Un extra-terrestre s'infiltre dans un corps humain pour en prendre possession. Son but : tuer, piller et détruire tout ce qui se trouve sur son passage, pour ensuite passer dans un autre corps quand son enveloppe actuelle est trop détériorée. Tandis que l'inspecteur Tom Beck (Michael Nouri) essaie de comprendre comment d'honnêtes citoyens peuvent se transformer du jour au lendemain en bête sanguinaire, un curieux agent du FBI (Kyle MacLachlan) débarque de nulle part pour lui prêter main-forte.
Avant d'être à l'initiative du feu vert pour la trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX de Peter Jackson, le studio New Line et son créateur Robert Shaye étaient à l'origine (à la fin des années 60) une toute petite structure de distribution de films d'arts et d'essais. En passant concrètement à la production au début des années 80, New Line s'oriente plus prosaïquement vers le cinéma de genre à budget restreint. Parmi leurs premiers efforts, on trouve DEMENT (ALONE IN THE DARK), une comédie noire réunissant Jack Palance, Donald Pleasence et Martin Landau. Le film est confié à Jack Sholder, un monteur des bandes-annonces du studio pour qui c'est le premier film.
Deux ans plus tard, en 1984, New Line touche le jackpot en produisant LES GRIFFES DE LA NUIT de Wes Craven. Le studio se hâte d'exploiter le potentiel du désormais célèbre Freddy Krueger en mettant en chantier une séquelle quelques mois plus tard. En bon lieutenant, Jack Sholder retourne derrière la caméra et livre LA REVANCHE DE FREDDY, l'un des volets les moins appréciés de la saga malgré certaines qualités. En 1987, lorsque New Line souhaite produire un authentique film d'action avec HIDDEN, c'est tout naturellement Jack Sholder qui hérite du projet. Si ce dernier est également scénariste, le script de HIDDEN est quant à lui signé par Jim Kouf (caché derrière le pseudonyme Bob Hunt). L'homme écrira plus tard, et entre autres, le premier RUSH HOUR de Brett Ratner et le remake américain de TAXI, réalisera trois films peu remarqués, ou encore sera producteur exécutif sur quelques gros calibres comme KALIFORNIA de Dominic Sena ou LES AILES DE L'ENFER de Simon West.
Le concept de HIDDEN ne fait pas dans la fioriture. Il mélange le film d'action, basé sur le sempiternel duo de flics que tout oppose, avec une pointe de science-fiction et d'horreur. Doté d'un budget restreint, le film n'a pour ambition que d'utiliser au mieux ses dollars pour en mettre plein la vue à son spectateur. Le film s'ouvre ainsi sur une spectaculaire course-poursuite entre des voitures de police et une Ferrari noire. Une séquence qui n'a pas le génie du William Friedkin de FRENCH CONNECTION, mais qui possède une efficacité absolument indiscutable. Ensuite, le film décide de déflorer son mystérieux alien en montrant frontalement la créature passer d'un corps à un autre. La scène, toujours aussi peu ragoûtante, n'a guère eu d'équivalent depuis. Bien entendu, après ce premier quart d'heure aussi chargé en émotions fortes, et après avoir grillé la moitié de son budget en effets spéciaux et en Ferraris (pas moins de quatre véhicules furent démolis pour l'occasion), HIDDEN opte pour un rythme de croisière plus relâché et une narration plus centrée sur ses personnages.
La meilleure idée du film vient peut-être de son casting principal, offrant un duo de personnages finalement atypiques pour la production de l'époque. Dans le rôle du bon flic entièrement dévoué à son travail, nous retrouvons Michael Nouri, un acteur de télé ayant connu un gigantesque succès public pour avoir incarné le petit ami de Jennifer Beals dans le très pailletté FLASHDANCE d'Adrian Lyne. Comédien plutôt classique, Nouri offre à son personnage un côté très terre-à-terre, très ancré dans le réel. Ni gros bras, ni gouailleur, Nouri compose le héros idéal à l'identification si ce n'est qu'il ne possède qu'une vision incomplète du drame qui se joue. L'agent du FBI joué par Kyle MacLachlan est le seul à connaître le noeud de l'énigme qui déroute tant la police. Doté d'un physique très gracile, MacLachlan ne rivalise pas avec Nouri sur le terrain de l'action, mais son avance psychologique lui confère les rênes du déroulement du récit. HIDDEN a donc l'intelligence de nous proposer un buddy movie avec deux personnages totalement complémentaires, justifiant cette figure souvent réduite à un héros fier-à-bras flanqué d'un sidekick gaffeur.
