John Nada (Roddy Pipper)
est un laissé pour compte de l'expansionnisme américain.
Devenu sans abri suite à une vague de chômage dans les
milieux ouvriers, il tente de survivre au jour le jour. Fraîchement
arrivé à Los Angeles, Nada trouve rapidement un travail
d'ouvrier du bâtiment et un toit à Justice Ville, le bidonville
servant de refuge à la main d'uvre du chantier. Mais il
apparaît très vite à Nada que Justice Ville abrite
une société secrète au dessein inconnu. C'est en
fouinant autour de l'organisation que ce dernier met la main sur des
lunettes de soleil conférant au porteur la vision réelle
de notre monde moderne : l'humanité est asservie à coups
de messages subliminaux par des extra-terrestres s'enrichissant sur
la société de consommation. Pour John Nada, la résistance
commence alors.
THEY LIVE est le deuxième film de Carpenter pour Alive Films, société de production ayant offert au cinéaste carte blanche sur de tout petits budgets au lendemain du flop (injustifié) des AVENTURES DE JACK BURTON. Il faut savoir que le cinéaste est à ce moment très en colère contre le système hollywoodien et qu'il ne voit pas son retour sur grand écran autrement que par le biais de films sans absolument aucune concession. Regonflé comme jamais face à la liberté totale que lui confère Alive, ces budgets serrés redynamiseront la filmographie de Carpenter puisqu'il signera le formidablement flippant PRINCE OF DARKNESS, puis ce très engagé THEY LIVE, soit deux opus comptant parmi les plus grandes réussites de sa carrière.
Toujours caché sous un pseudonyme pour son scénario (Franck Armitage cette fois-ci), Carpenter adapte ici la nouvelle "Eight O'Clock in the Morning" écrite par Ray Nelson dans les années 60. Les grandes lignes de la courte histoire sont reprises, soit l'éveil d'un brave citoyen américain (John Nada) à la dure réalité d'une colonisation extra-terrestre effectuée par des messages subliminaux retransmis par la télévision. Si ce traitement laisse entrevoir pour Carpenter les bases idéales pour une série B bien carrée aux allures de western déguisé (soit une certaine norme chez le bonhomme), cette histoire va permettre avant tout au cinéaste de régler ses comptes avec l'idéologie (qu'il juge lui-même effrayante) de son propre pays.
THEY LIVE est donc avant tout une uvre très politique et très engagée dans sa charge contre la société de consommation et les disparités sociales qu'elle engendre invariablement. On pouvait déjà y apercevoir des prémices dans PRINCE OF DARKNESS (où les sans abris servaient de lieutenants du mal puisque personne d'autre n'en voulait). En donnant le rôle principal à un vagabond marqué par la vie, en retrait total d'une société qui n'attendra pas tout le monde, Carpenter dresse un portrait franc et juste des pauvres que les Etats-Unis (ou tout autre pays en pleine course consumériste) ont littéralement abandonnés en route. Le sérieux du cinéaste est d'autant plus marquant qu'il n'introduit le fantastique de son histoire qu'après une bonne demi-heure de film, le temps de nous présenter ses personnages et sa ville de fortune. Cela n'empêche cependant pas Carpenter de nous délivrer une authentique séquence de terreur durant la scène de l'assaut de Justice Ville par les forces de police. D'une situation bien réelle, Carpenter nous livre un prisme horrifique en nous peignant la scène comme une invasion violente et arbitraire que devront repousser des héros innocents (ou coupables d'être pauvres dans ce cas présent).
Passé cette première (et époustouflante) demi-heure
plus sociale, le western urbain arrosé de provocation contre
l'establishment peut commencer. Une fois que Nada a découvert
la vérité grâce aux lunettes (incroyable efficacité
et simplicité de la mise en scène de cette scène),
Carpenter
peut de nouveau s'en donner à cur joie dans la rage furieuse.
En effet, avant de rejoindre une résistance plus organisé,
Nada part en chasse contre l'alien, flingue à la main, afin de
retrouver son droit à l'individu dans une société
où il n'a (à tort) pas sa place. Carpenter
signe de ce fait sa propre position dans la production cinématographique
: banni de la bourgeoisie hollywoodienne parce qu'il ne rapporte pas
d'argent, Big John fait néanmoins valoir son droit à l'expression
de manière choc !
Carpenter, sous couvert de son film de science-fiction paranoïaque et gentiment rétro, va aller toujours plus loin dans le politiquement incorrect et la description d'un monde malade et corrompu. Du look particulier des extraterrestres, dû au maquilleur Frank Carrisosa (ils sont représentés la peau sur les os pour accentuer leur côté pourri), à la violence impérative des messages subliminaux ("Obéis", "Dors", "Pas d'imagination", "Consomme"), John Carpenter y va avec une franchise qui laisse encore baba quinze ans après. Critique de la télévision et des médias (vecteur d'abrutissement et contrôleur de pensée), de la corruption (les envahisseurs étouffent toute résistance humaine avec une grosse liasse de billets), d'un état répressif (les forces de police sont presque intégralement constituées d'aliens expéditifs), de la réussite sociale ("ceci est ton dieu" étant noté sur les billets de banques), et enfin critique des pouvoirs politiques en place (même le président des USA, une caricature de Reagan, est une saleté d'envahisseur !), Carpenter tire à boulets rouges là où ça fait mal sans se soucier des conséquences.
Carpenter n'oublie cependant pas, entre les mailles de sa critique sociale, de se faire plaisir afin de nous livrer des moments hyper jouissifs. A ce titre, impossible de ne pas citer le désormais célèbre combat à main nue d'une bonne dizaine de minutes entre Nada et son ami sceptique Franck (le trop rare Keith David). Complètement gratuite, cette scène est juste l'occasion d'un génialissime échange de coups des plus réalistes en hommage à la bagarre entre John Wayne et Victor McLaglen dans L'HOMME TRANQUILLE de John Ford. Remercions au passage les deux comédiens du film qui, grâce à leur expérience d'ancien catcheur, ont largement appuyé leurs coups pour un meilleur impact à l'écran. Le résultat en vaut clairement la chandelle puisque cette scène rejoint illico presto les moments les plus forts de la géniale filmo de Carpenter.
L'édition américaine de THEY LIVE est très similaire à l'édition de PRINCE OF DARKNESS. La copie image est de très bonne facture, au format, et débarrassée des petites poussières de pellicule que l'on pouvait apercevoir avec un il exercé sur la copie de PRINCE OF DARKNESS. Les excellentes compression et définition de l'image sont cependant minorées par des noirs trop profonds sur certains plans et par une saturation des couleurs un peu trop excessive (NTSC oblige). Rien de catastrophique cependant, le résultat reste de loin la meilleure image du film existante. Le DVD nous propose une piste stéréo surround claire et dynamique, de quoi être parfaitement comblé. Même problème que sur PRINCE OF DARKNESS, l'absence totale de bonus est à déplorer.
Malgré son budget ridicule, THEY LIVE est une preuve supplémentaire que Carpenter est un grand cinéaste via ce brûlot mixant habilement science-fiction rétro, western urbain, critique sociale et série B qui débourre. De ce mélange improbable ressort ce film unique, au message politique encore aujourd'hui très pertinent. A posséder de toute urgence via cette édition zone 1 épuisée, au contenu épuré mais solide, ou le disque allemand. En attendant l'improbable édition française qui, à l'instar de PRINCE OF DARKNESS, constitue encore à ce jour l'une des arlésiennes les plus fatigantes de l'édition DVD.