Header Critique : PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK (PICNIC AT HANGING ROCK)

Critique du film et du DVD Zone 0
PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK 1975

PICNIC AT HANGING ROCK 

Après son premier long métrage LES VOITURES QUI ONT MANGE PARIS, l'australien Peter Weir persévère dans le fantastique en tournant une adaptation de "Picnic At Hanging Rock", un roman écrit par l'australienne Joan Lindsay et publié en 1967. La productrice Patricia Lovell en acquiert les droits dès 1972 et propose ce projet au réalisateur. Celui-ci est enthousiaste, et le travail d'adaptation est confié à Cliff Green. Le financement, assuré essentiellement par des fonds publics (nationaux avec l'Australian Film Commission ; fédéraux avec la South Australian Film Corporation), est rassemblé, tandis que les acteurs sont recrutés en Australie, mais aussi en Grande-Bretagne : ainsi, le jeune britannique est incarné par l'anglais Dominic Guard (qui tenait le rôle-titre dans le "Palme-d'Orisé" LE MESSAGER de Joseph Losey), tandis que la directrice de l'école est interprétée par Rachel Roberts (TERREUR SUR LA LIGNE...). Le film est tourné, en six semaines, dans les états australiens de Victoria (où se trouve le site de Hanging Rock) et de l'Australie Méridionale, en décor naturel et en studio.

En 1900, les jeunes filles élèves au lycée d'Appleyard se rendent en excursion, le jour de la Saint-valentin, à Hanging Rock, une énorme roche volcanique trônant au cœur du bush australien. Au cours de cette randonnée, des évènements étranges ont lieu. Toutes les montres s'arrêtent à midi, tandis que, plus tard, trois élèves et leur professeur de mathématiques sont portées disparues. Des fouilles sont organisées par les autorités, en vain. Parmi les dernières personnes ayant vu les trois élèves, un jeune anglais, Michael Fitzhubert, décide de revenir quelques jours plus tard à Hanging Rock afin de mener ses propres recherches...

PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK s'ouvre sur un carton résumant, en quelques lignes, son intrigue : le 14 février 1900, les élèves d'une école pour jeunes filles se rendent à Hanging Rock, afin d'y pique-niquer ; certaines vont mystérieusement y disparaître. Contrairement à ce que semble annoncer cette introduction, il n'est pas du tout évident que cette histoire soit inspirée d'un fait divers réel. D'ailleurs, Joan Lindsay a toujours laissé planer l'ambiguïté à ce sujet, contribuant ainsi largement à la trouble mythologie entourant son roman.

Puis, Hanging Rock nous apparaît, surgissant au milieu de la nature et de la brume, tandis qu'une voix d'adolescente récite, en guise de Sésame à ce film, un passage du poème d'Edgar Allan Poe "Un rêve dans un rêve" : "Tout ce que nous voyons ou paraissons, n'est qu'un rêve dans un rêve." Le métrage restitue ensuite l'étrange Saint-valentin des élèves d'Appleyard, des préparatifs du matin jusqu'au retour en catastrophe, à la nuit tombée. Cette ouverture joue alors habilement sur les contrastes. Contrastes entre la nature sauvage et les jeunes adolescentes victoriennes, rayonnantes et paisibles, semblant vivre dans un Eden intemporel, où l'on passe ses journées à lire des poèmes d'amour et à cueillir des fleurs pour garnir les herbiers. Ce temps suspendu, cette atmosphère gracieuse d'une subtilité inouïe sont merveilleusement mis en valeur par un inoubliable assortiment musical de compositions classiques (Beethoven, pour ce qui concerne l'école et ses élèves) et d'extraits d'un disque de Gheorghe Zamfir, célèbre joueur de flûte de Pan, mélangés à une partition contemporaine de Bruce Smeaton (essentiellement utilisée aux environs de Hanging Rock).

Après avoir exploré l'atmosphère délicate de l'école, Weir nous plonge progressivement dans une ambiance de plus en plus fantastique, comme les jeunes filles se rapprochent de Hanging Rock. Archi-civilisées, elles sont confrontées au spectacle d'une nature imposante, majestueuse, où fusionnent en une puissante harmonie les règnes animal, végétal, et bien sûr, minéral. Comme la journée avance, les petites touches insolites se multiplient. Le site semble exercer une influence étrange sur ses "envahisseurs", que ce soit les objets (les montres s'arrêtent) ou les êtres (les jeunes femmes se mettent à déclamer des propos philosophiques et poétiques de plus en plus insaisissables). La réalisation souligne ce glissement vers l'onirisme, en recourant à des effets techniques brisant une reproduction "réaliste" des évènements (ralentis, fondus, cadrages inattendus...). De même, la bande-son recourt à des effets étranges (bourdonnement de provenance indéterminée...) soulignant encore l'aura mystérieuse émanant du rocher volcanique.