En parfait homme de goût, grand admirateur de Truffaut et de Renoir, Jack Sholder ne peut réaliser son film sans tenter une réflexion sur l'humanisation. L'alien investissant un nouveau corps bénéficiera d'un plan récurrent où il se regarde dans le miroir. Il en profitera pour s'auto-peloter après avoir intégré l'enveloppe charnelle d'une strip-teaseuse, comme il s'admirera de manière incongrue dans la glace suite à son transfert dans le corps d'un chien. Très légère, cette tentative d'intellectualisation fait l'effet d'un pétard mouillé. On préfèrera s'arrêter sur le parti pris déroutant donné au caractère de l'alien. Ce dernier est un fou de voiture de sport, adore le hard-rock FM, reluque les jolies filles et est fétichiste des armes à feu. Une caricature du rêve américain de l'époque, la fin des années 80, marqué par l'insouciance et les plaisirs matérialistes. Bret Easton Ellis prendra cette même base, en plus chic, lorsqu'il rédigera American Psycho.
Carré, direct et efficace, HIDDEN reste un bon spectacle près de vingt ans après sa réalisation. Le film est soigné dans son interprétation et généreux dans la fréquence de ses scènes de fusillades. Souvent classiques, ces dernières sont parfois prises de bouffées délirantes comme cet affrontement se terminant au lance roquette dans une prison (Danny Trejo, futur habitué des films de Robert Rodriguez, y fait une furtive et tragique apparition).On retiendra également la curieuse partition musicale de Michael Convertino, mélange incongru de mélodies d'ambiance furieusement syncopées par des explosions de synthés bruitistes. Présenté en compétition officielle au festival d'Avoriaz en 1988, le film décrochera le grand prix au nez et à la barbe de films comme ROBOCOP de Paul Verhoeven, AUX FRONTIERES DE L'AUBE de Kathryn Bigelow ou encore PRINCE DES TENEBRES de John Carpenter.
L'édition en zone 2 du titre est de bonne facture. L'image, au format et anamorphosée, est satisfaisante. Le master est très propre mais l'on peut regretter un grain un peu prononcé. Les pistes sonores intègrent aussi bien le mixage d'origine en mono (uniquement pour la version française) que des remixes en 5.1. Ces derniers se montrent finalement très discrets et n'apportent pas grand-chose à un mixage basé quasi intégralement sur l'avant.
Question bonus, l'édition propose un commentaire audio, malheureusement non sous-titré, confié à Jack Sholder et Tim Hunter, un ami réalisateur qui s'occupera de relancer discrètement la parole. Avec une franchise qui force le respect, Sholder reprend son film point par point, évoque les scènes abandonnées par manque de temps ou d'argent, et n'hésite pas à critiquer ce qu'il voit à l'écran dont son propre travail. Un très bon commentaire, au rythme hélas un peu lassant. La parole de Sholder n'est pas très rythmée, et le spectateur pressé préférera plutôt visionner la version «digest» constituée de quatre modules d'interviews avec le metteur en scène, montées et séparées par thèmes.
Le plus intéressant concerne les différends ayant opposé le réalisateur et Michael Nouri, qui s'exprime d'ailleurs sur le sujet. Ayant depuis enterré la hache de guerre, les deux hommes parlent cependant sans langue de bois, se remémorant ainsi un tournage extrêmement difficile qui ne fit qu'exacerber leurs visions très divergentes sur le film. Sholder revient de plus sur la fameuse scène de poursuite et surtout sur l'incompréhension autour du travail musical de Michael Convertino, dont la partition fut loin de faire l'unanimité. Quelques bandes-annonces issues du catalogue de l'éditeur achèvent la section.
Spectacle divertissant rondement mené, HIDDEN ne mérite pas tant de rester profondément ancré dans nos mémoires, mais se revoit pourtant régulièrement avec plaisir. Cette édition française rend parfaitement justice à l'efficacité du titre, tout en lui adjoignant un ultime bonus : sa séquelle tournée en 94 par Seth Pinsker. Surprise calamiteuse, ce deuxième opus ne vient que mettre encore un peu plus en valeur les qualités du film de Sholder.