Interview Aldo Lado (05-02-2007)

2. Partie 1

Francis Barbier : Vous avez fait vos premiers pas dans le cinéma comme scénariste ou assistant réalisateur de Maurizio Lucidi, Bernardo Bertolucci ou même sur FANTASIA CHEZ LES PLOUCS (avec aussi Claude Miller, comme assistant). Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans la voie du cinéma ?

Aldo Lado : Depuis tout petit, j’ai toujours voulu faire du cinéma. Mais, mes parents m’achetaient des livres. Alors, je les vendais pour aller cinéma… J’attendais la sortie des gens du cinéma pour savoir si c’était bien. La première leçon que j’ai eue et que j’ai essayé d’appliquer, sans toujours réussir dans mes films, fut lorsqu’une dame me dit « le film était magnifique. J’ai pleuré tout le temps ». Donc, passer des émotions aux spectateurs. Car on fait des films pour les spectateurs. Et lorsque j’ai commencé à travailler vers 1955, ce fut dans le dessin animé. Puis j’ai glissé vers la publicité mais ce n’était pas du cinéma. Et là, j’ai quitté Venise pour Paris. J’ai eu la chance de trouver un petit boulot comme dernier assistant sur le tournage d’un film d’Anatole Litvak, AIMEZ-VOUS BRAHMS ?. A la suite de certaines circonstances favorables je me suis retrouvé au bout de trois semaines premier assistant. Au milieu d’Anthony Perkins et des autres… à 26 ans, sans être allé sur un plateau, je me suis retrouvé à dire « moteur » car Litvak ne parlait pas français et à organiser les mouvements de figuration dans Paris. J’ai tout appris à ce moment. Après mon travail avec Marcel Carné, Valerio Zurlini m’a contacté pour un job de premier assistant sur un film qu’il n’a pas pu faire, LE JARDIN DES FINZI CONTINI. Et je suis revenu en Italie, avec ma famille à charge.

Pourquoi ne pas avoir continué dans cette voie d’un cinéma plus classique, plus traditionnel ?

Il fallait manger et nourrir ma famille ! Alors j’ai commencé à accepter des jobs dans de petits westerns. Mais pas suffisamment pour faire vivre ma famille et rembourser l’argent emprunté. Alors j’ai eu une idée : écrire par moi-même. Mon premier scénario en main, je l’ai porté à Rome auprès de divers producteurs. Au bout d’un certain temps, j’ai reçu un coup de fil me disant que mon idée était séduisante : j’avais mon premier contrat. Chemin faisant, j’ai pu écrire pour divers réalisateurs. Ma carrière de scénariste était lancée.

Et quels événements vous ont poussé à amorcer la carrière de réalisateur ?

J’avais écrit le scénario de LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO, qui s’appelait à l’époque MALASTRANA. Maurizio Lucidi, pour lequel j’avais écrit LA VICTIME DESIGNEE, l’a lu et voulait le faire. Je lui ai indiqué que je le gardais pour moi. Alors il a voulu le faire avec moi. Je lui ai dit que si le film marchait, le gloire serait pour lui et que s’il ne marchait pas, ce serait ma faute. Alors j’ai refusé. Et je ne sais pas comment, mais Antonio Margheriti, avec lequel je suis resté ami, a pu le lire et m'a proposé de le tourner en Grèce. J'ai refusé là aussi, car mes influences sont celles d’Europe Centrale. De voir le film en Grèce n’avait rien de bon. Et je reçois un appel d’un jeune producteur, Enzo Doria qui a réussi avec quelques combines, à réunir l’argent nécessaire.

Le film s’est d’abord appelé MALASTRANA, puis LA CORTA NOTTE DELLE FARFALLE DI VETRO (« La courte nuit des papillons de verre »). Mais la sortie au même moment d’un film au titre similaire a eu comme conséquence un changement de dernière minute.

Oui, ce fut à cause de UNA FARFALLA CON LE ALI INSAGUINATE (Note : « Un papillon aux ailes ensanglantées ») de Duccio Tessari et non pas 4 FARFALLE PER L’ASSASSINO (titre italien du film STRAIGHT ON TIL MORNING de Peter Collinson) comme certains le croient. L’affiche était déjà faite avec le titre. Il fallait donc cacher « farfalle » pour coller autre chose.  Quelqu’un est venu avec l’idée de mettre « bambole » (« poupées »), ce qui est à côté du film. On pourrait, au pire, penser que les jeunes filles sacrifiées sont des poupées de verre. Mais bon…

Et que pensez-vous du titre français, JE SUIS VIVANT ?

Il est trop explicite, je ne l’aime pas beaucoup. Il n’est même pas fascinant. Il dévoile trop de choses sans accrocher l’intérêt.

Le casting était hétéroclite. Jean Sorel était très en vogue dans les sexy-gialli der Lenzi. Ingrid Thulin, Barbara Bach… comment avez-vous fait pour travailler avec des acteurs d’horizons aussi différents. ?

Ingrid Thulin, une grande actrice. Très sérieuse, grande expérience avec Bergman. Quelque part, elle était physiquement plutôt tchèque, ce qui cadrait bien. Tout comme Barbara Bach, dont c’était le premier rôle, était plutôt comme un fille de Prague. Jean Sorel était une star à l’époque. Mais je pense qu’au point de vue du jeu, il a fait l’un de ses meilleurs films avec moi. Il était très docile, ce qui est un plus pour un réalisateur comme moi qui est plus dans le travail de la direction d’acteurs. La technique ne primait pas. Aujourd’hui, c’est le règne de la caméra et de la technique. On s’occupe moins des acteurs. Et beaucoup de soi-disant bons acteurs deviennent mauvais, car pas dirigés.

