pas être sorti en France.
Cétait un roman dun écrivain sicilien, Ercole Patti. Tous ses romans étaient axés sur léveil à la sexualité. Ca ma plutôt amusé quon me propose de faire le film. Cétait aussi lépoque où les films un peu érotiques se faisaient en Italie. Une sorte de libéralisation du cinéma. Ici, jai fait une comédie. Lhistoire dun jeune homme de 18 ans et de sa cousine de 16 qui se touchaient un petit peu, mais sans aller plus loin. Mais la jeune fille voulait se placer dans la vie. Cétait une chose assez courante à lépoque en Italie, que les jeunes filles offrent leur virginité en cadeau de mariage. Elle se marie avec un baron... Et jai tiré tout le film sur le moment final, le mariage. Et lorsque son mari lui fait voir un cheval dans la cour du palais, on la voit se faire prendre par le cousin alors quelle est à la fenêtre. Je lai mené dune manière telle que le public a trouvé une sorte de défouloir au final. Le public qui a dailleurs très bien reçu le film. Javais choisi Christian de Sica pour le rôle du mari, parce quil avait une belle tête de cocu (rires).
Je ne crois pas que le film soit disponible en France. Lest-il en Italie ?
Je ne sais pas. Ca ne mintéresse pas beaucoup, en fait.
Vous ne voulez pas revoir vos films ?
(hésitant) Non pas spécialement. Je sais que certains de mes films sont sortis en DVD aux Etats-Unis. Jétais à Los Angeles il y a peu. On cherchait avec un ami des DVD à consonance écologique. Et je vois un coffret. « Tiens, un coffret jaune qui ressemble aux livres « gialli » sortis chez Mondadori ». Et surprise, je vois CHI LHA VISTA MORIRE? et LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO. Je ne savais même pas quils étaient sortis ! Javais fait des interviews avec un metteur en scène américain venu à Rome, mais personne ne mavait dit quand le DVD sortirait. Jai revu pour la première fois LULTIMO TRENO DELLA NOTTE lannée dernière, à la Cinémathèque française. Dans une copie dégueulasse, dailleurs. Et LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO pour le commentaire effectué pour loccasion. Mais je nai pas vu le film, seulement les images.
Concernant lambiance assez cauchemardesque de LULTIMO TRENO DELLA NOTTE, cétait voulu ?
Absolument. La lumière bleue du compartiment était comme une veilleuse. Je voulais que cela soit voyant. Comme les costumes des jeunes filles. Cétait un choix précis, car je naime pas laisser les choses au hasard. Jai toujours essayé davoir une ligne directrice en amont, en partant du scénario. Si vous tenez compte des problèmes dargent, de réunir les bons décors vous perdez déjà 20% de la force du scénario. Vous savez quavec les 100% du scénario, vous ne pourrez pas avoir les 80% restants. On vous change des choses et vous devez faire avec. Mais il faut garder en tête ce que vous voulez faire.
Macha Meril semble assez à laise. Quelles ont été vos recommandations pour la diriger ?
Je nai jamais donné de consignes aux acteurs. Je les dirigeais. Je savais ce que je voulais deux. Macha est une comédienne et actrice extraordinaire. Et le rôle du metteur en scène est de la mettre en situation. La comédienne est au théâtre, elle joue un rôle tous les jours, pendant des mois. Une actrice joue dans un film et une scène précise, en une seule fois. Le metteur en scène la met en situation. Et si cest une bonne actrice comme Macha Meril, elle va comprendre la situation de suite et jouer ce que vous voulez. Parce quelle donne. Javais ce personnage de la femme bourgeoise et comme nous avions le même agent, jai pu rencontrer Macha. Elle était parfaite pour le rôle. Encore aujourdhui, cest lemblème de la femme bourgeoise. Même si dans la vie, elle ne lest pas ! Sa façon dêtre, son regard. Je lui ai expliqué le rôle, qui nétait pas aussi important à lorigine. Et en la voyant et en lui expliquant cela, jai réécrit certaines scènes afin de la placer au centre du film et en faire la protagoniste. Elle a fait une performance incroyable.
A votre avis, que devient le personnage de Macha Meril, après la fin du film ?
Elle recommence sa perversion, ses jeux. Lorsquelle aura une autre occasion. Les gens ne peuvent pas changer. Il ny a rien à faire. Elle a pu sortir toute sa méchanceté et se cache derrière sa façade bourgeoise Mais elle recommencera.
Comment se sont déroulées les scènes dagression ? Comment un acteur arrive à simuler des scènes dagression aussi désagréables ? Comment être une victime ?
Je nai pas eu de problème car jai toujours su garder de bons rapports. Javais aussi choisi deux filles qui navaient jamais tourné. Et quoiquil en soit, être metteur en scène, cest aussi être un peu manipulateur. Irène Miracle avait un côté plus américain, plus maligne. Lautre avait encore un air de jeune vierge. Mais au départ, elles ne vivaient pas ce qui se passait. La violence dans le wagon a dabord été travaillée sur les gros plans. Donc demander des expressions précises. Ensuite les scènes densemble. Cest cela aussi, la manipulation. Fabriquer un film, cest manipuler. Vous trompez les spectateurs car les filles ne sont pas violées. Vous trompez les acteurs, car vous les obligez à faire des choses dans un contexte précis, mais sans le faire vivre. Jessayais aussi de ne pas traumatiser les jeunes filles. De la diplomatie dans la gestion du tournage, cest très important. Mais il sagit surtout déviter le piège du voyeurisme. Le personnage de voyeur dans LULTIMO TRENO DELLA NOTTE, je lai détesté. Cest un être épouvantable. Mais cest aussi un grosse partie de la société. Profiter du moment en cachette, comme Macha Meril.
Macha Meril, dans linterview du DVD, dit quelle a été déçue de laccueil réservé au film. Quen pensez vous ?
Je men foutais complètement. Javais fait le film, jen étais content et je voulais en faire un autre. Le reste mimportait peu. Jai su après sil avait marché ou non. Je navais jamais acheté de journaux pour lire des critiques. Ce nest quaujourdhui, après, que lon sintéresse à nouveau au film, quon ma ressorti les critiques de lépoque. Jai toujours été un artisan, travaillant uniquement sur mon produit.
Cela ne vous intéressait-il pas de savoir si le film rencontrait son public ?
Oui. Mais si le public refusait le film, ce nétait pas grave pour moi.
Certes mais cela représentait un risque si le public ne venait pas. Que vous ne trouviez plus de travail.
Je nai jamais vraiment pensé à cela Ceci dit, cest à ce moment que jai accepté divers travaux à la RAI. Linsécurité peut-être Mais mes films nont jamais mal marché. Certes, ce nétait pas les 2.700.000 entrées de LA CUGINA. Mais ce nétait pas une catastrophe. Quoiquil en soit, le résultat était le même : je ny gagnais pratiquement rien, que le film marche ou pas.