Interview Aldo Lado (05-02-2007)

4. Partie 3

Je voudrais en venir, et il va falloir que vous m’expliquiez un certain nombre de choses, à L’HUMANOÏDE.

Ohla !

J’ai découvert le film à la Cinémathèque Française il y a quelques temps.

Ils l’ont passé à la Cinémathèque ?

Oui.

Mais quel dommage de passer ça !

Du moins, je voulais vraiment le découvrir ! Le casting était alléchant, le sujet, vous à la réalisation... Il n’existe pas de DVD, les VHS ne se trouvent pratiquement plus. Je voulais le voir sur grand écran. Mais… Comment vous dire… Je pense que je n’ai pas beaucoup aimé.

Bravo !

Il y a des moments de poésie réussis, quelques maquettes d’Antonio Margheriti, de beaux décors. La machine à pomper le sang. Et il y a le reste. J’ai essayé de trouver des relations avec vos autres films : un sous texte politique, une dualité de personnages... Rien. Et Richard Kiel joue très mal. Quelque chose m’a-t-il échappé ?

Non, rien (rires). J’avais envie de faire de la science-fiction, avec mon style propre. J’en ai parlé à un producteur, Goffredo Lombardo (Note : ancien président de la Titanus, grande maison de production distribution italienne), qui était en train de faire faillite suite à un film d’Altman qu’il avait co-produit. Il avait des connaissances dans une société d’énergie italienne qui l’ont sauvé de la faillite mais qui lui ont dit de ne faire que de la distribution. Et que ceux-ci s’occupaient du financement, via un vieux producteur chevronné. Avec Lombardo, nous avions fait certains choix. Nous voulions Richard Kiel, alors très connu et en train de tourner L’OURAGAN VIENT DE NAVARONE en Yougoslavie. On le rencontre, on tente de se comprendre et il a été d'accord. Je trouve un décorateur de théâtre spécialisé dans des décors un peu fantastique, le directeur de la Photo, Vittorio Storaro… Et je voulais faire quelque chose de naïf. Un monde tel qu’on le voit dans les bandes dessinées. On a fait un story-board. Et j’ai trouvé, via des amis de Los Angeles, aux Etats-Unis un gars pour faire les effets spéciaux, Richard Yuricich. Avec tout cela en poche, je vais voir mon producteur. Pas de réponse… Et cela a duré un certain temps, à tel point qu’avec mon agent, je cherchais à faire un autre film. Deux mois après, on me rappelle. Un autre metteur en scène avait été recherché. Mes demandes étaient trop folles. Le scénario avait été réécrit. Et d’autres techniciens avaient été consultés, un décorateur spécialisé en western (qui était malade), un directeur de la photo qui n’avait rien à foutre avec ce film… En fait, ce qui s’est passé : c’est qu’au moment de signer avec Richard Kiel, celui-ci a dit « non » car il voulait tourner avec moi, car il avait parlé du film avec moi. Mais tout avait été changé entre temps !

Mais pourquoi avoir alors accepté ?

Mon agent ne trouvant pas d’autre film et moi n’ayant plus d’argent, j’ai du accepter. Avec une lettre du vieux producteur m’assurant le contrôle du tournage. Sans mon équipe d’origine... Et là commença la catastrophe. La fille du vieux producteur avait trouvé un anglais pour les effets spéciaux. Mais impossible de voir ce qu’il avait fait auparavant. Et toute la famille du vieux producteur s’est trouvée placée dans le film. J’ai essayé de sauver les meubles, mais je n’avais plus envie. Je t’assure, au moment où la voiture venait me chercher le matin pour le tournage, j’aurais préféré aller en prison.

A ce point là ?

