2. Partie 1
Christophe Lemonnier : Dans les suppléments du DVD de DEAD END, il est dit que vous n'aviez pas tourné auparavant. Mais il semblerait que vous aviez monté votre propre société de production ? Qu'avez vous fait au sein de cette structure ? Des courts ? Des documentaires ?
Jean-Baptiste Andrea : Fabrice et moi avions monté cette structure avec un troisième ami pour tourner sans attendre que l'on nous en donne l'autorisation. Nous avons mis toutes nos économies dans une belle Betacam, à l'époque, et réalisé un pilote de série comique, d'humour très absurde, que personne ne nous avait demandé. Je dois avouer que je suis encore fier de l'écriture. Mais c'est vrai que techniquement, il y avait du progrès à faire! Nous avons donc revendu notre caméra et décidé de faire les choses de manière plus traditionnelle. Au final, ça n'a pas été le cas, vu que tous nos longs ont été refusés par le CNC et autres instances susceptibles de les financer, ce qui nous a poussé à faire le grand saut et tenter directement un long métrage.
Comment avez vous rencontré Fabrice Canepa ?
A une soirée HEC. Il avait monté un bar à ambiance gothique/métal, ce qui a fait fuir tout le monde, sauf moi! On s'est tout de suite entendus.
Dans les suppléments de DEAD END, on nous dit qu'il n'existe que deux scènes coupées mais apparemment, il semblerait qu'il y en ait d'autres avec par exemple une histoire de photos de famille ? Est ce que la plupart des séquences ont été donc supprimés en amont du tournage ou elles ont été tournées ?
Non il n'y a vraiment que deux scènes coupées. Le tournage était très court et il n'y avait pas de beaucoup de "gras" dont on pouvait se débarrasser. Les photos auxquelles vous faites allusion sont juste une scène du début où Marion regardait les photos de l'anniversaire de son frère, à l'arrière de la voiture, pendant que les autres somnolaient. Ce n'est pas une scène à proprement parler, juste un insert sur les photos, donc ça n'aurait eu aucun sens de la mettre dans les scènes coupées. L'une de ces photos se retrouve d'ailleurs après le générique de fin, pour ceux qui ont eu la patience de le regarder jusqu'au bout.
Une autre actrice aurait dû interpréter le rôle de la mère qui a finalement été joué par Lin Shaye. Est-ce vrai ? Si c'est le cas, pourquoi a t'elle choisi de ne pas faire le film ?
On avait proposé le rôle à Julie Hagerty, qui avait joué dans Y A-T-IL UN PILOTE DANS L'AVION ?. Mais je suppose qu'elle a pris peur au dernier moment du fait du petit budget et de la nature du rôle. A Hollywood, il n'y a pas tant d'acteurs que ça qui prennent des risques.
Cela fait quoi d'avoir un accident de voiture lors de la préparation d'un film qui parle des conséquences d'un accident de voiture ?
Lol. Vous êtes bien renseignés. C'est mentionné dans les extras? Je ne m'en souviens pas. C'était vraiment une coïncidence assez étrange, surtout que je n'avais jamais eu d'accident avant et que je n'en ai pas eu depuis. On allait rencontrer Ray Wise pour la première fois, j'étais super excité, je n'ai pas vu un feu rouge... Heureusement ce n'était pas très grave, mais on s'est effectivement amusés de la coïncidence!
Quel a été le budget d'un film comme DEAD END ? Et le film a t'il été rentable rapidement au travers de son exploitation dans les autres pays que la France ?
Environ 800.000 dollars, je pense. Au final il a coûté un peu plus parce qu'à cause de problèmes de droits, il n'a pas pu sortir ici, ce qui a été délicat et a coûté de l'argent à la production. Dans tous les autres pays où il est sorti, oui, il a été très rentable.
Le film a été vendu un peu partout dans le monde que ce soit pour des sorties en salles ou directement en vidéo ? Est-ce que cela a eu un impact significatif sur la suite de votre carrière ?
Le film a été très bien reçu par le public, primé dans plusieurs festivals, et a rapporté de l'argent à peu près partout où il est sorti. Donc ça suffit pour qu'on lise ce que vous écrivez après. Ca n'aide pas plus que ça, mais c'est en fait déjà beaucoup, et surtout une amélioration significative par rapport à un premier film! :)
La France est l'un des derniers pays où sort le film. Ca traduit bien l'adage " Nul n'est prophète en son pays " ? Pourquoi un tel retard sur la sortie ? Il paraît que le DVD était prêt depuis quelques années ?
C'est exact. En gros, l'un de nos producteurs/distributeur a eu des difficultés financières et a dû fermer. Il avait déjà vendu les droits vidéos pour financer le film. On a dû chercher un nouveau distributeur, mais sans avoir la vidéo pour se rattraper, personne ne veut se risquer à sortir un film tant l'opération est coûteuse. On a essayé pendant longtemps, ce qui a retardé la sortie du DVD. Et après, on a souffert du fait que le film n'était pas sorti en salle quand on s'est mis à parler de la sortie DVD ! Les investisseurs rechignent à prendre de risques, car les montants sont toujours importants. C'est normal.
