Header Critique : LE FANTOME DE L'OPERA (IL FANTASMA DELL'OPERA)

Critique du film
LE FANTOME DE L'OPERA 1998

IL FANTASMA DELL'OPERA 

Comme d'autres grands noms du cinéma fantastique des années soixante-dix et quatre-vingts (John Carpenter et George A. Romero notamment), Dario Argento voit sa carrière connaître des hauts et des bas dans les années quatre-vingt-dix. Sa grande notoriété en Italie lui a heureusement permis de survivre professionnellement à la décennie précédente, celle de l'effondrement du cinéma italien.

Il connaît tout de même des déboires financiers, notamment en tant que producteur avec THE SECT réalisé par Michele Soavi. Dario Argento tourne alors des projets aux USA : DEUX YEUX MALÉFIQUES, anthologie inspirée d'Edgar Allan Poe pour laquelle il réalise une adaptation du «Chat Noir» tandis que George A. Romero transpose «La vérité sur le cas de monsieur Valdemar» ; puis ensuite le long métrage TRAUMA.

Ces deux films passent plutôt inaperçus et confirment que la personnalité profondément européenne de Dario Argento n'est pas soluble dans le cinéma hollywoodien. Il revient en Italie avec le thriller psychiatrique LE SYNDRÔME DE STENDHAL de 1996, un de ses tout meilleurs films. Ce titre connaît un beau succès dans son pays et le remet en selle.

Le renouveau gothique de Hollywood (avec les succès de BRAM STOKER'S DRACULA et ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE) ne le laisse pas indifférent puisqu'il lance à la même époque deux projets de ce style. Dans un premier temps, il produit LE MASQUE DE CIRE de Sergio Stivaletti, relecture des films d'horreur prenant place dans des musées de mannequins comme L'HOMME AU MASQUE DE CIRE.

D'autre part, Dario Argento a toujours déclaré avoir été très marqué dans son enfance par le visionnage du FANTÔME DE L'OPÉRA d'Arthur Lubin. Cette production Universal de 1943, avec Claude Rains dans le rôle titre, n'est pas la transposition la plus marquante du roman de Gaston Leroux ni le meilleur film d'horreur Universal. Mais elle ouvre au jeune Dario les portes d'un imaginaire à la fois horrifique et esthétique.

Après SUSPIRIA, en 1977, il envisage déjà de faire son adaptation du roman «Le fantôme de l'Opéra». Il compte la tourner en Russie dans le cadre du Bolchoï, mais le projet ne se fait pas. L'ouvrage de Gaston Leroux inspire pourtant son cinéma, en particulier dans INFERNO de 1980 qui met en avant la musique de Verdi ainsi qu'un réseau de passages secrets et de chausses-trappes irrigant une mystérieuse maison New Yorkaise. TERREUR A L'OPÉRA de 1987 emprunte aussi au «Fantôme de l'Opéra» : une jeune chanteuse y remplace au pied levé une diva fameuse dans une spectacle lyrique.

C'est finalement après LE SYNDRÔME DE STENDHAL que Dario Argento se lance dans une adaptation classique du roman, se déroulant dans le Paris de la fin du XIXème siècle, au temps de Degas et de Rimbaud. Pour l'écrire, il s'allie à un scénariste français fameux : Gérard Brach, collaborateur récurrent de Roman Polanski (notamment sur RÉPULSION et LE LOCATAIRE), mais aussi de Claude Berri ou de Jean-Jacques Annaud. Ennio Morricone, déjà complice de Dario Argento sur ses trois premiers Giallos et sur LE SYNDRÔME DE STENDHAL, est à la fois directeur musical et compositeur sur ce nouveau projet.

Dans le rôle de Christine Daaé, Dario Argento emploie sa fille Asia pour la troisième fois successive (après TRAUMA et LE SYNDRÔME DE STENDHAL). Pour jouer le rôle du fantôme, il choisit Julian Sands, acteur britannique dont physique à la fois classique et romantique lui a valu d'apparaître dans des films d'époque anglais comme GOTHIC de Ken Russell et surtout CHAMBRE AVEC VUE de James Ivory. Si sa carrière s'oriente surtout vers le cinéma d'auteur international, nous le trouvons aussi dans des séries B d'horreur, comme ARACHNOPHOBIE de Frank Marshall ou WARLOCK de Steve Miner.

A Paris, au début du siècle, un mystérieux fantôme hante les sous-sols de l'Opéra de Paris. Un soir, il espionne la jeune chanteuse Christine faisant des vocalises. Elle est si belle qu'il en tombe amoureux...