Oui. Pour te dire en plus : nous tournions en Israel. Et ils ont laissé passer le matériel au contrôle laser de l’époque. Résultat : le laser avait laissé des traces sur les négatifs que j’avais tourné. Et pire, comme les effets spéciaux déjà tournés étaient de la merde, ils ont voulu me virer. Je ne les avais même pas vu ! Alors, j’ai montré la lettre du producteur… et il vira alors sa propre famille. Pour en placer d’autres qui volaient le producteur… ça n’en finissait pas. J’ai proposé un plan pour en finir au plus vite. Ils ont accepté… Et voilà. C’est un film que je n’ai jamais aimé. J’ai eu la haine dès le départ.

Vous avez été dépossédé du film ?

Oui, car c’était un autre film au départ. J’ai du le tourner, car j’avais signé pour. Mais ce sont pour toutes ces raisons que le film est la merde que c’est aujourd'hui.

Vous savez qu’il y a quand même quelques fans du film.

Mais je m’en fous… Il y aura toujours des fous dans la vie !

Il y a même un site internet dédié au film.

Mais non, ce n’est pas possible.

Je peux vous en donner l’adresse : www.golobthehumanoid.com

Ce n’est pas possible… (Pause) Je me suis toujours demandé, et là vous allez pouvoir me répondre. Comment cela se fait-il qu’il y a tellement de gens qui perdent leur temps à écrire sur les autres sur des sites ?

Pour les cinéphiles, il s’agit d’œuvres d’art. Il faut transmettre le savoir. Internet est un outil de savoir incomparable qui n’existait pas dans les années 70. Et votre parole intéresse des générations qui n’ont pas vu vos films et qui ne connaissent pas votre manière de travailler.

Je ne crois pas.

Je ne serais pas là en ce moment si je pensais le contraire. Je pense surtout que la fonction première de l’art, c’est de faire un commentaire sur la société. Certains y arrivent mieux que d’autres. Je n’ai que mon plaisir de cinéphile pour le commenter. Mais que je sois d’accord avec ou pas, il faut parler de ceux qui ont un point de vue précis. C’est précieux pour les générations actuelles et futures. Et accessible de manière globale.

Oui… Je comprends. Mais concernant L’HUMANOÏDE, ce n’était pas la chose que je voulais faire. Là, je l’ai fait pour de l’argent. Je l’ai mal fait car j’allais tous les jours sur le plateau sans avoir envie de le faire. Il y a peut être quelque chose qui reste, mais je ne suis pas sûr.

La musique d’Ennio Morricone… j’aime beaucoup ce qu’il fait d’habitude. Mais là…

Lui aussi a été influencé par les films de Spielberg, l’électronique, tout ça… ça n’est pas fameux.

Vous avez quand même eu un casting incroyable. Vous avez employé des gens très célèbres à l’époque. Utilisé des seconds rôles italiens très forts : Ivan Rassimov, Venantino Venantini

C’est vrai. Mais…

Et vous avez aussi Enzo G. Castellari à la seconde équipe.

Ohlala… On ma demandé de faire des scènes d’action. Moi je n’aime pas faire ça. Ca ne m’intéresse pas. Alors j’ai engagé Castellari, car il était un peu grossier avec sa caméra. Comme il est dans la vie.

Justement, on va laisser de côté L’HUMANOÏDE. Vous avez co-écrit IL GIORNO DEL COBRA d’Enzo G. Castellari. C’est un film que je n’aime pas beaucoup, avec des idées que je n’apprécie pas.

