John Nada, un ouvrier américain, arrive dans une grande ville pour chercher du travail. Il découvre une mystérieuse paire de lunettes qui permet de voir la réalité : le pouvoir est détenu par des extraterrestres malveillants...
Après l'échec critique et public des AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN, John Carpenter tourne le dos au monde des Majors hollywoodiennes dans lequel il a tenté de faire son trou, avec des fortunes inégales, à partir de THE THING.
Il signe un contrat pour réaliser quatre longs-métrages avec la société de production indépendante Alive Films. Pour commencer, il tourne le film d'horreur à petit budget PRINCE DES TÉNÈBRES qui affiche sans complexe ses liens avec ses premiers métrages (la situation rappelle ASSAUT, la présence de Donald Pleasence évoque LA NUIT DES MASQUES et NEW YORK 1997). Par son titre évoquant DRACULA, PRINCE DES TÉNÈBRES et le pseudonyme que John Carpenter utilise pour le scénario (Martin Quatermass, héros du MONSTRE), il désigne la Hammer comme référence de ce nouveau départ.
PRINCE DES TÉNÈBRES connaît un succès très honnête dans les salles américaines rapporté à son budget modeste. Pour son projet suivant avec Alive Films, John Carpenter s'oriente vers l'adaptation d'une nouvelle de science-fiction de Ray Nelson, «Les fascinateurs», qu'il repère par le biais d'une adaptation en bande dessinée.
De nouveau, il cache son travail de scénariste derrière un pseudonyme : celui de Frank Armitage, inspiré par le docteur Henry Armitage, personnage central de la nouvelle classique de Lovecraft «L'abomination de Dunwich». Carpenter revendique l'influence de l'ermite de Providence sur ce nouveau film INVASION LOS ANGELES dans le fait que ses personnages découvrent l'existence d'une réalité invisible à leur perception, réalité donnant un tout autre sens à leur existence. Ainsi, les lunettes des Résistants d'INVASION LOS ANGELES sont comparables au Résonateur de la nouvelle «De l'au-delà», inspiratrice du film FROM BEYOND.
Carpenter rempile donc pour une production à petit budget. Il retourne à un cinéma mêlant action, science-fiction et politique, comme pour NEW YORK 1997. La modestie des moyens financiers a une contrepartie avantageuse dont Carpenter tire partie : la liberté artistique. Certes, les décors oscillent entre le terrain vague et l'impasse jonchée d'ordures. Certes, la figuration est loin d'être abondante.
Mais la singularité de la charge politique d'INVASION LOS ANGELES est un luxe que Carpenter ne pourrait pas se permettre sur une grosse production hollywoodienne. Le rôle principal est tenu par Roddy Piper, vedette des programmes de catch qui apparaît de temps en temps dans des petites productions de science-fiction. A ses côtés, nous reconnaissons le sympathique Keith David (THE THING, PITCH BLACK).
Le plus frappant est donc la force de la fable politique proposée par Carpenter. Grâce à des lunettes spéciales que font circuler des Résistants, John Nada découvre que tous les pouvoirs (médiatiques, politiques, économiques) sont verrouillés par des extraterrestres qui cachent leur apparence hideuse derrière un masque humain. De plus, tous les médias (presse, télévision, publicité) sont saturés de messages subliminaux encourageant les citoyens américains à la passivité, à la résignation et à la docilité.
Certains humains égoïstes collaborent en connaissance de cause, en échange d'avantages matériels et financiers. Le but des méchants envahisseurs est de faire tourner à plein régime l'économie terrienne afin de s'approprier toutes les richesses de la planète, jusqu'à leur épuisement irréversible.
En 1988, nous sommes à la fin du second mandat présidentiel de Ronald Reagan, au cœur du triomphe des idées néo-libérales aux États Unis. La politique économique de ce président consiste à favoriser l'offre en baissant énergiquement les impôts, en particulier les impôts sur les sociétés. La contrepartie est la baisse des dépenses en terme d'aides sociales.
Cette politique non redistributive s'accompagne d'écarts grandissants entre les niveaux de vie des plus riches et des plus pauvres. Elle entraîne l'explosion du phénomène des sans-abris dans les grandes villes américaines, phénomène qui choque particulièrement John Carpenter et qu'il illustre dans INVASION LOS ANGELES.
Cette période est également celle du début du démantèlement de l'industrie américaine, de la baisse de l'emploi ouvrier. Là aussi, cela sert de toile de fond à INVASION LOS ANGELES. Un an après ce film, le polémiste Michael Moore enfonce le clou en sortant ROGER ET MOI, documentaire très remarqué sur la fermeture d'une usine General Motors dans le Michigan qui plonge toute une ville dans la misère.
Carpenter martèle tout au long d'INVASION LOS ANGELES, ainsi que dans les interviews qu'il accorde à sa sortie, tout le mal qu'il pense de l'idéologie individualiste des Républicains d'alors. Économiquement, elle ne fait qu'enrichir les plus riches. Ayant fait son éducation dans les campus californiens progressistes de la fin des années soixante, il constate avec colère le triomphe du matérialisme et de l'individualisme dans la société américaine, société psychopathe dans laquelle la solidarité devient inexistante.
Nous suivons donc les aventures de John Nada, prolétaire américain courageux et travailleur, quelque part entre le John Wayne des films de John Ford et le ROCKY de Sylvester Stallone. Ce personnage attachant est très bien interprété par Roddy Piper, impeccable pour ce rôle. Une fois qu'il a démasqué les perfides envahisseurs, il organise son action politique de manière à la rendre la plus efficace possible (à coup de fusils mitrailleurs, en l'occurrence).
Il éveille aussi la conscience politique de son entourage, notamment de son ami Frank. Mais, pour protéger son bonheur égoïste, celui-ci refuse d'enfiler les fameuses lunettes qui permettent de voir la réalité en face. John le convainc tout de même, suite à une mémorable mêlée, de prendre les armes contre les tyrans inhumains.
Ce pugilat entre les deux amis se situe entre la bagarre de saloon et le match de catch. Il est remarquablement filmée par un Carpenter toujours aussi habile à saisir les scènes d'action dans l'espace. Nous apprécions encore la très efficace fusillade qui accompagne l'attaque du quartier général des résistants.
Pourtant, malgré ses idées originales et un début excellent, INVASION LOS ANGELES s'achève sur une petite touche de déception. En effet, l'assaut de l'immeuble des extraterrestres souffre de limitations budgétaires évidentes. Comme dans une vulgaire série TV, John et Frank arpentent inlassablement le même couloir en cherchant à nous faire croire qu'ils explorent un vaste bâtiment. De même, ils n'affrontent jamais plus de deux soldats à la fois.
Grâce à son discours énergique et à son excellente première partie, INVASION LOS ANGELES est un film très original et attachant dans la filmographie de Carpenter. A sa sortie, il connaît un honorable succès commercial, mais la critique le boude. Avec les années, il devient un des films les plus emblématiques de John Carpenter, mélange de comédie, de série B et de pamphlet politique. Ce vrai classique de la science-fiction est une réussite tout à fait unique.
Pourtant, après INVASION LOS ANGELES, John Carpenter et Alive Films mettent un terme à leur collaboration et le réalisateur se replie sur un projet de commande avec LES AVENTURES D'UN HOMME INVISIBLE.