Moment d'une grâce inouïe, le commencement de PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK relève du miracle cinématographique. Renouvelant totalement une situation du cinéma d'épouvante pourtant classique (des jeunes vierges livrées à un monstre), Weir y fait preuve d'une intuition et d'une maîtrise exceptionnelle dans l'emploi des moyens cinématographiques mis à sa disposition. Il tisse un mystère d'une infinie subtilité, où une pureté éblouissante se mêle à un très subtil érotisme.

PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK a souvent été rapproché, à raison, de L'AVVENTURA de Michelangelo Antonioni, dans lequel une jeune femme disparaît mystérieusement sur une île, au cours d'une croisière sur la Méditerranée, laissant ses amis dans le plus total désarroi. Ce film n'éclaircit, à aucune moment, ce fait mystérieux, mais étudie, avant tout, les réactions de ses personnages déstabilisés par cette perte incompréhensible. L'œuvre de Weir va bien dans le même sens, notamment en décrivant la manière tragique dont est vécue cette énigme par l'entourage des jeunes filles. Le jeune Michael, qui n'avait entrevu la belle Miranda qu'un moment, est hanté par son visage et sa grâce. Sarah, une orpheline de l'école, qui aimait cette jeune disparue avec une tendresse sans limite, va aussi plonger dans le désespoir. La directrice de l'école devra faire face au scandale qui s'abat sur son "irréprochable" établissement, scandale inadmissible dans la société inflexible où elle évolue.

PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK fonctionne comme un affrontement entre deux mondes : d'une part une grande-bourgeoisie coloniale d'origine britannique ; d'autre part, un pays, l'Australie, dominé par des forces liées à la nature et présentes depuis des millions d'années. Les "victimes" de Hanging Rock sont ainsi de jeunes gens raffinés, issus des plus hautes classes sociales anglaises. A deux reprises, l'influence de la mystérieuse roche nous est exposée : lorsque les trois jeunes filles s'y promènent avant de disparaître ; lorsque Michael l'explore seul. Ils sont d'abord pris sous une emprise hypnotique, les poussant à s'allonger et à s'endormir. A son réveil, Michael a les mains et le visage couverts de mystérieuses traces de coup, tandis que sa visite a provoqué la réapparition, non moins incompréhensible, d'Irma, une des disparues de la Saint-valentin, qui porte le même type de blessures.

Par contre, les policiers et autres australiens d'extraction plus modeste (comme Albert, le serviteur de la famille Fitzhubert) semblent épargnés par cette influence destructrice. Il est possible, dès lors, que ces colons, implantés depuis plusieurs générations sur le continent et ayant créé un mode de vie mieux en harmonie avec lui, sont tolérés par le rocher. Mais les visiteurs liés à la société britanniques, qui tentent, eux, de reconstituer à l'identique l'univers anglais et ses coutumes se condamnent à rester des étrangers dans ce pays, qui les rejette ou les broie.

Mais si Hanging Rock détruit les enfants de la civilisation anglaise, celle-ci a aussi ses propres outils pour broyer, tout aussi impitoyablement, les êtres. Le lycée d'Appleyard semble un écho de la gigantesque masse de lave solidifiée. Y dépérissent ceux qui y sont enfermés, comme l'orpheline Sarah, plus proche des colons australiens classiques que de l'"élite" britannique ; ou encore, la directrice elle-même. Incarnation d'une "civilisation" arrogante, convaincue de l'universalité de ses valeurs, l'école représente un système fragile, et, en fait, bien jeune si on le rapporte aux mystères de la nature dont est dépositaire le monument naturel, sur lequel il va se briser, inéluctablement.

Film singulier, inimitable, apportant au cinéma fantastique mondial un souffle unique, PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK rencontre un énorme succès public dans son pays. Il s'ensuit toute une vague de films fantastiques australiens, qui connaîtront des carrières internationales, jusqu'au milieu des années 1980. Ce film se fait aussi remarquer dans divers festivals à travers le monde. Ainsi, il est présenté en mars 1976 dans la sélection officielle du sixième Festival du Film Fantastique de Paris qui, pour la première fois, se tenait au Rex. PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK ne recueille que le prix d'interprétation féminine (pour l'ensemble des actrices), tandis que le Grand Prix va à SOUDAIN, LES MONSTRES... Si le film de Peter Weir finit bien par sortir dans nos salles, en mars 1977, il n'est exploité aux USA qu'en 1979, après la distribution de LA DERNIERE VAGUE.