Moi aussi. Je l’ai écrit avec un grand écrivain et metteur en scène, Fabio Carpi. Le film est né dans ma lignée d’inspiration d’Europe de l’Est. Lombardo voulait faire un polar qui se déroulait en Italie, mais qui pourrait se passer aux USA. J’ai toujours aimé les polars, à la Mickey Spillane. J’ai donc imaginé une histoire avec quelqu’un de la Mafia qui envoie quelqu’un en Italie pour rechercher un homme disparu à Trieste avec leur argent. Je voulais un contrepoint politique. En effet, Trieste avait été partagée pendant un temps entre les américains et les français afin d’empêcher Tito d’entrer en Italie. Et cet homme avait justement été un militaire stationné à Trieste. Et il retrouve sa fille qu’il avait eu avec une femme de Trieste. Un thriller avec le côté raffiné de Fabio Carpi. Lombardo approuve le scénario et j’obtiens le contrat de metteur en scène. Je voulais un acteur américain que j’adorais, qui était Richard Widmark. Et Lombardo voulait Rod Steiger. On s’est fâché, j’ai déchiré mon contrat de metteur en scène. Lombardo, qui avait payé le scénario, l’a donc gardé. Il a continué à travailler avec le vieux producteur de L’HUMANOÏDE. Et ils ont choisi Castellari pour la mise en scène, ce qui change tout. Franco Nero à la place de Widmark, l’enfant à la place de la fille… Cependant, à la fin du film, ils sont revenus vers nous car notre contrat de scénariste prévoyait l’approbation finale ou non. Carpi et moi n’avons pas du tout aimé le film. Mais en discutant, on n’avait pas spécialement envie de blesser Castellari. Alors on a fini par signer le film, par respect pour un collègue.

Mais quand même, j’ai beaucoup de mal. J’ai beau aimer Franco Nero, Sybil Danning

Le problème n’est pas là. Si vous concevez des spaghettis à la Matriciana : vous prenez de la poitrine fumée, qu’il faut frire, etc... Ca, c’est le scénario original. Ensuite vous dites : je ne mets pas de poitrine fumée, je met des oignons. Je ne met pas d’huile d’olive, je mets du beurre… ce n’est plus la même chose… Mais bon, j’ai toujours pensé qu’il n’y avait jamais de mauvais film dans l’absolu. Il y a toujours l’amour du metteur en scène, le travail du machino qui a posé les rails pour le travelling… Un travail d’équipe. Ils ont fait leur film. On y trouve toujours quelque chose de positif.

Et même sur les pires productions ?

Un jour, j’ai donné un coup de main à une vieille amie à moi, Vera Belmont, sur ROUGE BAISER. J’avais un trou dans mon planning et je suis venue l’aider. Et A l’époque on avait des machinos et des electros qui travaillaient sur un autre film qui s’appelait DIESEL. On m’avait appelé pour essayer de le sauver au montage. Ce film était terrible, même si le réalisateur était intéressant.

Robert Kramer, quand même.

Mais là il a vraiment tout raté. Et pendant le tournage de ROUGE BAISER, ils faisaient l’autre en même temps. Je les entendais rouspéter. « Qu’est-ce c’est chiant ce ROUGE BAISER ». Parce que dans l’autre, ils avaient toujours des grands mouvements à régler. Kramer faisait construire des échafaudages, etc... C’est toujours le rapport qu’ont les gens de ce métier par rapport à leur spécificités. Le machino, tu lui donnes des grues, des travellings, il est comblé. S'il faut placer la caméra et attendre les bras croisés que les acteurs fassent leur travail, ça les intéresse pas. Mais chaque personne qui a un rôle dans un tournage le fait avec amour. Même si ce n’est pas leur film. C’est encore la force du cinéma.

Vous avez aussi travaillé pour la télévision.

Oui, dans les années 80. Notamment une série de 26 petits films avec des enfants LA PIERRE DE MARCO POLO. Des petites histoires, un peu à la Maupassant. Cela rencontra beaucoup de succès et s’est très bien vendu à l’étranger. Puis une série policière avec Julien Guiomar qui se passait à Verone LE FILS DE L’INSPECTEUR, avec Fabio Testi dans le rôle principal. Enfin une série de 13 épisodes avec Stefania Sandrelli, Kim Rossi Stuart, Francesca Neri, Ray Lovelock… se passant dans la vallée d’Aoste, centrée sur un petit village. Avec une petite innovation, la série se deroulait sur 13 mois, avec des histoires qui se retrouvaient d’épisode en épisode. Mais au cœur de chaque histoire, se passait un événement écologique, le héros principal étant un garde forestier : des eaux souillées, la dégradation de l’environnement à la montagne, etc.

