Header Critique : DR. JEKYLL AND MR. HYDE (1931)

Critique du film et du DVD Zone 1
DR. JEKYLL AND MR. HYDE 1931

1931 

L'éminent Dr Jekyll agace avec ses théories révolutionnaires : il pense que l'homme peut être divisible en deux parts, l'une philanthrope et sociable, l'autre attirée par les plaisirs faciles et peu encline à la bienséance sociale. Il méprise ses collègues et la bonne société londonienne pour s'occuper des malheureux, ce qui plait tant à sa fiancée Muriel Carrew ; mais une fois seul, il mène des expériences tendant à prouver ses dires. Ayant réussi à trouver la formule qui libère son mauvais côté, il devient Hyde, qui traîne les troquets et terrorise Ivy Pearson, une jeune prostituée protégée de Jekyll. Prisonnier du poison, il délaisse Muriel, ne voit plus ses collègues et s'enferme dans le rôle criminel de Hyde.

Le début des années 30 est une période riche en films d'horreur : le DRACULA de Tod Browning, FRANKENSTEIN de Whale (chez Universal)… les studios hollywoodiens ont bien compris les bénéfices que le genre engendrait. C'est donc dans cette dynamique que se place la Paramount, qui demande à Rouben Mamoulian de réaliser une nouvelle adaptation de l'œuvre de Robert Louis Stevenson. D'origine russe, Mamoulian a connu le succès à Broadway, ce qui lui ouvre les portes d'Hollywood. Il devient réalisateur pour la Paramount en 1929. Dr JEKYLL ET Mr HYDE est son troisième film. Sa carrière connaîtra d'autres succès, QUEEN CHRISTINA (1933), THE MARK OF ZORRO (1940) mais elle s'achève par deux essais infructueux (PORGY AND BESS, 1959 et CLEOPATRE, 1963), pour lesquels il doit laisser la place à Preminger et Mankiewicz.

Pour cette réalisation, Mamoulian bénéficie d'un casting d'une très bonne tenue : Fredric March réussit pour le double rôle de Jekyll / Hyde une interprétation qui lui vaut un Academy Award, récompense rare pour un film d'horreur. Il est accompagné par Miriam Hopkins qui donne au rôle d'Ivy Pearson une épaisseur dont saura se souvenir Victor Fleming dans son remake de 1941. Lanyon est interprété par Holmes Herbert qui, la même année tenait le rôle d'un autre second, Petrie, dans l'adaptation des aventures de Fu Manchu, DAUGHTER OF THE DRAGON.

Mais si March a obtenu un oscar pour son double rôle, la production n'avait pas vraiment compris le potentiel de cet acteur : elle lui préférait Irving Pichel, qui venait de tourner dans MURDER BY THE CLOCK, et qui aurait fait un Hyde très efficace ; il ne collait pas du tout au rôle de Jekyll, selon le goût de Mamoulian.

L'histoire de Stevenson a été maintes fois reprise quand Mamoulian et son scénariste Samuel Hoffenstein se penchent sur cette adaptation, et c'est tout naturellement qu'ils reprennent les ajouts successifs, la trame sentimentale, le personnage sulfureux de la prostituée, déjà présents dans la version de 1920 mettant en scène John Barrymore. Mais l'originalité de la nouvelle version réside plutôt par son intégration d'éléments expressionnistes, par ses partis pris esthétiques judicieux à la limite de l'expérimentation mais parfois un peu trop insistants.

Bien sûr, l'histoire écrite par Stevenson était promise à être élevée en mythe cinématographique, et ce dès les débuts du septième art. Mais les adaptations restent cependant ancrées dans leur époque : l'expressionnisme a en effet profondément marqué le "thriller", les films d'horreur… par son aspect suggestif et angoissant et l'on retrouve son esthétique dans le film de Mamoulian : les plans des quartiers mal famés, les ombres démesurées, les visages sculptés par l'éclairage, tous ces éléments sont présents.

Mamoulian prend également le parti de répéter tout au long du film, des plans (voire une séquence entière) en caméra subjective : lors de la première séquence, le spectateur est introduit par un fondu au noir dans le regard de Jekyll ; il suit le docteur pendant tout son trajet jusqu'à la faculté de médecine (une partie de cette séquence, qui dure …, avait d'ailleurs disparu des copies du film). Évidemment, le but recherché est de suggérer, d'imposer même, une identification au personnage, ce qui rend le propos très dérangeant : la caméra subjective suggère le regard de Jekyll, mais aussi celui de Hyde dans plusieurs séquences, notamment celle de la première transformation.