Le roman «Le fantôme de l'Opéra» a déjà été adapté de nombreuses fois au cinéma, et ce depuis le temps du cinéma muet. La première et la plus fameuse version est LE FANTÔME DE L'OPÉRA de 1925, produit par Universal et avec l'acteur Lon Chaney. Elle est restée la transposition de référence, un classique jamais dépassé. La version de 1943 avec Claude Rains, déjà mentionnée plus haut, paraît en comparaison bien fade. Les aventures d'Erik le Fantôme sont encore adaptées par Terence Fisher pour la compagnie britannique Hammer, pour un métrage onéreux qui connaît une réception mitigée.

En 1974, Brian De Palma fournit une variante Rock très réussie avec son chef-d’œuvre PHANTOM OF THE PARADISE. En 1989, Menahem Golan et Harry Alan Towers, deux personnalités hautes en couleurs du cinéma Bis, s'associent pour produire LE FANTÔME DE L'OPÉRA de Dwight H. Little, avec Robert Englund, alors vedette du cinéma d'horreur suite aux succès des GRIFFES DE LA NUIT et de ses multiples suites. Cette adaptation intéressante et sanglante ne marque pourtant pas les esprits.

Dario Argento quant à lui dit avoir voulu adapter le plus fidèlement possible le roman. Ainsi, comme dans le livre, le fantôme n'est pas masqué. En plus, invention d'Argento, il n'est plus défiguré non plus. Sa monstruosité est supposée n'être plus qu'intérieure. Le réalisateur italien se rend en Hongrie pour tourner l'essentiel du métrage et bénéficie d'un budget très confortable, qui se ressent dans la première partie du métrage à la reconstitution historique fastueuse.

Dario Argento a toutes les cartes en main pour réussir ce FANTÔME DE L'OPÉRA. Il s'agit pourtant d'un échec artistique flagrant. Sa distribution ne tient pas la route. Julian Sands est un fantôme peu convaincant, mou. Ses apparitions déclenchent au mieux l'indifférence, au pire des ricanements. Asia Argento n'incarne pas de façon convaincante une ingénue du début du siècle et elle propose une Christine Daaé peu intéressante. Les conflits psychologiques entre les personnages, leurs passions et leurs contradictions sont imperceptibles tant les acteurs sont mal choisis.

Le scénario nous ballade d'un personnage à l'autre sans cohérence. Certains apparaissent et disparaissent en dépit du bon sens (le tueur de rats qui resurgit des catacombes plusieurs jours après son accident, le journaliste).

La reconstitution historique a un certain charme et quelques personnages secondaires sont amusants (le tueur de rat justement, la Diva). LE FANTÔME DE L'OPÉRA se suit sans ennui jusqu'au deux tiers du métrage. Mais à partir du moment où Christine rejoint le mystérieux fantôme, le spectateur perd patience.

La plus grosse déception vient de la banalité de la réalisation. Le sujet se prête aux délires baroques et spectaculaires qu'Argento réussit si bien dans SUSPIRIA et INFERNO. Malheureusement, il se contente ici d'une image terne et répétitive. Des scènes érotiques sont affligées d'effets de filtre flous et mièvres. Seul Ennio Morricone croit à cette histoire d'amour, qui propose une superbe musique, seul élément convaincant de cette œuvre.

Première tentative de Dario Argento de transposer un grand classique du fantastique, LE FANTÔME DE L'OPÉRA est raté. Le metteur en scène n'est pas à l'aise dans cette reconstitution historique et dans les limites imposées par cette mythologie. Il s'épanouit mieux quand le scénario laisse le plus de place à son imagination et à son goût pour l'horreur contemporaine.

LE FANTÔME DE L'OPÉRA connaît un échec public et critique. Mais il correspond aussi à un moment où le cinéma de Dario Argento se voit mieux considéré à travers le monde, et en particulier en France, pays où la critique non spécialisée dans le fantastique l'a presque toujours détesté ou ignoré.

Peu avant lui, au cours des années quatre-vingt-dix, d'autres réalisateurs connaissent une appréciation rétrospective favorable de leur œuvre après avoir été le plus souvent ostracisé ou minoré. David Cronenberg dans un premier temps, à partir de la sortie de CRASH en 1996. Puis aussi Brian De Palma, John Carpenter et George A. Romero. Dario Argento sort à son tour du Ghetto du cinéma d'horreur à l'occasion d'une rétrospective de son œuvre à la Cinémathèque Française en 1999.

Ensuite, Dario Argento se relèvera de l'échec du FANTÔME DE L'OPÉRA en opérant un retour au Giallo classique avec LE SANG DES INNOCENTS de 2001.

Il tentera de nouveau de se confronter à un grand thème de l'horreur par la suite avec DRACULA 3D, hélas une contre-performance encore plus regrettable que  LE FANTÔME DE L'OPÉRA !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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