Parlant de métiers du cinéma, vous avez aussi été acteur dans MORA de Léon Desclozeaux. Vous jouiez, il me semble, le père d’Ariel Besse. Pourquoi ?

(Aldo Lado éclate de rire). Vous vous souvenez de ça ? Léon faisait partie de mes amis à l’époque, et il ‘ma demandé de jouer ce petit rôle de professeur de grec. Et je l’ai fait. J’étais content, car j’avais mon premier contrat d’acteur ! Mais je n’en suis pas un ! Mais qu’est-ce qu’il fait maintenant ?

Il a refait un film en 2000, un semi documentaire en Thaïlande, je crois. Mais depuis, je n’ai plus rien vu de lui. Mais revenons à vous. J’aimerais que vous me parliez de SCIROCCO. C’est aussi un film que je n’ai pas compris que vous fassiez.

Moi non plus.

Nous sommes au moins deux, donc ! Parce que lorsque je l’ai vu en août 1987 en salles, je n’ai pas saisi l’intérêt de cette histoire de photographe qui part au Maghreb explorer sa sexualité.

J’ai raté ce film. Dans sa conception, dans le choix des acteurs. J’ai été un peu forcé à le faire, car ma femme, avant de mourir, s’était mise à produire. J’avais un accord avec Tony Molière pour la distribution. L’idée de SCIROCCO se basait sur la liberté sexuelle de la femme, de faire ses propres choix.

A propos de choix, pourquoi Fiona Gélin ?

Ah non, ce n’était pas mon choix mais celui de Tony Molière. Moi je voulais Marianne Basler, excellente actrice que j’avais vu au théâtre et dans ROSA LA ROSE FILLE PUBLIQUE. Tony Molière m’indiquait que Fiona Gélin était un nom plus vendeur. Mais Fiona Gélin était fade.

Vous ne semblez pas très passionné par le film.

Non. Il y a des films qui t’échappent. La seule chose que je peux dire, c’est que cette co-production ne s’est pas très bien passée. Tony Molière avait un associé tunisien. C’est pour ça qu’on a tourné en Tunisie. Je ne savais pas très bien ce qu’il faisait, si ce n’est qu’il avait –littéralement- une armoire bourrée de fric. Pendant toute ma carrière, je ne me suis jamais entendu avec les producteurs. Quand j’ai fait LA CUGINA, on a voulu m’imposer une jeune actrice nulle que je ne souhaitais pas. J’ai menacé de tout arrêter et les producteurs ont alors cédé. Comme pour le final, j’ai voulu quelque chose de magique, qui n’existait pas. D’où l’idée de le tourner au ralenti. D’où des problèmes de lumière dont nous avons discuté avec mon directeur de la photo. Ceci nécessitait une caméra spéciale. J’appelle le producteur, qui était sur le plateau, pour faire part de notre besoin. Il me dit OK et que nous l’aurons dans deux jours. Au moment de tourner, je demande la caméra spéciale. Elle n’était pas là. Je dis alors : « on tourne pas ». Le producteur m’indique qu’il a vu la répétition, que c’est formidable, qu’il faut tourner… Alors je quitte le plateau. Le soir à l’hôtel, je trouve un bouquet de fleurs, une corbeille de fruits et le mot du producteur qui me dit « Je m’excuse, je quitte le plateau et la caméra arrive demain ».

Mais la manière de travailler des producteurs a changé, visiblement.

Oui. Vers mes derniers films, comme ALIBI PERFETTO, je me suis trouvé coincé. Il fallait placer la petite copine du président de la chaîne de télé, ou des problèmes politiques, ce genre de choses. Je n’avais plus l’envie.

Qu’en est-il d’ALIBI PERFETTO ?

