M. Phelps doit s'acheter une tête afin de plaire à la jeune femme qu'il a invitée au bal. Il parcourt donc les rues de la ville en quête d'une boutique de têtes, et doit alors se décider pour un modèle.
Le film de Juan Solanas a reçu depuis son prix au festival de Cannes 2003 un accueil critique très chaleureux (dont le prix national de la meilleure création sonore au festival de Clermont-Ferrand 2004) et a bénéficié d'honneurs auxquels aucun court-métrage n'avait pu prétendre jusque-là. Il faut donc d'abord se féliciter qu'enfin un film court (18 minutes) puisse jouer dans la cour des longs et ne serve pas seulement de bouche-trou.
Après sa récompense cannoise, L'HOMME SANS TÊTE a été programmé au cinéma MK2 Bibliothèque durant le mois de décembre 2003 en programme isolé, ce qui était déjà une prise de risque et une preuve de confiance en la forme courte. Mais c'est encore plus courageusement qu'ensuite MK2 édite ce film en DVD et non pas en tant que tête de proue d'une compilation de courts métrages mais bien en tant que seul programme du disque. Une édition soignée, pour un court-métrage, avec ses propres bonus, c'est à notre connaissance une première. Seuls LA JETÉE (et encore en duo avec un autre film du même réalisateur) et NUIT ET BROUILLARD avaient leur propre édition DVD (chez Arte video).
Le film, qui a nécessité quatre ans de travail, souffre à son commencement du point commun avec SLEEPY HOLLOW, ce qui ne lui permet pas d'obtenir les subventions du CNC (voir l'article dans Bref n°59) : ce contre-temps, dont il n'est pas fait écho dans le documentaire consacré au film (on comprend pourquoi), n'entrave pas vraiment la (lente) progression de la production, et le film réussit à aboutir : sa carrière commence alors par une moisson de prix en tous genres (du prix du jury à Cannes, à Imagina, grands prix à Rome, Taiwan…), carrière qui trouve un aboutissement impensable avec ce DVD. La jaquette du disque joue d'ailleurs sur le côté premier de la classe en ornant l'illustration de deux palmes gigantesques (reprises sur la tranche, tant qu'à faire…).
Variation autour du thème de l'homme invisible, le film est en fait une comédie légère, teintée de nostalgie et de mélancolie, très proche d'Amélie Poulain et du monde en teintes ocre-jaune de Jean-Pierre Jeunet (LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS).
Mais de cette fable sur le mal-être dans une société du paraître (un argument très primaire en somme) on retiendra surtout les magnifiques décors, naturels si l'on peut dire, puisque les extérieurs, filmés sur les docks de Marseille, ont tous subi, comme tous les plans du film, un traitement par effets spéciaux très lourd. Les images s'en ressentent presque jusqu'à la nausée ; reste une vision futuriste de la ville, monde du faux semblant, dans laquelle errent les personnages soit sans tête, soit possédant une identité fabriquée, pas si éloignés de quelques rôles secondaires de l'univers de Lynch (les deux jumelles sortant du magasin, par exemple).
Les intérieurs tournés en studio, dans une vieille usine de Montreuil aménagée pour l'occasion, ont eux aussi connu un traitement imposant en infographie et effets visuels, pour arriver à ce monde ancré dans un quotidien familier nostalgique : le téléphone à cadran, les photos jaunies telles des miroirs de ce que voudrait être le film, et le personnage principal, décalé, qui tend vers le personnage de comédie hollywoodienne ou vers un Charlot coloré sans jamais parvenir à avaler l'écart infranchissable qui le sépare de ces modèles. La scène de danse de la séquence d'ouverture, véritable morceau de bravoure du film de plus de deux minutes tourne d'ailleurs à l'étalage indigeste d'images merveilleusement peaufinées, sans réussir toutefois à obtenir l'adhésion du spectateur. Certes, c'est beau, mais il ne faut pas trop insister… Ces longueurs ne cachent d'ailleurs pas la platitude du scénario, qui aurait bien gagné à un peu plus de concision, et d'efficacité.
A ce propos, il est encore regrettable que ce court métrage, qui a été tant remarqué ne fonde son scénario que sur le principe de la chute finale, qui fait passer les films courts pour des bons mots ou des blagues Carambar.
Le film reçoit avec ce DVD un véritable écrin quant à la qualité technique. L'image est dans un format 2.35:1 respectant le format cinéma initial. Les couleurs sont resplendissantes et les images d'une netteté impressionnante dans le détail. Le son, en Dolby Digital 5.1, est aussi extrêmement net. Le film n'est bien sûr proposé qu'en version française (originale) mais, raffinement suprême, il est sous-titré en anglais et en espagnol ! En revanche, l'éditeur s'est contenté d'un transfert en 4/3, au grand dam des possesseurs d'écrans 16/9ème. Les menus sont dans l'ambiance du film, depuis les écrans des sponsors en teintes ocre-jaune jusqu'aux menus animés.
Même en ce qui concerne les suppléments, l'édition est quasi-irréprochable : le documentaire (Making Of) est pour une fois assez intéressant puisqu'il reprend étape par étape la création du film. C'est donc tout le processus de création, puis l'économie du court métrage qui est présentée durant une heure et quart, avec quelques passages passionnants concernant le travail numérique en infographie.
C'est malheureusement le seul bonus, mais il est de taille. L'éditeur a cru bon de le compléter par un bonus caché n'apportant rien du tout, sinon quelques images de la remise des Césars 2004 et les remerciements de Juan Solanas et de son producteur.
L'initiative prise par MK2 d'éditer un DVD pour un court-métrage, ait-il rencontré le succès, est à encourager, surtout que le disque est vendu à un prix très attractif. L'édition est de plus très soignée, avec un supplément conséquent et une définition de l'image et du son impeccable.
Expérience à renouveler le plus rapidement possible.