Mamoulian ponctue également son métrage de certains effets qui lui sont propres : il utilise le split screen en guise de transition entre deux séquences et met ainsi en regard deux éléments du récit. Dans le même registre, le fondu enchaîné s'éternise et permet une surimpression d'images signifiante.

Le langage utilisé par Mamoulian est donc très signifiant, directif, insistant, parfois même lourdement : la marmite qui déborde symbolisant les plusions de Jekyll… ! Avec le recul, le maquillage de Fredric March donne un aspect très simiesque au personnage de Hyde que les adaptations précédentes, et que la nouvelle elle-même ne semblent pas justifier. Le réalisateur s'en défend d'ailleurs : «Hyde est un relent de l'homme de Néanderthal, il est à ce titre notre ancêtre. Nous avons été comme cela. La lutte, le dilemme ne se situe pas entre le bien et le mal, mais entre la part sociable, spirituelle de l'homme et ses instincts primitifs».

Ayant bien compris les possibilités narratives que proposent non seulement la nouvelle de Stevenson, mais aussi ses prolongements déjà existants, Mamoulian et Hoffenstein en font une intrigue épurée plus que jamais, dans laquelle le personnage féminin d'Ivy prend un rôle central (tout en ajoutant une forte dose d'érotisme, assez osé pour l'époque) et dans laquelle le héros, campé par Fredric March, est tiraillé entre les deux femmes, entre ses deux identités, l'une représentant l'intérêt de la cité, le bon citoyen, l'autre représentant les pulsions intérieures, naturelles. On est alors très proche de l'épure dramatique des tragédies antiques, influence que semble revendiquer cette version à plusieurs reprises. Jekyll, trafiquant de la nature humaine, sous le coup de l'hybris, a tenté d'égaler Dieu et subit alors la loi souveraine.

Les droits du film de Rouben Mamoulian furent rachetés, une dizaine d'années plus tard, par la MGM qui copia honteusement le scénario de Samuel Hoffenstein, collaborateur du réalisateur, sans même le créditer. Il fut exhumé en 1967 lors d'une rétrospective consacrée au cinéaste. Les versions disponibles étaient amputées de près de dix-sept minutes, mais c'est une version restaurée, intégrale, qui est proposée sur ce DVD.

La copie du film est donc de qualité moyenne ; elle a subi bon nombre de griffures mais cela ne gène pas du tout la vision du film. Le film est présenté dans son format, 1.33 : 1. La piste son, en anglais, mono, est assez tâchée de parasites, ce qui est très régulier pour un film ayant plus de soixante-dix ans.

L'édition de ce film en double programme est une excellente occasion de redécouvrir ce film et la copie qu'en a faite la MGM. De plus, le disque propose en bonus, outre la bande annonce de la version de 1941, un commentaire audio (en anglais non sous-titré) de Greg Mank, historien du cinéma, qui s'attache principalement à dresser les portraits des membres de l'équipe du film. La cerise sur le gâteau reste la présence sur le disque du dessin animé de Friz Freleng dans lequel on assiste à la rencontre de Hyde et de Bugs Bunny.

C'est donc, pour un prix raisonnable, une édition très fournie de cette version novatrice du chef-d'œuvre de Stevenson, sous-titrée, de plus, en français. Son côté tragique en fait l'une des meilleures adaptations du roman, mais ce côté est malheureusement contrebalancé par l'attitude et le maquillage simiesque, à la limite du comique, du terrible Hyde.

Rédacteur : Jérôme Peyrel
2025 ans
32 critiques Film & Vidéo
On aime
L’aspect expérimental du film
Une édition soignée
On n'aime pas
Des effets de style un peu trop insistants
Une représentation de Hyde trop simiesque
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L'édition vidéo
DR. JEKYLL AND MR. HYDE DVD Zone 1 (USA)
Editeur
Support
Inconnu
Origine
USA (Zone 1)
Date de Sortie
Durée
1h38
Image
1.33 (4/3)
Audio
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Anglais
  • Français
  • Espagnol
  • Supplements
    • DR JEKYLL AND MR HYDE (1931)
    • DR JEKYLL AND MR HYDE (1941)
    • Commentaire de Greg Mank sur la version de 1931
    • Hyde and hare (Bugs Bunny)
    • Bande annonce de la version de 1941
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