Avec les années, PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK devient un grand classique du cinéma australien. En 1998, une réédition est organisée aux USA, pour laquelle Peter Weir revoit le montage de son film, et retire notamment sept minutes de métrage afin de proposer un "Director's Cut" qu'il juge plus satisfaisant. De même, il refait un étalonnage des couleurs totalement neutre, alors qu'en 1975, les copies avaient été tirées avec une dominante dorée, qu'il juge aujourd'hui démodée. C'est cette nouvelle version de PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK qui sort au sein du coffret "Peter Weir" proposé par Opening, aux côtés de LES VOITURES QUI ONT MANGE PARIS, LA DERNIERE VAGUE et LE PLOMBIER.

L'image est proposée dans un cadrage 1.77 (avec option 16/9), proche du format panoramique 1.66 d'origine. Le télécinéma est globalement de toute beauté, avec notamment un rendu des couleurs et de la lumière d'un très grand naturel. A la limite, on peut regretter des points blancs et quelques plans à la fixité perfectible. Mais la compression restant, globalement, très discrète (à part peut-être sur quelques plans un peu flous), le résultat d'ensemble reste admirable.

La bande-son est disponible en version originale anglaise dans un mixage Dolby Surround réalisé à l'occasion de la réédition de 1998. Il est globalement de très bonne qualité (notamment pour la restitution de la musique), même si certaines duretés sont perceptibles. La piste française d'époque (mono) sonne, en comparaison, très fatiguée et nasillarde. Bonne nouvelle en ce qui concerne le sous-titrage français disponible : il est amovible à volonté.

Mais, signalons que, sur le lecteur Pioneer utilisé pour ce test, le DVD a trahi un bug de pressage très gênant : le film se bloque à la quatre-vingt cinquième minute, et, pour reprendre la lecture, on n'a pas d'autre choix que de le relancer à partir du chapitre suivant. Après des essais sur plusieurs lecteurs, il faut se rendre à l'évidence : ce défaut n'affecte que certains lecteurs.

La section bonus propose d'abord une interview très intéressante de la productrice Patricia Lovell, qui revient, durant une vingtaine de minutes, sur la genèse et la carrière de PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK. On regrette juste que ce bonus n'ait pas bénéficié d'une finition un peu plus soignée (un peu de montage aurait été le bienvenu pour éliminer certaines hésitations et digressions). On trouve encore plusieurs bio-filmographies soignées (voire très soignée pour Weir) des divers créateurs du film. Enfin, on peut consulter la bande-annonce d'époque (en langue anglaise et non sous-titrée), qui permet de comparer le nouvel étalonnage "naturel" à celui, "doré", de sa sortie. Dommage que les séquences retirées par Weir à l'occasion de la réédition de 1998 n'aient pas été incluses en supplément.

Enfin, le film est accompagné de deux courts-métrages australiens récents : DUST de Ivan Sen, interprété notamment par Alexandra Cassavetes (fille de Gena Rowlands et John Cassavetes) ; et LOST de Jo Kennedy, qui constitue un hommage évident à PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK. Certes, ils sont intéressants, mais on aurait peut-être encore mieux aimé trouver quelques-uns des nombreux courts-métrages réalisés par Peter Weir dans les années 1960-1970...

Beau transfert 16/9, sous-titrage français, interview exclusive de la productrice... Par bien des aspects, ce DVD français peut rivaliser sans trop de complexes avec le DVD américain (zone 1, NTSC) sorti par Criterion, qui souffrait notamment d'une quasi-absence de bonus (on n'y trouvait que la bande-annonce). Malheureusement, le problème des DVD buggés reste à résoudre...

En guise de conclusion de ce test, signalons qu'en 1969, un jeune réalisateur de 14 ans (!), Tony Ingram, avait tenté de faire une première adaptation de "Picnic At Hanging Rock", sous le titre THE DAY OF SAINT VALENTINE (16 mm, noir et blanc). Ce projet n'a pas été mené à son terme, mais on peut télécharger six minutes de ses rushs sur le site australien du monument de Hanging Rock !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
PICNIC AT HANGING ROCK DVD Zone 0 (France)
Editeur
Support
4 DVD
Origine
France (Zone 0)
Date de Sortie
Durée
1h42
Image
1.78 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Stéréo
Francais Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Aucun
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