2. Partie 1
Francis Barbier : Vous avez fait vos premiers pas dans le cinéma comme scénariste ou assistant réalisateur de Maurizio Lucidi, Bernardo Bertolucci ou même sur FANTASIA CHEZ LES PLOUCS (avec aussi Claude Miller, comme assistant). Quest-ce qui vous a poussé à vous engager dans la voie du cinéma ?
Aldo Lado : Depuis tout petit, jai toujours voulu faire du cinéma. Mais, mes parents machetaient des livres. Alors, je les vendais pour aller cinéma Jattendais la sortie des gens du cinéma pour savoir si cétait bien. La première leçon que jai eue et que jai essayé dappliquer, sans toujours réussir dans mes films, fut lorsquune dame me dit « le film était magnifique. Jai pleuré tout le temps ». Donc, passer des émotions aux spectateurs. Car on fait des films pour les spectateurs. Et lorsque jai commencé à travailler vers 1955, ce fut dans le dessin animé. Puis jai glissé vers la publicité mais ce nétait pas du cinéma. Et là, jai quitté Venise pour Paris. Jai eu la chance de trouver un petit boulot comme dernier assistant sur le tournage dun film dAnatole Litvak, AIMEZ-VOUS BRAHMS ?. A la suite de certaines circonstances favorables je me suis retrouvé au bout de trois semaines premier assistant. Au milieu dAnthony Perkins et des autres à 26 ans, sans être allé sur un plateau, je me suis retrouvé à dire « moteur » car Litvak ne parlait pas français et à organiser les mouvements de figuration dans Paris. Jai tout appris à ce moment. Après mon travail avec Marcel Carné, Valerio Zurlini ma contacté pour un job de premier assistant sur un film quil na pas pu faire, LE JARDIN DES FINZI CONTINI. Et je suis revenu en Italie, avec ma famille à charge.
Pourquoi ne pas avoir continué dans cette voie dun cinéma plus classique, plus traditionnel ?
Il fallait manger et nourrir ma famille ! Alors jai commencé à accepter des jobs dans de petits westerns. Mais pas suffisamment pour faire vivre ma famille et rembourser largent emprunté. Alors jai eu une idée : écrire par moi-même. Mon premier scénario en main, je lai porté à Rome auprès de divers producteurs. Au bout dun certain temps, jai reçu un coup de fil me disant que mon idée était séduisante : javais mon premier contrat. Chemin faisant, jai pu écrire pour divers réalisateurs. Ma carrière de scénariste était lancée.
Et quels événements vous ont poussé à amorcer la carrière de réalisateur ?
Javais écrit le scénario de LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO, qui sappelait à lépoque MALASTRANA. Maurizio Lucidi, pour lequel javais écrit LA VICTIME DESIGNEE, la lu et voulait le faire. Je lui ai indiqué que je le gardais pour moi. Alors il a voulu le faire avec moi. Je lui ai dit que si le film marchait, le gloire serait pour lui et que sil ne marchait pas, ce serait ma faute. Alors jai refusé. Et je ne sais pas comment, mais Antonio Margheriti, avec lequel je suis resté ami, a pu le lire et m'a proposé de le tourner en Grèce. J'ai refusé là aussi, car mes influences sont celles dEurope Centrale. De voir le film en Grèce navait rien de bon. Et je reçois un appel dun jeune producteur, Enzo Doria qui a réussi avec quelques combines, à réunir largent nécessaire.
Le film sest dabord appelé MALASTRANA, puis LA CORTA NOTTE DELLE FARFALLE DI VETRO (« La courte nuit des papillons de verre »). Mais la sortie au même moment dun film au titre similaire a eu comme conséquence un changement de dernière minute.
Oui, ce fut à cause de UNA FARFALLA CON LE ALI INSAGUINATE (Note : « Un papillon aux ailes ensanglantées ») de Duccio Tessari et non pas 4 FARFALLE PER LASSASSINO (titre italien du film STRAIGHT ON TIL MORNING de Peter Collinson) comme certains le croient. Laffiche était déjà faite avec le titre. Il fallait donc cacher « farfalle » pour coller autre chose. Quelquun est venu avec lidée de mettre « bambole » (« poupées »), ce qui est à côté du film. On pourrait, au pire, penser que les jeunes filles sacrifiées sont des poupées de verre. Mais bon
Et que pensez-vous du titre français, JE SUIS VIVANT ?
Il est trop explicite, je ne laime pas beaucoup. Il nest même pas fascinant. Il dévoile trop de choses sans accrocher lintérêt.
Le casting était hétéroclite. Jean Sorel était très en vogue dans les sexy-gialli der Lenzi. Ingrid Thulin, Barbara Bach comment avez-vous fait pour travailler avec des acteurs dhorizons aussi différents. ?
Ingrid Thulin, une grande actrice. Très sérieuse, grande expérience avec Bergman. Quelque part, elle était physiquement plutôt tchèque, ce qui cadrait bien. Tout comme Barbara Bach, dont cétait le premier rôle, était plutôt comme un fille de Prague. Jean Sorel était une star à lépoque. Mais je pense quau point de vue du jeu, il a fait lun de ses meilleurs films avec moi. Il était très docile, ce qui est un plus pour un réalisateur comme moi qui est plus dans le travail de la direction dacteurs. La technique ne primait pas. Aujourdhui, cest le règne de la caméra et de la technique. On soccupe moins des acteurs. Et beaucoup de soi-disant bons acteurs deviennent mauvais, car pas dirigés.