Un très mauvais film. Je voulais une actrice française, comme Jeanne Moreau, par exemple, pour donner une allure au film. Le producteur m’a dit « prends Annie Girardot, elle est vraiment dans la merde ». A l’époque c’était terrible. C’était tellement grande comédienne que je n’ai pas hésité. Mais c’était un film où on m’a appelé à la dernière minute, tout était presque prêt et aucun réalisateur n’avait accepté. Moi, j’avais besoin d’argent et je l’ai fait.

Vous avez quand même réécrit une partie du scénario.

C’était une merde totale. Quand tu as un scénario, tu sais que tu en auras 30% à l’écran. En poussant le scénario à 60, tu peux peut être en avoir 40. Une merde qui soit un peu moins une merde. Mais une merde quand même. Même avec des gens comme Annie Girardot ou Philippe Leroy.

Un grand acteur d’ailleurs.

Grand acteur et un type formidable, qui sait tout faire. Il a une école de parachutisme, c’est aussi un graveur.

Et le film a marché en Italie ?

Il n’est même pas sorti, je crois. Mais le producteur a eu le film qu’il a voulu.

Il semble difficile à trouver.

Ce n’est pas la peine de chercher. Mais tu sais, lorsqu’on a gravi une montagne, on se trouve forcé à descendre un moment. Et là, c’est la descente.

C’est la même chose pour VENERDI NERO ?

VENERDI NERO c’est un film né dans la société de production de ma femme. Il y a un des vendeurs de L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTEà l’étranger, qui m’avait dit que si je faisais le même genre de film, il me garantissais que je pourrais le vendre sans problème. Il n’a rien garanti et on s’est retrouvé avec des dettes, c’était la merde totale. Mais ce n’est pas un mauvais film. Ce n’est pas SCIROCCO. Il y a une atmosphère. Même s’il reprend certains mécanismes de L’ULTIMO TRENO DELLA NOTTE.

Je voulais terminer sur un film un peu à part, LA DESOBEISSANCE, que je trouve très beau.

Merci de m’en dire du bien car il est toujours oublié.

J’ai du mal à le croire.

Tu es le seul qui m’en parle ! Mais je trouve que c’est peut-être mon meilleur film.

C’est quand même une adaptation d’Alberto Moravia, entre romantisme et contexte guerrier, éveil des sens et sens historique…je trouve qu’il existe un bonne alchimie entre les acteurs. Karl Zinny est touchant, au milieu de Marie-Josée Nat, Stefania Sandrelli. C’est une poésie touchante, jamais niaise. Et une œuvre différente au regard de votre œuvre.

Il y a toujours des choses étranges dans le monde du cinéma. J’avais fait un téléfilm pour Christine Gouze Renal qui s’appelle MONSIEUR MASCANI. C’était une série sur les musiciens, IL ETAIT UN MUSICIEN, avec des metteurs en scène français, italiens, allemands… Elle était très contente du résultat. Elle voulait faire la même chose, mais avec des écrivains. Je tombe sur cette nouvelle de Moravia, que je connaissais. Il me cède les droits de la nouvelle. Je la propose à Gouze Rénal qui la propose à Antenne 2 qui refuse. Cela a semblé trop poussé pour la télévision. L’histoire se déroulait en 1935-1936, à propos de la rébellion d’un jeune homme contre sa famille. Je trouvais intéressante cette histoire de rebellion familiale que Moravia avait écrit en 1946, soit 20 ans avant les événements de 1968.

C’était plutôt prémonitoire, surtout en Italie.

Absolument. D’autant plus intéressant qu’il y avait des éléments autobiographiques. Alors j’ai finis par m’attacher à l’histoire et j’ai réussi à le monter grâce aux distributeurs régionaux italiens. A l’époque, dans chaque région, il existait un distributeur propre. Chaque distributeur national avait ainsi des antennes régionales. Et ce fut les distributeurs régionaux de la Gaumont qui ont avancé l’argent. Et ce fut la première fois que je travaillai avec Tony Molière en co-production. Il m’a d’ailleurs apporté Jacques Perrin, qui est probablement le meilleur acteur avec qui j’ai travaillé. J’ai alors écrit le scénario et déplacé l’action à Venise dans les années 40.

