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Critique du film
CANDYMAN 1992

 

En 1992, Bernard Rose, dont PAPERHOUSE a connu un succès d'estime en 1988, se relance dans le genre de l'horreur après s'en être éloigné avec le drame historique CHICAGO JOE ET LA SHOWGIRL. Son retour à l'épouvante aboutit à CANDYMAN pour lequel il adapte une nouvelle de l'écrivain Clive Barker. Ce dernier se remet alors de l'échec commercial de CABAL et prend ici un poste de producteur. Initialement destiné à l'épouse de Bernard Rose, le rôle principal de Helen échoit à Virginia Madsen, blonde beauté des années quatre-vingts dont la carrière est marquée par ses apparitions dans deux films de science-fiction : la comédie romantique ELECTRIC DREAMS et le DUNE de David Lynch.

A ses côtés, dans le rôle du personnage-titre, nous trouvons Tony Todd, à la grande silhouette remarquée parmi les troufions de PLATOON et que le remake de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS vient de mettre en vedette. Il restera un acteur lié à l'épouvante, notamment dans des séries comme DESTINATION FINALE et BUTCHER. Ce qui ne l'empêchera pas d'apparaître dans des titres plus subtils comme l'intrigant THE MAN FROM EARTH.

A Chicago, Helen prépare une thèse sur les légendes urbaines. Elle se concentre sur le Candyman, croque-mitaine réputé hanter la quartier très défavorisé de Cabrini-Green. Selon le mythe populaire, prononcer cinq fois son nom devant un miroir convoque ce tueur dont le bras sectionné a été remplacé par un crochet tranchant ! Helen n'y croit pas, mais le mystère Candyman prend de plus en plus de place dans sa vie...

Au début des années quatre-vingt-dix, l'état du cinéma d'horreur n'est guère brillant. Lassé par les multitudes de suites, souvent mauvaises, alignées par les séries des VENDREDI 13, HALLOWEEN et autres Freddy, le public se détourne de l'épouvante. Les quelques perles du genre arrivant jusqu'aux grands écrans se heurtent alors souvent à l'indifférence. Avec CANDYMAN, Bernard Rose prend le contre-pied des slashers en bout de course. Il conçoit un monstre beau et romantique, un personnage central de femme adulte et cultivée, un film articulant le fantastique avec un propos ambitieux.

Si d'autres films antérieurs joue avec la notion de légende urbaine (particulièrement VENDREDI 13 ou LES GRIFFES DE LA NUIT), CANDYMAN l'approche avec plus de profondeur et de sérieux. Il étudie la propagation d'un mythe reflétant les peurs des habitants des villes. Surtout, il se distingue en appuyant la touche sociale et raciale. Il met ainsi en scène le Candyman, boogeyman noir hantant un quartier extrêmement pauvre (le vrai quartier de Cabrini-Green), rongé par le délinquance et les trafics, habité par une population afro-américaine.

La nouvelle d'origine de Clive Barker se déroule en Angleterre et n'a pas un tueur noir. C'est Bernard Rose qui a l'idée habile, intelligente et alors audacieuse de cette transposition dans un ghetto de Chicago. A l'époque, les histoires de gangs américains font les gros titres et trouvent leur chemin au cinéma à travers des films comme COLORS de Dennis Hopper ou NEW JACK CITY de Mario Van Peebles. L'année précédente, Wes Craven signe LE SOUS-SOL DE LA PEUR, tentative très intéressante de mêler cinéma de ghetto et conte horrifique, bien qu'il n'aille pas aussi loin que CANDYMAN. CANDYMAN tombe donc au bon moment pour apporter de la diversité dans l'horreur hollywoodienne très blanche héritée des années quatre-vingts.

CANDYMAN oppose les grands ensembles terrifiants de Cabrini-Green au quartier bourgeois dans lequel Helen, son mari, leurs amis vivent dans le confort. Ce sont pratiquement les mêmes immeubles en terme de qualité de construction, seule leur situation géographique dans la ville les distingue. Une large autoroute sépare les deux quartiers, gardant hermétiquement séparés le monde des défavorisés noirs et celui des nantis blancs. Ce qui entérine une nouvelle forme de ségrégation, validée par la topographie et l'échelle sociale...

