4. Systèmes hors normes

Le Widescreen Weekend a également fait un choix de revisiter des films peu vus sur grand écran, mais surtout tournés dans des systèmes hors norme.

GOYA et sa copie 70mm sous-titrée française, exploitée une seule semaine au défunt Kinopanarama parisien. Une curieuse production est-allemande de 1971, mettant en vedette Donatas Bainonis – un acteur lituanien plus connu pour être le héros de SOLARIS d'Andreï Tarkhovski - dans le rôle-titre du peintre qui défraya la chronique en Espagne au 18ème siècle. Et ce GOYA est une sacrée surprise. Tout d'abord, tourné grâce au système 70mm utilisé en ex-RDA, à savoir le DEFA-70 - de format 2.20:1 et permettant là aussi la diffusion de 6 pistes sonores stéréo. A noter que seuls 10 films ont été tournés avec ce format. Ensuite, cette évocation de la vie du peintre espagnol se révèle fluide, baroque et emprunte d'un certain irrespect envers la classe dominante. Dans une certaine mesure, s'agissant d' une production de feu la RDA communiste, il semble logique d'avoir choisi cette narration-là. Il n'empêche, le film possède une ironie bienvenue dans le traitement des personnages, sans pour autant sombrer dans la caricature. Quelques libertés historiques ça et là, mais tout en gardant certaines animosités bien présentes. Notamment vis-à-vis de la reine Maria-Luisa (jouée par l'actrice bugare Tatyana Lolova) : d'une laideur dont elle avait conscience, mais qu'elle a usé à juste titre, tout comme de sa force de persuasion pour exiler la duchesse d'Alba. De faire du roi un pantin idiot amateur de lutte. On sent au long du film l'ombre de Serguei Eisenstein quant au montage, l'atmosphère parfois kakfkaesque – et même quelques accents bunueliens eu égard à la décadence montrée, et ce dès le générique de début, très déroutant. L'illusion de l'Espagne est parfaite, malgré un tournage aux quatre coins de l'ex bloc soviétique (Bulgarie, Pologne, Russie.. ;). Un soin tout particulier sur les décors parfois monumentaux, les costumes rutilants. Mais c'est la personnalité volcanique de Goya qui transparaît et le lent glissement vers sa folie créatrice et destructrice. Une oeuvre forte, qui se termine dans le vacarme des révoltes, magnifiés par les tableaux de résistance horrifique que Goya peignit vers la fin de sa vie.

DERSU UZALA fut lui tourné en Sovscope 70, et projeté là aussi dans une magnifique copie 70mm aux teintes, couleurs et définition quasi intactes ! Oscar du meilleur film étranger en 1977, ce chef d'œuvre ramena sur le devant de la scène un Akira Kurosawa en proie aux doutes suite à l'échec de DODESKADEN et revenant d'une tentative de suicide. Tournage difficile en Russie (ex-URSS), avec des équipes en majorité russes, confrontations entre scénario original et remanié, problèmes de langage… ceci transparaît à l'écran, dans cette histoire intemporelle d'une équipe de militaires au début du XXème siècle envoyé en mission de relevés topographiques dans les steppes sibériennes. Et la rencontre improbable entre un officier et Dersu Uzala, un chasseur nomade qui va les guider. Affrontement de deux manières de penser, de vivre la nature, de communiquer. Unique, vibrant hommage à l'humanité que seule une absorption totale par l'image grandiose des décors naturels permet de ressentir effectivement cette symbiose entre l'humain et sa nature. Cette projection aux conditions idéales est d'autant plus rare que les éditions DVD disponibles sont toutes de nature assez médiocres quant au son et de l'image.

Pas de 70mm pour Dario Argento mais le Widescreen Weekend est une célébration des formats larges. Et un choix pressenti l'année dernière via un chef d'œuvre tourné en Technovision… SUSPIRIA : un événement. Où le présentateur du festival a spécifiquement demandé au projectionniste de mettre à fond le volume ! L'occasion de découvrir sur grand écran l'une des rares copies originales avec les 4 pistes stéréophoniques mixées en 1976. Une copie anglaise (certifiée "X" juste avant le générique !) qui induit hélas quelques plans coupés, dont le cœur visible à travers la cage thoracique découpée et transpercé d'un couteau. Mais… quelles couleurs ! Quel son ! Quelle explosion de cris, de décors sublimes, d'agression visuelle et sonore ! Quel érotisme macabre ! Une salle quasi complète, tous ages confondus. Une ôde à l'effroi via des accès de violence hyperbolique qui donne toute sa mesure dans la forme initiale qui avait été prévue. Nous sommes à des années lumière de la désastreuse projection du Blu-ray (voir DVD ?!) français au Festival de Gérardmer 2011, espèce de non-sens cinématographique, une honte à la gueule du cinéma en train de crever la bouche ouverte en privilégiant pour une projection publique un support prévue pour le home cinéma.

