Critique du film
et du DVD Zone 1
FRANKENSTEIN AND THE MONSTER FROM HELL
1974
LES HORREURS DE FRANKENSTEIN dépare fortement dans le cycle des Frankenstein de la Hammer, puisqu'il fait partie des rares épisodes de la saga à ne pas être dirigés par Terence Fisher. Surtout, il s'agit du seul dont le rôle-titre n'est pas tenu par Peter Cushing. Son échec commercial encourage alors les dirigeants de la firme à mettre la série en veilleuse. Elle ne reprend que trois années plus tard, à l'occasion du tournage de FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER, qui revient à des bases plus classiques. On retrouve ainsi Fisher à la mise en scène, après quatre années d'inactivité dues notamment à un accident survenu après le tournage du RETOUR DE FRANKENSTEIN, en 1969.
En cette année 1973, le temps de la gloire de la Hammer est bien dépassé. Les tentatives de diversifier le mythe vampirique se sont avérés des échecs (DRACULA 73, DRACULA VIT TOUJOURS A LONDRES, CAPITAINE KRONOS, TUEUR DE VAMPIRES…), et les financements américains se raréfient drastiquement dans le cinéma anglais. La firme a néanmoins réussi à vendre l'idée d'un nouveau Frankenstein au studio Paramount, en avançant l'idée d'un monstre qui serait, cette fois, particulièrement horrifiant et velu.
Outre Peter Cushing dans le rôle du savant, FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER met en scène d'autres vedettes de la Hammer. La jeune assistante muette du professeur est incarnée par Madeline Smith (UNE MESSE POUR DRACULA, THE VAMPIRE LOVERS…), tandis que son jeune disciple est interprété par Shane Briant, alors sous contrat avec la Hammer, qui tourna trois autres films en son sein (DEMONS OF THE MIND, STRAIGHT ON TILL THE MORNING et CAPITAINE KRONOS, TUEUR DE VAMPIRES). Sous l'épais maquillage de la créature se cache Dave Prowse, en fait un athlète professionnel ayant déjà interprété des monstres de Frankenstein à deux occasions : dans CASINO ROYALE (rien à voir avec la Hammer, donc) et LES HORREURS DE FRANKENSTEIN ; son interprétation la plus célèbre sera, bien sûr celle de Darth Vader dans LA GUERRE DES ETOILES et ses deux suites.
Simon Helder, jeune chirurgien féru des œuvres publiées par le baron Frankenstein, est interné de force après avoir eu recours au service d'un profanateur de sépultures pour rassembler des morceaux de cadavres, morceaux avec lesquels il comptait construire un être vivant. Il a la surprise d'apprendre que le médecin de l'asile est en fait le professeur Frankenstein lui-même, pourtant réputé mort. Il découvre encore que le sinistre savant possède, caché derrière une porte secrète, un laboratoire dans lequel il tente, à nouveau, de donner la vie à une créature élaborée par ses soins. Mais, ses mains ayant été abîmées dans un accident, le baron ne peut plus opérer lui-même et, lorsque Helder se porte volontaire pour l'assister dans ses "recherches" impies, Frankenstein accepte volontiers.
Le baron apparaissant ici avec les mains horriblement brûlées, FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER paraît être une suite directe du RETOUR DE FRANKENSTEIN (à la fin duquel le savant "périt" dans un incendie), court-circuitant ainsi l'épisode LES HORREURS DE FRANKENSTEIN. S'éloignant des expériences plutôt périphériques des deux précédentes réalisations de Fisher (transfert de l'âme dans FRANKENSTEIN CREA LA FEMME et transplantation du cerveau dans LE RETOUR DE FRANKENSTEIN), le récit revient aux bases du mythe : le baron tente ici de créer un être humain vivant, à partir de morceaux de cadavres, comme au bon vieux temps de FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE !. De même, le scénario d'Anthony Hinds est émaillé de références à des épisodes antérieurs : Frankenstein est aidé par un assistant juvénile (LE RETOUR DE FRANKENSTEIN), tandis qu'il s'"approvisionne" dans l'établissement sanitaire où il travaille (comme dans LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN), par exemple.
