Le réalisateur allemand, Ernst Lubitsch, est plus connu pour ses oeuvres comiques ou dramatiques que pour le fantastique. Sa première incursion dans le genre était un film muet de 1918 intitulé DIE AUGEN DER MUMIE MA (LES YEUX DE LA MOMIE MA) qui se déroule en Egypte mais ne contient nulle trace d'une momie ! Ici, l'élément fantastique est également très léger et se résume plus à une idée qu'à une véritable représentation.
Henry Van Cleve meurt et arrive au Purgatoire où le Gardien de l'Enfer l'attend. Henry est surpris d'apprendre que sa vie turbulente ne lui assure pas une place immédiate dans les tréfonds de l'au-delà et commence à s'expliquer. Ses souvenirs se concentrent en particulier sur son mariage passionné mais malheureux avec Martha, une femme sublime qu'il avait ravi à son cousin le soir-même de leurs fiançailles.
L'anté-chambre de l'Enfer est un endroit sobre et austère, où les murs sont recouverts d'étagères contenant des livres immenses. C'est également un endroit où les gens sont expédiés dans les flammes punitives sans aucun scrupule, comme en témoigne une malheureuse petite dame qui se présente juste après l'arrivée de Henry. Son arrogance et son mépris provoquent une antipathie immédiate chez le spectateur qui ne résiste pas à un coupable éclat de rire face à sa disparition aussi soudaine que cruelle. Nullement affecté car étant persuadé qu'il va subir le même sort, Henry commence alors le récit de sa vie relaté par l'entremise des anniversaires de plusieurs décennies, dont les flash-back composent la quasi intégralité du métrage.
Nous commençons par sa tendre enfance où il était déjà le souci majeur de ses parents qui tentaient de lui inculquer les bonnes manières que la société approuvait. Mais le petit rebelle n'en fit qu'à sa tête et lorsqu'une nurse française fit son apparition à l'aube de son adolescence, cela fut bien sûr le catalyseur de sa déchéance. Charmé par la jeune femme que l'on devine frivole (robes rouges, petit air délicieusement malicieux, dialogues plus qu'aguicheurs…), Henry va vivre de drôles d'aventures au grand désespoir de ses parents. L'autre drame du jeune homme est la présence incessante de son cousin Albert, l'image même de l'homme parfait et prometteur dans sa rigidité et son adhésion aux bonnes manières.
L'opposition entre ces deux personnalités se reflète dans la trame de l'histoire, à savoir la conformité contre la liberté de choix, l'éternel dilemme de tout être qui se construit et qui peut parfois perdurer une vie entière. La famille d'un côté, le désir d'y appartenir et de leur faire plaisir en même temps qu'une soif de vivre qui pousse aux aventures de toutes sortes et à l'envie d'apprendre de ses propres erreurs étant donné que l'on ne vit que pour et par soi-même. Et c'est bien ce que compte faire Henry Van Cleve lorsqu'il tombe fou amoureux de Martha, censée se marier avec l'ennuyeux Albert. Ils s'enfuient ensemble, dans les bras l'un de l'autre, et leurs dix ans de vie commune avant le clash, qui va brièvement les séparer, tendent à prouver qu'ils n'ont pas eu tort.
Martha est interprétée par Gene Tierney, dont la beauté éblouissante n'a absolument rien à envier aux bimbos artificielles d'aujourd'hui. Elle passe par toute une gamme d'émotions avec bravoure, faisant passer un charme désinvolte avec autant de facilité qu'une souffrance poignante. Par exemple, durant son mariage, elle supporte les frasques de son mari la tête haute. Mais enfin, elle craque et sa fermeté face aux implorations de son mari témoigne autant de son amour profond que d'une volonté de ne plus vivre soumise. L'actrice, dont la vie fut marquée par la dépression et les souffrances personnelles, reconnue pour son rôle dans LAURA d'Otto Preminger, où elle joue la mystérieuse victime éponyme, fut aussi l'interprète du CHATEAU DU DRAGON ou encore L'AVENTURE DE MM MUIR.