Autre moment particulier du festival, l'hommage rendu aux trouvailles et autres curiosités des écrans larges. A commencer par le Circlorama. Circlorama ? Une trouvaille anglaise narrée en personne par son réalisateur Stanley A. Long, qu'il a monté à Picadilly Circus en 1963. Un écran circulaire -déjà présent à Moscou, ceci dit- composé de 11 écrans, tous abreuvés d'une image 35mm provenant de 11 projecteurs. Les spectateurs se tenant debout, entourés d'une image permanente. Un film documentaire, et doté de conditions de tournage plus que délicates, eu égard aux onze caméras filmant de manière simultanées de manière à ce que la restitution de l'image sur écran permettent l'effet circulaire désiré. Un véritable casse-tête de montage visuel et sonore (seules 3 pistes sonores étaient montées, afin de réduire les problèmes de synchronisation). Le film CIRCLORAMA CAVALCADE fut projeté en 1963, d'un aspect de 360°, donc. Et le film produit et réalisé par Stanley Long Aujourdh'ui, on retrouve ce principe démultiplié dans quelques parcs d'attraction, mais également à Arromanches, au musée du débarquement – sur 9 écrans, cependant. Pour la petite histoire, Stanley A. Long est également le même cinéaste d'exploitation anglais qui a commis les éminentes perles sexy comme NAUGHTY ou ADVENTURES OF A TAXI DRIVER, et de glisser vers le film d'horreur SCREAMTIME en 1986. L'écran large mène à tout.

D'autres surprises via Cineramacana, un joyeux fourre-tout de morceaux de pellicules en 70mm et autres étrangetés en grand écran. On y a retrouvé pêle-mêle une scène de HELLO, DOLLY en total pink vintage, la scène pré générique des AMOURS ENCHANTEES… tout relever tiendrait de la gageure. Mais deux moyens métrages surnagent. Tout d'abord, une publicité de 1959 en Cinerama (dont en écran incurvé avec un aspect de 2.89:1 !) sur… la fabrication de la Renault Dauphine. Des chaînes de montage via des essais mécanique jusqu'à la belle cliente montant à bord, un panégyrique de la technique Renault, et en 6 canaux stéréo ! Poussant plus loin le vice de la gloire technologique des années 60, il fut possible d'être témoin du monde merveilleux de SHELLARAMA. Ou, dans son autre titre anglais, PUSH BUTTON GO : du plaisir pétrolifère cinématographique à la gloire de la marque Shell. Des gisements de pétrole en pleine Amazonie dans les superbes tuyaux qui défigurent des déserts jusqu'aux réservoirs de chaque véhicule, Shell est en toi – Shell c'est magnifique. Une publicité comme il serait aujourd'hui impossible de pratiquer. Sauf qu'ici, en Super Technirama 70 et en 1965, le visuel est positivement magnifique. Richard Cawtson a filmé 14 minutes époustouflantes en suivant le cheminement du pétrole, du creux de la terre jusqu'aux voitures. Mer, terre, air, la caméra se déplace partout avec majesté, grâce à une narration d'une naïveté confondante mais solide. Shell est partout : de l'Iran aux Indes en passant par l'Afrique noire, les Champs Elysées ou chez Monsieur tout le monde en vacances sur la riviera. A noter que le film était présenté en séance quotidienne à l'époque, en qualité de court-métrage avant la projection de films comme OPERATION CROSSBOW. Pour les plus curieux (ses), ce SHELLARAMA est disponible sur le DVD édité par le Britsih Film Institute : SHADOWS OF PROGRESS : DOCUMENTARY FILM IN POST-WAR BRITAIN 1951-1977.

RECHERCHE
Mon compte
Se connecter

S'inscrire

Index
Dossier réalisé par
Francis Barbier