En 1973, le cinéma fantastique anglais est en plein essoufflement. Certes, la quantité de titres produits est encore importante, mais les financements se tarissent, tandis que le studio Hammer s'avère en pleine agonie. Certains producteurs continuent pourtant à financer de tels films, comme Robert D. Weinbach, un américain installé en Europe qui souhaite monter un hommage à un film l'ayant énormément marqué dans sa jeunesse : l'extraordinaire LA MONSTRUEUSE PARADE de Tod Browning.
Il en écrit le scénario avec son ami Edward Mann et obtient, comme metteur en scène, Jack Cardiff. Jack Cardiff, c'est bien entendu ce grand chef-opérateur britannique dont la carrière décolla à partir du film fantastique UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT de Michael Powell et Emeric Pressburger, tandem avec lequel il collabora encore pour LE NARCISSE NOIR et LES CHAUSSONS ROUGES. Ce qui lui valut de devenir un des directeurs de la photographie les plus réputés de sa génération, un maître incontesté du Technicolor !
Par la suite il collabora encore aux AMANTS DU CAPRICORNE de Hitchcock, PANDORA d'Albert Lewin, LES VIKINGS de Richard Fleischer, entre autres, avant de passer à la mise en scène à la fin des années 50. En 1960, AMANTS ET FILS lui vaut une nomination comme Meilleur Réalisateur aux Oscars. Mais, par la suite, sa carrière à ce poste se tassa. Il faut bien le dire, MUTATIONS correspond en fait au point le plus bas de sa carrière. Après ce titre, il abandonne la réalisation et retourne, à nouveau avec succès, à la direction de la photographie.
Pour jouer le savant fou de MUTATIONS, Weinbach souhaite recourir au talent de Vincent Price. Mais faute d'accord avec son agent, on se reporte sur un autre grand comédien du fantastique : Donald Pleasence, alors en pleine période Amicus. La même année, on le retrouve dans des anthologies de ce studio telles que FRISSONS D'OUTRE-TOMBE et TALES THAT WITNESS MADNESS.
Nous retrouvons aussi dans ce film d'autres vedettes du cinéma fantastique d'alors, comme la norvégienne Julie Ege (futur Hammer Girl dans LES SEPT VAMPIRES D'OR de Roy Ward Baker), l'américain Brad Harris (célèbre pour sa carrière entre l'Italie et l'Allemagne, qui interpréta des péplums et des films de super-héros italiens, tels SAMSON CONTRE HERCULE ou LES TROIS FANTASTIQUE SUPERMEN, ou de nombreux polars allemands), l'anglais Tom Baker (appelé à devenir la plus célèbre incarnation du "DOCTEUR WHO" à partir de 1974) et, surtout, l'excellent Michael Dunn, immortel Loveless de la série LES MYSTERES DE L'OUEST…
A Londres, le professeur Nolter avance des théories audacieuses. Il est convaincu qu'en manipulant les structures de l'ADN, on peut obtenir des êtres mêlant des caractéristiques animales et végétales. En secret, il mène de terribles expériences dans ce sens. Lynch, un homme défiguré travaillant dans un cirque, kidnappe des passants, lesquels deviennent les infortunés cobayes du scientifique ! Une étudiante va connaître un tel sort, et ses amis, inquiétés par sa disparition, vont mener leur enquête…
A l'énoncé de ce scénario, nous comprenons sans mal que nous avons affaire à une très classique histoire de savant fou, lequel cherche ici à créer des mutants dans la plus pure tradition du docteur Moreau. Ici, la petite originalité consiste à montrer l'inquiétant chercheur créer non pas des hybrides homme-bête, mais des créatures à la fois humaines et végétales. Ce qui nous vaut l'apparition étonnante d'un être à mi-chemin entre le bipède et la plante carnivore…
MUTATIONS illustre son intrigue de façon insolite, en nous montrant, durant tout son générique, des images très impressionnantes de plantes étranges poussant en accéléré. Des scènes documentaires signées Ken Middleham (déjà responsable d'extraordinaires images d'insecte dans PHASE IV ou le documentaire DES INSECTES ET DES HOMMES) qui apportent une réelle dose de bizarrerie à ce long métrage, d'autant plus qu'elles sont accompagnées par une excellente musique expérimentale signée Basil Kirchin (LA MALEDICTION DES WHATELEY, L'ABOMINABLE DR. PHIBES…).
