PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK ayant connu un beau succès commercial, Peter Weir dispose de plus de moyens pour son troisième long-métrage LA DERNIÈRE VAGUE. A partir d'une de ses propres idées originales, il rédige un scénario qui subit, ensuite, plusieurs remaniements. En effet, pour son récit mettant en scène les aborigènes et leurs croyances, Weir collabore avec une fondation tribale, dont un des présidents, Nandjiwarra Amagula, interprète Charlie dans le film. Cette fondation veille d'une part, à ce que les coutumes des tribus soient rendues avec exactitude et, d'autre part, exige que des secrets rituels ne soient pas révélés dans le film.
Dans LA DERNIÈRE VAGUE, les hommes accusés du meurtre de Billy Corman sont, à l'exception de Chris Lee (David Gulpilil), interprétés par d'authentiques aborigènes tribaux, qui ne sont jamais apparus au cinéma auparavant ou ensuite. David Gulpilil, de son côté, s'est d'abord fait connaître comme un danseur traditionnel, puis il est apparu dans LA RANDONNÉE, tourné en Australie par l'anglais Nicolas Roeg. Depuis, il est devenu un acteur célèbre, dont le visage marquant a été vu dans des productions internationales (L'ÉTOFFE DES HÉROS, JUSQU'AU BOUT DU MONDE de Wim Wenders...). L'acteur américain Richard Chamberlain, qui n'avait pas encore joué dans les célèbres séries SHOGUN et LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR, incarne l'avocat David Burton.
En Australie, des phénomènes météorologiques inexplicables se multiplient. Ainsi, une pluie d'énormes grêlons s'abat sur une région désertique, tandis que Sidney est pris dans une tempête d'une inhabituelle violence. David Burton, un avocat spécialisé dans les affaires fiscales, est chargé de défendre, dans le cadre de l'aide juridictionnelle, des aborigènes accusés d'avoir tué un des leurs au cours d'une bagarre. Il découvre que cette affaire pourrait être liée à un crime rituel. Mais les accusés récusent cette thèse, qui pourrait pourtant leur être favorable devant la cour. De plus, Burton est hanté par des rêves et des visions étranges...
Dans LA DERNIÈRE VAGUE, il est révélé très tôt que le meurtre de Billy Corman n'a effectivement rien d'une banale rixe nocturne. Cet aborigène est en fait puni parce qu'il a trahi les secrets d'une tribu. Or, dans ces sociétés, rien n'est plus sacré que le secret entourant les rituels et les légendes. C'est la connaissance de ces traditions qui établit la place de l'individu dans une hiérarchie initiatique et, donc, dans la structure sociale interne d'un clan. Ne pas respecter ces secrets équivaut donc à un crime très grave à son encontre. Il est, par conséquent, sévèrement puni, en l'espèce par une mise à mort magique.
Or, les jurys australiens, conscients de l'importance de ces traditions, se montrent compréhensifs envers les auteurs des crimes rituels. Burton découvre progressivement que la mort de Billy Corman relève bien d'une telle affaire, et il veut plaider dans ce sens au tribunal. Pourtant, il va avoir bien du mal à prouver ses dires. D'une part, les experts blancs sont formels : les Noirs des grandes villes sont acculturés et n'ont plus aucun lien avec le mode de vie tribal qu'on trouve encore, intact depuis des dizaines de millénaires, hors des cités. Un crime rituel dans les rues de Sidney leur paraît impossible. Surtout, les accusés eux-mêmes refusent de témoigner dans ce sens, et affirment qu'il s'agit d'un banal fait divers. En fait, ils sont bien membres d'une tribu, implantée en secret depuis toujours sur le territoire de la ville. Mais ils préfèrent risquer la prison plutôt que de révéler son existence aux blancs.
Dans sa représentation du peuple aborigène, LA DERNIÈRE VAGUE ne cherche pas à montrer, sur un ton réaliste, les déboires d'individus brisés par une civilisation blanche et urbaine les traitant de façon injuste. Au contraire, il décrit une peuplade qui, même dans une cité comme Sidney, réussit à garder sa puissance et sa cohésion en restant fidèle à ses traditions ancestrales. Légitimée par des dizaines de milliers d'années d'existence, elle reste profondément enracinée dans le sol de l'Australie, et donc, survit même dans les endroits que les blancs pensent avoir définitivement conquis. En cela, ce film paraît annonciateur de WOLFEN, qui transpose un discours semblable à New York, avec les amérindiens.