Pourquoi ?

C’était une période que je connaissais. Beaucoup d’épisodes, même si j’étais petit, sont des moments que j’ai vécu. Comme l’arrivée des maquisards. Et j’ai grandi à Venise. J’ai d’ailleurs utilisé de grandes focales pour avoir cette Venise écrasée au fond, le quartier bourgeois du Lido, par exemple. J’en avais discuté avec mon directeur photo Dante Spinotti, qui a fait là son premier film en 35mm. Je voulais tourner cela avec de la pellicule Agfa Gevaert. Personne n’aimait tourner avec. Cela donnait des oranges, faisait sortir les couleurs. Je trouvais la Kodak trop lisse, trop effacée. J’ai vraiment pu le faire comme je voulais… C’est mon meilleur film dans l’absolu.

Mais pourquoi indiquer qu’on n’en dit pas du bien ? Il tient pourtant une place à part dans votre filmographie.

Personne n’en parle. Il est considéré simplement comme un autre film que j’ai fait. J’ai toujours essayé de donner un travail qui était le plus diversifié possible, en gardant une ligne directrice, des thèmes récurrents. Comme dans RITO D’AMORE.

Cette histoire de cannibalisme inspiré de fait divers ?

Oui. Il s’agissait d’un japonais qui avait mangé sa petite amie. Mais ce fait divers m’intéressait sur la partie amoureuse. En Italie, lorsqu’une grand-mère parle de ses petits enfants qu’elle aime beaucoup, il y a toujours cette partie du « Tu es tellement bon que je te mangerais ». Ce n’est pas du langage propre, mais il y a cette volonté de faire sien, de manger le bonheur. Il y a peut être cette même expression en France ? L’amour c’est mettre l’autre en soi. L’histoire du fait divers, c’est que la fille était tellement amoureuse, qu’elle voulait rentrer dans son ami. Etre en lui, se faire bouffer. C’était un film presque religieux, catholique. Moi je suis athée. Mais ceux qui font la communion, qu’est-ce qu’ils font ? Ils bouffent Dieu.

Il y a un côté cannibale dans la religion chrétienne, donc.

Tout à fait. C’est la grande partie des gens qui suivent la religion qui sont cannibales et cannibalisés par la religion. C’est toujours un sujet sur la société, mais dans une autre thématique. Et même dans les films que j’ai raté, il y avait tout de même quelques choses d’utile.

Lorsque justement vous regardez votre carrière passée, auriez-vous souhaité modifier quelque chose ?

On a toujours des regrets. De ne pas avoir fait un film d’après L’Obélisque Noir d’Erich Maria Remarque, sur la grande dépression en Allemagne. Je connaissais l’ex-femme de Charlie Chaplin, Paulette Godard. Elle était mariée alors à Erich Maria Remarque et j’avais pu alors posé une option sur les droits d’adaptation du livre. Mais je n’ai jamais réussi à réunir les fonds nécessaires. Et j’ai le sentiment que, si j’avais pu faire, la trajectoire entière de ma carrière en aurait été bouleversée. Et je pense que je serais rentré dans la gotha des metteurs en scène. Cela aurait été une autre dimension. C’est le seul regret. Mais lorsque je regarde en arrière, j’ai eu de la chance de faire ce métier magnifique. Il te permet de fantasmer et de faire fantasmer. De créer à partir de rien. Et de pouvoir survivre économiquement en faisant ce métier, ce qui n’est pas toujours possible. Même aujourd’hui, en qualité de « script doctor ». Mais j’ai pu le faire uniquement parce que je suis têtu (rires)

Je crois que j’ai saisi ce fait-là ! En tous les cas, merci d’avoir pu consacrer ces quelques heures à répondre à mes questions.

Ce fut avec grand plaisir.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier
Remerciements
Aldo Lado, Blanche Aurore Duault & Neo Publishing