Pourtant, FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER contient son lot de petites innovations. La plus intéressante est sans doute la présence de Simon Helder, un véritable petit "Frankenstein junior" passionné par les travaux du baron, interprété avec un flegme et un humour irrésistibles par Shane Briant. Le tandem maître-apprenti très british qu'il forme avec Cushing-Frankenstein est un véritable régal d'alchimie complémentaire. Autre personnage crucial, Angel, la jeune et jolie muette à laquelle Madeline Smith prête son physique fragile, est, malgré sa pureté, le centre d'enjeux érotiques lugubres, révélés au fur et à mesure du métrage, le moindre n'étant pas que Frankenstein aimerait bien la faire s'accoupler avec son monstre, particulièrement hideux.
Ce dernier est sans doute une des versions les moins humaines, physiquement parlant, de la créature de Frankenstein. Construit à partir du corps d'un psychopathe ayant l'allure d'un homme des cavernes, ce monstre bossu, à la carrure terrifiante et à la peau verdâtre, est presque entièrement couvert d'un répugnant pelage noir. Mais c'est aussi une créature pathétique. Frankenstein ayant réussi à greffer dans ce corps bestial le cerveau d'un génie (tout en l'affublant des mains d'un brillant artisan), il a sans doute cru réussir à assembler l'être humain parfait, à la fois habile, fort et intelligent. Il n'a en fait fabriqué qu'un patchwork grotesque, dont les éléments, incompatibles, se rejettent les uns les autres.
A tout cela s'ajoute l'ambiance tout à fait malsaine qui règne dans l'asile où travaille le baron. Le directeur est un pervers, un obsédé qui abuse de ses patientes tandis que, dans son établissement, prospèrent la corruption et les mauvais traitements. Parmi le personnel cruel, Frankenstein passerait presque pour un doux humaniste ! Le baron, habile maître chanteur comme il l'a déjà prouvé dans LE RETOUR DE FRANKENSTEIN, tient tous les employés de l'institution en son pouvoir, et peut donc exercer dans ces murs ses travaux illégaux et sanglants. L'asile est pratiquement le seul décor du film, lequel se retrouve cantonné dans ce site claustrophobe, dont les murs gris et sinistres sont à peine égayés par une ornementation se réduisant au strict minimum.
Tourné avec un budget des plus modestes, FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER est affligé de décors peu variés. Pourtant, Terence Fisher, réalisateur expérimenté, fait contre mauvaise fortune bon cœur en s'appuyant sur cette particularité pour donner à son film une unité de lieu et une homogénéité visuelle fortes. Dans le même sens, il concentre sa mise en scène essentiellement sur l'action et les comédiens, parvenant à nous faire totalement oublier la pauvreté de leur environnement. La rigueur et la précision de la réalisation et du montage n'en ressortent alors que plus nettement.
De tout cela résulte une froideur, une distance encore soulignée par le jeu d'un Peter Cushing absolument sec et glacial. Le même regard insensible est porté sur les expériences et les opérations menées par la savant. Celles-ci donnent, ici, franchement dans le gore, et la caméra reste implacablement braquée sur les détails les plus sanglants : alors que, au cours de l'extraction du cerveau du RETOUR DE FRANKENSTEIN, la caméra se détournait au cours des plans les plus visuels, une opération identique est, cette fois, décrite longuement, avec un luxe de détails à s'en retourner l'estomac.