Le fantastique de LA DERNIÈRE VAGUE ne trouve donc pas ses sources dans un folklore occidental classique, mais bien dans les croyances et les traditions des aborigènes d'Australie. De plus, certains éléments répandus dans d'autres civilisations anciennes sont aussi présents, et apportent au film une originalité de ton et de propos tout à fait remarquable.
Comme dans PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK, Peter Weir met en scène les séquences fantastiques et étranges avec une très grande maîtrise. A nouveau épaulé par le chef-opérateur Russell Boyd, il propose des images somptueuses et angoissantes, faisant planer une ambiance sourdement apocalyptique sur Sidney. Toujours comme dans PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK, une élaboration judicieuse, voire expérimentale, de la bande-son participe de la réussite atmosphérique indéniable de LA DERNIÈRE VAGUE.
Toutefois, ce film propose un récit un peu plus explicite que PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK. Si le mystère entourant le rocher volcanique de ce dernier ne s'éclaircit à aucun moment, l'avocat de LA DERNIÈRE VAGUE trouve des réponses à certaines de ses questions, et des éléments fantastiques sont justifiés par des explications. Pourtant, LA DERNIERE VAGUE reste, encore, par bien des aspects, assez énigmatique. Sa fin, notamment, a donné lieu à des interprétations bien contradictoires. Weir semble donc hésiter entre l'œuvre d'ambiance et le thriller classique, aboutissant à un résultat un peu déséquilibré. Ainsi, certains critiques lui reprochent d'être trop flou dans son propos, tandis que d'autres regrettent son caractère trop bavard et explicatif ! En tous cas, il est exact que quelques scènes banales (la famille de Burton, par exemple) cassent un peu l'élan du film.
LA DERNIÈRE VAGUE est néanmoins une belle réussite de Peter Weir, un film original, qu'il est même recommandé de visionner plusieurs fois pour mieux en saisir la richesse. Il reçoit, comme PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK, un bon accueil international. En France, il est présenté à la sixième édition du festival du film fantastique d'Avoriaz, où il récolte le Prix Spécial du Jury (le Grand Prix allant, cette année là, au CERCLE INFERNAL).
LA DERNIÈRE VAGUE est déjà sorti en DVD aux USA chez Criterion (zone 1, NTSC), dans une édition proposant le film dans un cadrage 1.77 (avec option 16/9) et un remixage de la bande-son (mono d'origine) en Dolby Digital 5.1. Les seuls bonus sont une bande-annonce et une courte interview de Peter Weir. Il sort en France chez Opening, éditeur chez lequel on peut acquérir le disque à l'unité ou dans un coffret contenant, en plus, PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK, LES VOITURES QUI ONT MANGE PARIS et LE PLOMBIER.
Le film est proposé dans un cadrage 1.85 (avec option 16/9), c'est-à-dire le même que celui de sa sortie en salles. L'image est globalement très belle, avec notamment de belles couleurs et un télécinéma assez propre (malgré quelques points blancs). Par contre, les scènes sombres trahissent une compression un peu trop visible, aboutissant à des images parfois légèrement "boueuses". Cela reste un bon disque néanmoins.
La bande-son originale anglaise est disponible dans un nouveau mixage Dolby Digital 2.0, particulièrement efficace quand il s'agit de mettre en valeur la musique ou certains effets sonores (grondements, tonnerre...). La piste française est en mono d'origine, dans un mixage plus banal. Le sous-titrage français est amovible.
En bonus, on trouve la bande-annonce d'époque (en anglais non sous-titrée), ainsi que les bio-filmographies de Weir, Richard Chamberlain, David Gulpilil, Russel Boyd et des frères McElroy (producteurs). Ce sont hélas les seuls suppléments dédiés à LA DERNIÈRE VAGUE disponibles sur ce disque.
Par contre, on a aussi 40.000 ANS DE RÊVE, un excellent documentaire (67 minutes !), réalisé et présenté par George Miller (MAD MAX...), dédié au centenaire du cinéma australien. On peut encore consulter une bibliographie extrêmement sérieuse dédiée à cette cinématographie, qui inclut des ouvrages francophones et anglophones, ainsi qu'une liste de sites internet à visiter.
Bref, ce DVD propose une bonne édition de LA DERNIÈRE VAGUE, qui rend notamment ce film accessible aux francophones grâce à son doublage et à son sous-titrage dans notre langue.