Il n'y a donc pas eu de véritable sortie en salles en France de DEAD END (hormis quelques projections au sein de festival) et dans ce sens, c'est plutôt amusant de voir les personnages de HELLPHONE se rendre au cinéma pour le voir. Dans quelle circonstance ce choix a été fait ? Même producteur ? De plus, les deux spectateurs dont on ne voit que le haut de la tête et qui ont l'air captivé, il s'agit de vous et de Fabrice Canepa ?
Oui, il s'agit bien de Fabrice et de moi. Ca fait des années que James Huth et moi travaillons ensemble sur différents projets. Il avait produit DEAD END, et nous avons écrit HELLPHONE ensemble, lui, Sonja Shillito et moi. Donc au moment du tournage, il a eu cette idée marrante, un peu "pied de nez", de mettre en scène DEAD END comme s'il était sorti normalement au cinéma, ce qui n'est jamais arrivé en France. C'était vraiment juste un clin d'oeil, de la pure auto-dérision.
Au début du commentaire audio, vous dites que ceux qui sont en train de vous écouter ont trop de temps à perdre ? Vous pensez que ce type de suppléments n'a aucune intérêt ?
Lol. On adore les suppléments, mais pas les commentaires audio. Je ne trouve pas ça fascinant, et en plus, dans le feu de l'action, on peut être tentés de révéler des petits secrets qui brisent la magie. Le commentaire audio est souvent le moins intéressant dans les extras. Ceci dit, je n'ai jamais réécouté notre commentaire audio. S'il n'est pas intéressant, vous saurez pourquoi, et s'il est, on retire ce qu'on a dit!
Il en va de même du générique de fin de DEAD END où l'on peut voir un message dans les dernières secondes où vous dites en gros que ceux qui sont restés jusque là sont des vrais amoureux du cinéma. Est-ce un simple merci ou bien aussi un constat sur le peuplement actuel des salles où tout le monde s'en va avant la fin du générique ?
Les deux. Moi j'adore rester pendant le générique de fin, juste parce que ça permet de "sortir" lentement du film, comme un chill out. Je ne comprends pas comment les gens peuvent bondir du film après le mot "Fin', comme s'ils switchaient brutalement. Moi je n'y arrive pas. Donc on a mis ce message pour les rêveurs, ou les courageux, qui restent jusqu'à la fin.
Ray Wise a dit dans une interview lors d'un festival qu'il était fier du résultat final de DEAD END. Vous semblez dire qu'au départ, vous n'aviez que peu d'espoir qu'il accepte le rôle en raison de ce qu'il a pu faire auparavant ?
Oui. On était parfaitement inconnus, nous n'avions rien fait de très montrable avant, donc il y avait un certain risque pour lui et on ne pensait pas qu'il accepterait.
DEAD END se limite a cinq personnages et il réussit à être plus sympathique, avec son parti pris minimaliste, que d'autres films français qui s'essaient au cinéma de genre. Cela fait penser, dans un autre registre, à ILS, lui aussi resserré sur très peu de personnages mais qui réussit à les faire vivre et à insuffler une véritable tension. Est ce que d'après vous, les autres films français qui se sont essayés au genre ont surtout des problèmes dans l'exploitation de leurs idées et donc dans l'écriture de leur scénario ?
Je n'ai pas vu beaucoup de films de genre français, donc je ne peux pas juger. En revanche, il y a quelque chose que j'appellerais le "mal français", c'est l'absence d'exigence en écriture. Je retrouve le problème dans beaucoup de scénarios que je lis. Il n'y a pas de structure, pas de vision d'ensemble. Des bonnes idées, oui, mais ça ne suffit pas. Un bon film, c'est d'abord un scénario solide (comme le disait Jean Gabin de manière plus intéressante que moi). C'est là où les Américains sont forts. Sur la réalisation, on peut leur en remontrer. Sur l'écriture, les Français ont du travail à faire. Je m'inclus dans le lot, c'est un apprentissage constant. Mais il est vrai qu'avec Fabrice, nous avons passé de longues années à écrire avant de réaliser notre premier film. Nous avons beaucoup appris de James Huth à cet égard.
L'épilogue dans l'hôpital est assez surprenant car il tranche complètement avec le reste du film. La nuit cède la place au jour, l'isolement disparaît au profit d'un environnement très peuplé (les couloirs, le parking...)... Et surtout elle amène des éléments de réponses qui n'étaient peut être pas utiles à la compréhension du reste. Vous aviez pensé cette fin de cette façon à l'origine ? Etait il obligatoire de donner un visage au conducteur ?
Rétrospectivement, peut être pas... Mais alors vous nous auriez posé la question "Qu'est-ce que raconte votre film" ? Ne pas donner de réponse aurait été également frustrant, et un peu facile.
Le film perd un peu de sa force et de son mystère. Est ce qu'il n'aurait pas été préférable de s'arrêter sur Alexandra Holden dans le lit ?
Sûrement, vu que l'actrice qu'on a engagée pour jouer le médecin est arrivée sans savoir ses lignes, ce qui nous a forcé à couper pas mal de la fin et ça l'a peut-être un peu affaiblie. Mais dans l'ensemble, on l'assume, et on aime beaucoup les deux balayeurs à la fin. Cette dernière scène est la vraie fin du film, même si elle est dans le générique.