Cette ségrégation de facto trouve sa source dans le passé américain, celui des lynchages, de l'esclavage. Vivant au XIXème siècle, le Candyman était justement un peintre talentueux, amputé de sa main d'artiste et livré vivant à une horde d'abeilles pour avoir aimé une blanche... Et ce drame du passé s'est déroulé là où Cabrini-Green a été construit, démontrant une perpétuation d'un racisme ancré dans la société américaine. La méfiance des habitants du bloc HLM à l'égard des blancs trouve son écho dans cette légende urbaine du lynchage de Candyman.

Bernard Rose emploie régulièrement des plans aériens cinématographiques de trois constructions clés du métrage : l'autoroute elle-même, qui illustre le générique du film ; l'université, lieu de confort et de privilèges ; la cité décatie de Cabrini-Green. Ces plans sont illustrés par une musique étonnante de Philip Glass. Compositeur contemporain dont l’œuvre se base alors sur le minimalisme et la répétition, il va à l'instar d'un Michael Nyman signer des bandes originales de film, par exemple pour les poèmes visuels de Godfrey Reggio comme KOYAANISQATSI ou le biopic sulfureux MISHIMA. Dans CANDYMAN, sa musique très réussie concilie la modernité géométrique de l'architecture avec des souvenirs religieux plus anciens. Le Candyman utilise en effet un vocabulaire évangélique dans ses déclarations, lorsqu'il parle des habitants de Cabrini-Green comme de sa congrégation par exemple.

Intelligent et réfléchi, authentique film d'épouvante marchant sur les traces des premières aventures de Freddy dans LES GRIFFES DE LA NUIT, CANDYMAN bénéficie d'une excellente interprétation de Virginia Madsen. Elle incarne Helen, une bourgeoise intelligente et courageuse, mais dont le rapport avec le quartier de Cabrini-Green reste teinté d'arrière-pensées. Sans réelle compassion pour ses habitants, elle y voit uniquement la source d'une thèse lui permettant de réussir dans ses recherches. Inconsciemment, petit à petit, elle tombe sous l'emprise du Candyman. D'autant plus facilement que celui-ci manipule les circonstances pour la faire accuser de meurtres dont elle est innocente. Le mensonge de sa vie bourgeoise et de son couple en faillite devient une évidence, la laissant livrée à elle-même, démunie, dépourvue de ses privilèges de classe et dans un isolement total. Isolement qui n'est pas sans rappeler celui dans lequel tombe Rosemary dans ROSEMARY'S BABY, autre classique de l'angoisse urbaine.

L'horreur de CANDYMAN marche sur les traces classiques du slasher fantastique des années quatre-vingts, tout en y apportant des touches de poésie et de lyrisme singulières. Le Candyman est porteur de charisme et de séduction. Son histoire est avant tout une histoire d'amour tragique. Il émane de lui un charme draculéen appelé à prendre Virginia sous son emprise. CANDYMAN sort d'ailleurs quelques jours après BRAM STOKER'S DRACULA de Francis Ford Coppola, métrage qui renoue aussi avec la notion du monstre romantique, en réaction aux défigurés chroniques du style Jason Vhoorees et autres pervers dégoûtants comme Freddy Krueger.

CANDYMAN tient une place singulière dans le cinéma d'épouvante. Son regard social et passionnel en font un titre à part, ne serait-ce que par sa manière de mettre la question raciste au centre de sa perspective. Certes, tout n'est pas parfait, certaines scènes d'horreur s'avèrent trop classiques, le final n'est pas parfaitement convaincant rapporté à l'excellence des deux premiers actes.

Mais CANDYMAN frappe encore aujourd'hui par son intelligence, son intégrité, son ambition, ainsi que par la grande qualité de son écriture et de sa direction d'acteurs. Il connaît un succès notable, lui valant deux suites - moins mémorables, pour ne pas dire complètement nulle quand on aborde la question de CANDYMAN 3 : LE JOUR DES MORTS !

Les films mélangeant horreur et ghetto de façon intéressante resteront cependant rares, le thème donnant surtout lieu à des pochades sous-financées, malgré quelques tentatives plus travaillées comme le distrayant BONES avec Snoop Dogg.

En 2021, Jordan Peele, fort des succès de ses films d'horreur engagés GET OUT et US, produit un remake de CANDYMAN. Il remet en vedette Tony Todd dans le rôle-titre et semble bien parti pour connaître un joli succès dans les grandes salles de cinéma !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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