Quel sentiment pour un premier tournage ?
Je navais pas le trac, curieusement. Cétait comme si javais déjà travaillé sur quatre ou cinq films ! Ce fut mon travail avec Marcel Carné sur TERRAIN VAGUE qui mapprit beaucoup de choses. Cétait naturel, mais je ne le savais même pas.
Cela se sent dans ce film. Jy ai perçu beaucoup dassurance et daudace. Le mélange de thèmes politiques et sociaux avec une intrigue qui ressemble à un Giallo teinté de surnaturel. Ce mélange désoriente le spectateur. C'était adroit, et inédit pour lépoque. Du moins c'est mon interprétation.
Jai écrit ce que je sentais. A lépoque, lorsquun magistrat italien mettait trop son nez dans des affaires louches, il était enterré vivant dans un endroit reculé pour ne plus gêner personne. Si javais écrit un film ouvertement politique, je naurais jamais vendu de scénario. Il fallait maquiller cela dans une histoire « à la mode ». Donc le Giallo. A côté, j'ai un amour spécial pour ce qui touche à l'Europe centrale. Mais, pour moi, ce nétait pas adroit. Jai juste écrit quelque chose que je pouvais réaliser. Car il faut aussi voir quon ne vous engage quen regardant largent que vous avez pu mettre dans la poche du producteur précédent.
Dun point de vue technique, votre choix de montage me plait beaucoup. Au début, Jean Sorel possède des flashs très brefs où Barbara Bach croque une pomme, les papillons de verre. Qui se retrouve en miroir à la fin avec à nouveau une série de flashs en accéléré, comme pour donner des poussées dadrénaline au spectateur perdu.
Vous avez tout à fait raison.
Et concernant le choix du Techniscope ?
Ce nétait pas un choix mais une obligation. Ce format permettait une économie de 50% pour le producteurs car cette technique de 2P faisait économiser beaucoup dargent aux producteurs (Note : le format Techniscope permettait lutilisation de deux perforations par image au lieu de quatre, doù une économie substantielle de pellicule). Une sorte de CinémaScope économique. Lorsque jai fait LULTIMO TRENO DELLA NOTTE, jai catégoriquement refusé le Techniscope, car je voulais un format plus intime, du 1.66:1. Jai du faire un compromis pour le 1.85:1. Mais c'était à cause du Western. Ce sont des films dextérieurs, à 60% et c'est la raison dêtre d'un tel format afin de bénéficier dune image plus ample. Ensuite, cest devenu purement économique.
Vous nappréciez donc pas ce format de 2.35:1 ?
Non, pour une raison très simple. Vous pouvez très mal cadrer un gros plan de manière vraiment centrale. Il faut toujours quelque chose en profondeur pour remplir limage. Cest une attention constante par rapport à ce que vous avez à lécran. Avec deux personnes qui se parlent, vous devez avoir quelque chose au milieu, sans pour autant se focaliser sur le discours. Cest gênant pour moi, afin de faire une image correcte. Si vous mettez quelque chose qui distrait le spectateur alors que vous racontez autre chose, vous le gênez.
Il faut certes jongler avec les informations. Vous avez néanmoins des choix de cadrages qui sont superbes. Notamment le plan final de lacadémie de médecine où la caméra est placée en haut de lhémicyclique. Cela ma oppressé lors de la première vision.
Là, il sagit dun choix précis. Je voulais un plan très large, grâce au Techniscope. Parce que je pense quil y a trois moments dans la réalisation dun film. Je nai hélas pas toujours eu la possibilité de le faire, parfois par manque denvie. Comme ce le fut pour LHUMANOÏDE (rires). Avoir lidée de ce que quon va faire. Puis lécriture du scénario, qui na rien à voir avec la littérature. Ce nest pas destiné à être oublié. Cela sert pour la discussion avec le producteur. A faire lire aux acteurs. Que vos collaborateurs, qui sont fondamentaux dans la réalisation du film, soient au courant de tous vos désirs. Mais cest transitoire. Ensuite, la réalisation. A lintérieur, la caméra : le choix du cadre que vous faites. Plongée, contre-plongée cest léquivalent de la forme de lécriture. Dans un livre, vous comprenez limportance de la ponctuation. Le choix du cadre et ainsi les mouvement de la caméra (un travelling ou non), cétait pour moi léquivalent de cette ponctuation. Jai parfois réussi, pas toujours, à faire passer une émotion dans un plan large. Cest une question décriture.
En parlant démotions, vous avez lapport de la musique qui demeure importante dans le film. Vous avez initié une longue collaboration avec Ennio Morricone. Pourquoi ce choix ?
Ce nétait pas mon choix mais celui du producteur. Nous nous sommes très bien entendus par la suite. La différence ici, c'est quil a fait la musique une fois le film fini. Pour la chanson, javais écrit le texte en allemand pour coller au mouvement hippie et Ennio a composé la musique après. Pour les films suivants, je lui ai donné les scénarios. Il me proposait des thèmes, des maquettes pour certaines séquences choisies. Ceci pour avoir pendant le tournage la longueur dun travelling que je souhaitais. Cest difficile pour un musicien de construire une mélodie à lintérieur dune longueur qui nest pas celle de la musique. Je construisais alors mes mouvement de caméra avec une cassette de la musique que je mettais sur le tournage : javais ainsi une idée de la longueur souhaitée.