Son mari, Henry Van Cleve, est incarné par Don Ameche, un habitué des comédies dramatiques à la filmographie impressionnante. Ici, son personnage élégant et drôle est contrebalancé par un côté que l'on devine plus sombre dus aux tourments incessants qui le taraudent. Le choix de sa liberté personnelle aura néanmoins été le bon car malgré ses erreurs, il aura également semé du bonheur dans la vie de ses proches. Lubitsch prend cependant soin de ne pas excuser un comportement trop rebelle en imposant aux deux tourtereaux dix ans d'absence total de contact avec leurs familles respectives. Les retrouvailles entre les uns et les autres sont bien sûr au programme mais peut-on vraiment ignorer sa nature profonde ? Au même titre, on ne se perçoit jamais de la même façon qu'autrui, on essaie juste de vivre en harmonie avec soi-même et ses désirs et ambitions.
Ce métrage avait reçu trois nominations aux Oscars (Meilleur film, Réalisateur et Meilleure photographie) et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. En effet, malgré une réalisation un peu statique rappelant par trop ses origines théâtrales, cela reste un petit bijou d'humour et d'étude sociale de son époque. Ce sujet faisait souvent partie des oeuvres de Lubitsch. Le terrain était glissant pour les réalisateurs qui osait critiquer les us et coutumes de leur époque, comme cela peut l'être encore aujourd'hui, mais Lubitsch contournait brillamment les problèmes grâce à l'excellence de son talent. Par le biais de Gene Tierney, il insuffle également une sensualité certaine au métrage avec un personnage instable car capable de partir avec un total étranger. Mais c'est aussi cela, l'inconnu de la vie, et ici, malgré les obstacles, les protagonistes n'ont peur de rien et se battent pour enfin triompher de l'adversité.
Il faudra être sensible aux comédies dramatiques pour pleinement apprécier ce film étant donné que le côté fantastique n'est que suggéré. Par contre, il est bourré de dialogues savoureux, tour à tour amusants ou sérieux, et il règne un esprit de légèreté romantique malgré un sujet de fond concernant la difficulté de vivre. Le scénario est impeccable et construit comme une sorte de boucle en ce sens que lorsque son fils devient à son tour un jeune homme, Henry se retrouve confronté aux mêmes problèmes que ses parents avec lui auparavant. Cette petite note finale sur le fait de se différencier autant que possible des parents auxquelles on finit quand même par ressembler un peu résonne autant avec humour qu'avec sincérité, et prête plus à sourire qu'autre chose. Nul doute que beaucoup d'enfants rebelles devenus depuis des parents s'y reconnaîtront…
Enfin, il est bon de rajouter que bien que le film porte le titre français de LE CIEL PEUT ATTENDRE, il ne faut pas le confondre avec celui réalisé et interprété par Warren Beatty à la fin des années 70. Les deux histoires n'ont, en effet, rien à voir en dehors de partager le même titre que ce soit en version française mais aussi en version originale (HEAVEN CAN WAIT).
L'image est présentée en format 1.33. Elle souffre de quelques petits soucis de compression qui la rendent granuleuse, mais ne manque malgré tout ni de contrastes ni de beauté. Sur la jaquette, il est indiqué Noir & Blanc mais le métrage est bien en couleurs. Le procédé Technicolor garantit des couleurs soutenues et voyantes et Lubitsch prend bien soin de s'en servir un maximum pour mettre en valeur ses différents personnages. Voir par exemple les tenues couleurs parme-violet que porte Martha lorsqu'elle rencontre Henry, une fois par hasard et la deuxième lors de la fameuse soirée. Ses robes sont lumineuses et en net contraste avec l'environnement – on ne voit que Martha, l'effet est certainement voulu.
Les pistes sonores sont au nombre de trois : Anglais, Italien et Allemand en Mono codée sur deux canaux. Les dialogues sont clairement audibles et le métrage est agréablement accompagné par le score tout en finesse d'Alfred Newman. De légers grésillements parsèment les pistes mais ceci est imputable à leur âge et non à un véritable défaut.
Le disque ne présente aucun supplément en rapport direct avec le film. Vous aurez par contre accès à une page publicitaire pour le site Internet de Fox France, lien qu'il vous faudra entrer par vous-même étant donné que le disque ne contient pas de lien direct compatible avec un lecteur DVD-Rom (ce qui reste de toutes façons inutile !).
LE CIEL PEUT ATTENDRE est une comédie très agréable aux légers accents fantastiques, qui illumine le paysage sombre de l'horreur généralement présente dans ces pages.