Impeccablement mis en scène, s'appuyant sur un scénario efficace, bien qu'un peu trop classique tout de même, FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER est une très bonne synthèse de la série des Frankenstein de la Hammer. Il parvient à extraire, sans laisser passer de scories, les meilleurs éléments du mythe. Quand bien même il s'achève sur une fin tout à fait ouverte, nous montrant le professeur se remettre, tout guilleret, au travail, il s'agit pourtant du dernier Frankenstein de la firme, dont l'activité cinématographique est appelée à s'interrompre dès 1974 (à l'exception de UNE FILLE POUR LE DIABLE en 1976 et de UNE FEMME DISPARAIT 1985, titre vidéo, qui date de 1979 comme son titre ne l'indique pas). FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER est aussi le dernier film dirigé par Terence Fisher, quand bien même la Hammer annonce, par la suite, quelques projets auxquels elle aurait aimé l'associer, comme d'éventuels KALI : DEVIL BRIDE OF DRACULA ou RETURN OF THE WEREWOLF.
FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER sort en 1974 en Grande-Bretagne et aux USA, mais il récolte des recettes décevantes. En France, il est montré en avant-première mondiale au cours de la seconde Convention Française du Cinéma Fantastique, en 1973, en présence de Terence Fisher et de Peter Cushing, lequel y présente pas moins de cinq films différents. Pourtant, ce titre ne sera distribué dans les salles françaises que tardivement, au cours de l'année 1976, alors que le sort de la Hammer est déjà scellé. Jamais plus, jusqu'à aujourd'hui, une nouvelle série d'aventures du comte Frankenstein n'a pu prendre le relais de celles créées, pour le compte de cette firme, par Fisher et Cushing, ce dernier restant, aujourd'hui encore, l'interprète de référence du sinistre Baron.
FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER est sorti en DVD américain chez Paramount (zone 1, NTSC), mais ce titre est aussi disponible dans divers pays européens, comme l'Espagne ou l'Angleterre. Hélas, ce nouveau pressage américain a l'inconvénient de proposer la version "R-rated" distribuée aux USA, qui avait subi quelque coupes (par exemple, Frankenstein tenant, entre ses dents, une des veine lors de la greffe d'une main). Pour les éditions européennes, cela se complique encore, car les informations sur le disque espagnol sont difficiles à trouver, tandis que la version anglaise a donné lieu à une certaine confusion : le disque est d'abord sorti dans son montage américain censuré, puis un autre pressage serait sorti ensuite, chez le même éditeur, réintégrant certains passages censurés, mais pas tous ! Tandis que l'édition allemande propose une version quasiment complète à l'exception de deux petites secondes. Quoi qu'il en soit, actuellement, seul un laserdisc japonais, aujourd'hui épuisé, est considéré comme contenant la version intégrale du film.
FRANKENSTEIN ET LE MONSTRE DE L'ENFER est ici proposé dans une copie superbe, souffrant, certes, de quelques petites saletés, mais dont la gestion de la lumière, la définition affûtée et la beauté des couleurs font vraiment plaisir à voir. Le format proposé est 1.78, soit presque le "1.85" utilisé lors de sa présentation en salles. L'option 16/9 est bien entendu disponible.
La bande-son codée sur deux canaux, seulement en anglais, respecte le mono d'origine et le restitue même de façon très agréable et très propre. Un sous-titrage anglais peut aider les moins anglophones d'entre nous, mais il a hélas le défaut d'être coloré dans un jaune peu gracieux.
Le seul supplément disponible est un nouveau commentaire audio enregistré pour l'occasion, dans lequel s'expriment Dave Prowse et Madeline Smith, accompagnés par un modérateur. Les souvenirs fusent dans la bonne humeur, et ce commentaire, animé et informatif, mérite tout à fait d'être écouté en entier.
Cette édition aurait sans doute tout pour plaire si elle ne présentait pas, hélas, une copie censurée du film, ce qui, de nos jours, est tout de même absurde. Sauf preuve du contraire, il semble que le disque le plus intéressant soit l'édition allemande, même si il ne s'agirait toujours pas de la version complète du film.