Kinji Fukasaku commence à travailler comme metteur en scène au début des années soixante, notamment dans le domaine des films de gangsters japonais, alors peu exportés. À partir de la fin de cette décennie et dans les années soixante-dix , il tourne des titres rattachés au fantastique : science-fiction avec BATAILLE AU-DELÀ DES ÉTOILES ou LES ÉVADÉS DE L'ESPACE ; héros à la Fantomas avec LE LÉZARD NOIR.
Les films de Yakuza deviennent plus populaire hors du Japon (ainsi, Sydney Pollack rend hommage à ce genre avec YAKUZA de 1975). Fukasaku co-réalise avec Richard Fleischer une grosse production internationale en 1970 : TORA! TORA! TORA!, reconstitution monumentale de l'attaque de Pearl Harbor.
Au cours des années quatre-vingts, il ralentit son rythme de travail, mais continue à proposer des œuvres fantastiques distribuées en Occident (VIRUS et LA LÉGENDE DES HUIT SAMOURAÏS). Au cours de la décennie suivante, ses admirateurs, Quentin Tarantino et John Woo en tête, insistent sur son influence quant au renouvellement d'alors du genre Film Noir. Ses films sont projetés au cours de rétrospectives à la Cinémathèque Française à Paris.
En 2000, BATTLE ROYALE, produit et écrit d'après un roman de Koshun Takami, s'avère un des plus gros succès de Kinji Fukasaku au Japon. Le film y fait scandale et sort dans deux versions : le montage original, interdit aux moins de 15 ans (la version proposée en France) ; et une version moins violente, visible par les moins de 15 ans, à laquelle quelques scènes sont ajoutées.
La plupart des jeunes acteurs de BATTLE ROYALE n'ont pas tourné au cinéma auparavant, bien que certains ont déjà amorcé une carrière à la télévision (Tatsuya Fujiwara, Masanobu Ando.). Le professeur-maître du jeu est interprété par Takeshi Kitano, connu et admiré en Europe comme réalisateur et comédien (SONATINE, HANA-BI). Au Japon, il est surtout célèbre comme comique et animateur de shows télévisés.
Comme NEW YORK 1997, BATTLE ROYALE s'ouvre sur des cartons résumant la situation d'un Japon dystopique, dans un futur très proche. Ce pays n'a pas surmonté la crise économique qui a secoué l'Asie dans les années quatre-vingt-dix. Le taux de chômage se stabilise à des hauteurs inquiétantes.
Les adultes sans emploi, dévalorisés par rapport aux standards de la réussite sociale, ne parviennent plus à imposer leur autorité aux enfants. Le système scolaire, dur et compétitif, n'est plus pour les jeunes une garantie de s'insérer dans la société. L'absentéisme scolaire devient systématique et la délinquance juvénile augmente.
Nous avons les données d'un conflit de générations, thème cher au cinéma japonais (LE VOYAGE À TOKYO de Yasujiro Ozu, CONTES CRUELS DE LA JEUNESSE de Nagisa Oshima, ou même AKIRA) ainsi qu'au cinéma de science-fiction (les bandes violentes d'ORANGE MÉCANIQUE de Stanley Kubrick ou de CLASS 1984 de Mark L. Lester).
Pour résoudre cette situation, le gouvernement se place du côté de l'ordre et des adultes. Il crée la loi "Battle Royale". Une classe de jeunes élèves, tirée au hasard, va s’entre-tuer sur une île coupée du reste du monde jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul survivant : "le gagnant". Plutôt que de s'attaquer aux problèmes structurels, plutôt que de remettre en question les choix de gouvernement, l’État choisit une mesure spectaculaire, inhumaine, terrorisante, censée enseigner par l'exemple l'efficacité d'un système compétitif. Au lieu de lutter contre la violence, le pouvoir se livre à une surenchère de brutalité en toute impunité - puisqu'il agit au moyen de la « loi », réputée voulue par la société dans son ensemble.
Cette étude de la violence absurde mise en œuvre par un État a déjà été l'enjeu de films de science-fiction à connotation politique. Nous pensons au jeu brutal du PUNISHMENT PARK de Peter Watkins, au programme de rééducation / lavage de cerveau d'ORANGE MÉCANIQUE, au pénitencier sauvage de NEW YORK 1997, au cyborg policier de ROBOCOP ou aux robots enseignants et militaires de CLASS OF 1999.
BATTLE ROYALE est un jeu cruel, imposé à des candidats tirés au sort. Son principe rappelle RUNNING MAN, adaptation d'un roman de Stephen King par Paul-Michael Glaser, avec Arnold Schwarzenegger.
Afin de contrôler les infortunés candidats de « Battle Royale », un collier à capteurs est placé à leurs cous. Il est muni d'un système explosif que les arbitres peuvent déclencher à volonté - gadget déjà présent dans RUNNING MAN.