Quel sentiment pour un premier tournage ?

Je n’avais pas le trac, curieusement. C’était comme si j’avais déjà travaillé sur quatre ou cinq films ! Ce fut mon travail avec Marcel Carné sur TERRAIN VAGUE qui m’apprit beaucoup de choses. C’était naturel, mais je ne le savais même pas.

Cela se sent dans ce film. J’y ai perçu beaucoup d’assurance et d’audace. Le mélange de thèmes politiques et sociaux avec une intrigue qui ressemble à un Giallo teinté de surnaturel. Ce mélange désoriente le spectateur. C'était adroit, et inédit pour l’époque. Du moins c'est mon interprétation.

J’ai écrit ce que je sentais. A l’époque, lorsqu’un magistrat italien mettait trop son nez dans des affaires louches, il était enterré vivant dans un endroit reculé pour ne plus gêner personne. Si j’avais écrit un film ouvertement politique, je n’aurais jamais vendu de scénario. Il fallait maquiller cela dans une histoire « à la mode ». Donc le Giallo. A côté, j'ai un amour spécial pour ce qui touche à l'Europe centrale. Mais, pour moi, ce n’était pas adroit. J’ai juste écrit quelque chose que je pouvais réaliser. Car il faut aussi voir qu’on ne vous engage qu’en regardant l’argent que vous avez pu mettre dans la poche du producteur précédent.

D’un point de vue technique, votre choix de montage me plait beaucoup. Au début, Jean Sorel possède des flashs très brefs où Barbara Bach croque une pomme, les papillons de verre. Qui se retrouve en miroir à la fin avec à nouveau une série de flashs en accéléré, comme pour donner des poussées d’adrénaline au spectateur perdu.

Vous avez tout à fait raison.

Et concernant le choix du Techniscope ?

Ce n’était pas un choix mais une obligation. Ce format permettait une économie de 50% pour le producteurs car cette technique de 2P faisait économiser beaucoup d’argent aux producteurs (Note : le format Techniscope permettait l’utilisation de deux perforations par image au lieu de quatre, d’où une économie substantielle de pellicule). Une sorte de CinémaScope économique. Lorsque j’ai fait L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE, j’ai catégoriquement refusé le Techniscope, car je voulais un format plus intime, du 1.66:1. J’ai du faire un compromis pour le 1.85:1. Mais c'était à cause du Western. Ce sont des films d’extérieurs, à 60% et c'est la raison d’être d'un tel format afin de bénéficier d’une image plus ample. Ensuite, c’est devenu purement économique.

Vous n’appréciez donc pas ce format de 2.35:1 ?

Non, pour une raison très simple. Vous pouvez très mal cadrer un gros plan de manière vraiment centrale. Il faut toujours quelque chose en profondeur pour remplir l’image. C’est une attention constante par rapport à ce que vous avez à l’écran. Avec deux personnes qui se parlent, vous devez avoir quelque chose au milieu, sans pour autant se focaliser sur le discours. C’est gênant pour moi, afin de faire une image correcte. Si vous mettez quelque chose qui distrait le spectateur alors que vous racontez autre chose, vous le gênez.

Il faut certes jongler avec les informations. Vous avez néanmoins des choix de cadrages qui sont superbes. Notamment le plan final de l’académie de médecine où la caméra est placée en haut de l’hémicyclique. Cela m’a oppressé lors de la première vision.

Là, il s’agit d’un choix précis. Je voulais un plan très large, grâce au Techniscope. Parce que je pense qu’il y a trois moments dans la réalisation d’un film. Je n’ai hélas pas toujours eu la possibilité de le faire, parfois par manque d’envie. Comme ce le fut pour L’HUMANOÏDE (rires). Avoir l’idée de ce que qu’on va faire. Puis l’écriture du scénario, qui n’a rien à voir avec la littérature. Ce n’est pas destiné à être oublié. Cela sert pour la discussion avec le producteur. A faire lire aux acteurs. Que vos collaborateurs, qui sont fondamentaux dans la réalisation du film, soient au courant de tous vos désirs. Mais c’est transitoire. Ensuite, la réalisation. A l’intérieur, la caméra : le choix du cadre que vous faites. Plongée, contre-plongée…c’est l’équivalent de la forme de l’écriture. Dans un livre, vous comprenez l’importance de la ponctuation. Le choix du cadre et ainsi les mouvement de la caméra (un travelling ou non), c’était pour moi l’équivalent de cette ponctuation. J’ai parfois réussi, pas toujours, à faire passer une émotion dans un plan large. C’est une question d’écriture.

En parlant d’émotions, vous avez l’apport de la musique qui demeure importante dans le film. Vous avez initié une longue collaboration avec Ennio Morricone. Pourquoi ce choix ?

Ce n’était pas mon choix mais celui du producteur. Nous nous sommes très bien entendus par la suite. La différence ici, c'est qu’il a fait la musique une fois le film fini. Pour la chanson, j’avais écrit le texte en allemand pour coller au mouvement hippie et Ennio a composé la musique après. Pour les films suivants, je lui ai donné les scénarios. Il me proposait des thèmes, des maquettes pour certaines séquences choisies. Ceci pour avoir pendant le tournage la longueur d’un travelling que je souhaitais. C’est difficile pour un musicien de construire une mélodie à l’intérieur d’une longueur qui n’est pas celle de la musique. Je construisais alors mes mouvement de caméra avec une cassette de la musique que je mettais sur le tournage : j’avais ainsi une idée de la longueur souhaitée.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
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Aldo Lado, Blanche Aurore Duault & Neo Publishing