A côté de cette histoire de science-fiction, nous trouvons des épisodes de terreur lorgnant, eux, nettement vers LA MONSTRUEUSE PARADE. Dans un spectacle forain, diverses personnes (réellement) atteintes de difformités se produisent dans un Freakshow animé par le nain Burns. Femme-crocodile, garçon grenouille et autres "pop-eye" s'exhibent devant une foule mi-amusée, mi-terrifiée. MUTATIONS adopte un point de vue plus voyeuriste que le chef-d'oeuvre de Browning. En effet, alors que LA MONSTRUEUSE PARADE nous montre les "freaks" dans leur vie quotidienne, et jamais en plein spectacle, MUTATIONS nous convie à une longue séquence de monstrueuse monstrance.
Pourtant, Cardiff et Weinbach réussissent tout de même à nous les rendre attachants. Le personnage de Lynch (un des rares monstres du film qui soit en fait un acteur maquillé), refusant d'admettre son handicap, est prêt à tous les compromis, tous les crimes, en échange de la promesse qu'il retrouvera bientôt un visage "normal". Sa virée pathétique chez une prostituée londonienne, laquelle lui fera payer un "Extra Pound" pour lui dire qu'elle l'aime, s'avère un moment fort touchant.
Malheureusement, à force de courir deux lièvres, MUTATIONS se disperse. Plus la partie consacrée aux "monstres" se développe, plus celle dédiée au savant devient banale et perd de son intérêt. Les deux récits ne sont que trop maigrement reliés. Finalement, MUTATIONS manque d'équilibre et se conclut sur un dénouement particulièrement inintéressant.
Reste tout de même un film fantastique hors-norme, bien interprété, annonciateur de futurs titres anglais tels que TRANSMUTATIONS (titre vidéo) et CABAL, lesquels baignent dans une ambiance insolite et baroque assez comparable. MUTATIONS mérite donc tout de même le coup d'oeil. En France, en tout cas, il ne sera pas distribué en salles, et il faudra attendre les années 80 pour l'y trouver, directement en vidéo.
En DVD, il était curieusement resté inédit jusqu'à maintenant, mais cette lacune a récemment été comblée par le DVD américain (zone 1, NTSC) publié cette année par l'éditeur Subversive Cinéma sous le titre THE FREAKMAKER. En effet, le film fut baptisé à sa sortie THE MUTATIONS, contre la volonté de Weinbach qui a toujours voulu qu'il se nomme THE FREAKMAKER. Cela est donc réparé avec ce DVD.
Ce disque fait d'abord bonne impression, avec sa jaquette soignée dont le revers est illustré de photos du film. Dans le boîtier, nous trouvons aussi un petit poster reproduisant le visuel de la jaquette, ainsi que trois imitations de Lobby Cards d'époque dédiées à MUTATIONS.
MUTATIONS nous est ici montré dans un télécinéma au format 1.78 (proche du format panoramique employé à l'époque), avec 16/9. L'image affiche parfois une curieuse dominante orange, donnant l'impression que Donald Pleasence a mangé trop de carottes ! La bande-annonce proposée en bonus offre quant à elle des teintes plus naturelles… Par ailleurs, certaines couleurs trop saturées tendent à manger quelques détails. Malgré cela, la qualité d'image reste globalement correcte, la copie s'avérant propre et suffisamment bien définie.
La bande-son est disponible dans deux mixages : ou bien dans un très bon mono d'origine (codé sur deux canaux), ou bien dans un remix stéréo un peu moins naturel. Dans les deux cas, on apprécie la profondeur et la propreté de ces pistes. Aucun sous-titrage n'est disponible.
La section suppléments, de son côté, s'avère des plus fournies. Nous trouvons d'abord un commentaire audio de Jack Cardiff, un peu décevant, il faut bien le dire. Les paroles du vénérable metteur en scène ne sont pas toujours très distinctes et de trop longues plages de blanc émaillent ses interventions. Heureusement, un second commentaire, assuré par Robert Weinbach (scénariste et producteur, comme on l'a vu) et l'acteur Brad Harris, se montre autrement plus intéressant. Discussions passionnées, souvenirs cinéphiles et professionnels fusent durant toute la durée de cet excellent commentaire audio.
Ces trois intervenants sont à nouveau interviewés dans un excellent "Making Of" de 26 minutes, document bien fait et évitant le plus souvent les redondances par rapport aux commentaires audio. L'interactivité nous propose encore une galerie d'images, composée de photos d'exploitation, d'une affiche d'époque, ainsi que de vraies biographies (et non des filmographies copiées-collées sur internet…) dédiées à Donald Pleasence, Jack Cardiff, Robert Weinbach, Brad Harris et Tom Baker. Enfin, nous avons accès à une sélection de bandes-annonces de films édités par Subversive Cinema, parmi lesquelles celle de ce MUTATIONS.
Une édition complète et globalement de bonne qualité, donc, qui nous permet de redécouvrir ce MUTATIONS devenu fort rare…