La compétitivité devient une question de vie ou de mort. Les jeunes gens sont forcés de se plier à un règlement sadien, contre-nature, moralement inadmissible - mais voulu par l’État et le corps social. Cette chasse à l'homme sur cette île sauvage évoque LES CHASSES DU COMTE ZAROFF d'Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack. Un jeune volontaire, qui participe à BATTLE ROYALE par sadisme et sans être tiré au sort, est un clin d’œil à Zaroff lui-même.
Il est tentant de comparer les règles de BATTLE ROYALE à celles de jeux télévisés comme l'américain «SURVIVOR» ou le français «KOH LANTA». Et par conséquent à des œuvres de fiction évoquant la médiatisation de la violence divertissante (ROLLERBALL de Norman Jewison, GLADIATOR de Ridley Scott, RUNNING MAN à nouveau, ou son prédécesseur LA DIXIÈME VICTIME). Toutefois, dans BATTLE ROYALE, les personnages ne sont pas en permanence suivis par des caméras rapportant leurs faits et gestes.
Il y a tout de même une médiatisation entourant cette compétition (les journalistes de télévision accueillent avec empressement la survivante au début du métrage). Et la loi procède d'une volonté d'impressionner le public : les événements de "Battle Royale" sont donc diffusés au public à un certain niveau.
BATTLE ROYALE s'inscrit dans une tradition de science-fiction contestataire. Mais il s'en distingue en introduisant des décalages forts. Ainsi, LES CHASSES DU COMTE ZAROFF ou RUNNING MAN mettent en scène des adversaires redoutables et physiquement robustes. Alors que BATTLE ROYALE fait s'affronter des enfants fragiles, situation graphiquement mise en valeur par leurs tenues de collégien.
Ce décalage engendre des digressions "fleur bleue". Ces enfants, forcés par leurs parents à se comporter comme des animaux, aspirent pour la plupart à la tendresse, à l'amitié et à la paix. Cette confrontation de l'enfance et de l'innocence à la violence de la guerre est inspirée à Kinji Fukasaku par sa propre jeunesse, durant la seconde guerre mondiale. Une nation envoyait ses propres enfants à la boucherie et à la mort au nom de sa survie.
Ainsi, une séquence où une jeune fille se laisse mourir sur l'épaule d'un camarade évoque des images en provenance des tranchées du monde entier. BATTLE ROYALE est une allégorie, car la guerre que se livre les États est une guerre économique, sans fusil. Mais c'est toujours l'agressivité, la défiance, la violence et l'individualisme qui sont encouragés.
Kinji Fukasaku demande clairement : quel avenir peut espérer un pays qui élève au rang de valeurs nationales des concepts aussi destructeurs ? Il livre un constat amer sur l'échec des relations entre deux générations, deux générations qui ne se réconcilient qu'en rêve (le songe dans lequel Noriko se promène avec Kitano).
Un autre décalage apparaît avec l'introduction d'un humour grinçant, noir. Nous pensons à l'emploi, au début et à la fin du film, de la photo de classe. Ou à la présentation "amusante" des règles du jeu. Les apparitions de Kitano s'avèrent empreintes d'une poésie grinçante et cruelle. L'acteur reprend son personnage de funambule psychopathe et imprévisible, qu'il incarne déjà dans son film JUGATSU.
BATTLE ROYALE n'est pas totalement sans défaut. Ses bonnes idées sont nombreuses, mais elles sont rapidement révélées. Quarante et une personnes à massacrer, cela fait du monde ! La tuerie prend parfois un tour répétitif et ennuyeux. La multiplication des scènes violentes les rend de moins en moins efficaces. Nous regrettons encore une interprétation inégale et un dénouement souffrant d'explications embrouillées.
BATTLE ROYALE reste néanmoins un film fort intéressant. A travers le portrait de ses deux personnages principaux, Shuya et Noriko, Fukasaku encourage, comme réponses aux dysfonctionnements de la société, la marginalité et la désobéissance. Alors que la loi de "Battle Royale" est le meurtre, Shuya et Noriko n'acceptent pas de tuer ou de considérer l'assassinat comme "normal".
D'autre part, le personnage de l'informaticien résistant est présenté avec admiration par Fukasaku, bien qu'il soit détruit par la violence qu'il compte employer.
BATTLE ROYALE tient un discours intelligent et intègre : le ramener à un massacre Gore "jouissif" est un argument immature, escamotant la réflexion rigoureuse de son créateur. BATTLE ROYALE s'inscrit dans la tradition d'une science-fiction engagée et exigeante, et sa violence se met au service de sa réflexion.
BATTLE ROYALE connaît un bon accueil critique en France. Mais il ne trouve pas son public dans nos salles. Au Japon, il connaît un triomphe tel qu'il donne lieu à une suite : BATTLE ROYALE II : REQUIEM de 2003, réalisé par Kenta Fukasaku, son père Kinji étant décédé au tout début de son tournage.