LE MÉTRO DE LA MORT est le premier film de Gary Sherman, basé sur une histoire originale de son propre crû. Bien qu'il soit américain, tout comme son acteur David Ladd et son producteur Paul Maslansky (lequel réalise plus tard le film de zombies SUGAR HILL), Sherman tourne cette oeuvre en Grande-Bretagne, dans des décors naturels (notamment une section de voie de métro désaffectée) et avec le soutien de comédiens typiques de l'école horrifique britannique : Christopher Lee en personne vient faire une apparition, tandis que le rôle principal, celui de l'inspecteur Calhoun, est tenu par Donald Pleasence.
Alors qu'ils rentrent chez eux en métro, Patricia et Alex, deux étudiants, découvrent un homme inanimé, gisant dans un escalier de la station Russel Square. A peine ont-ils pris le temps d'aller chercher le secours d'un policeman que, à leur retour, le corps s'est volatilisé. L'inspecteur Calhoun est convaincu que la victime serait James Manfred, un haut-fonctionnaire porté disparu. Il ne sait pas encore que cet homme a été enlevé par un mystérieux dégénéré, se nourrissant de chair humaine et vivant dans des souterrains communiquant avec les réseaux du métro.
L'épouvante des années 1960 correspond à l'apogée commerciale du cinéma d'épouvante gothique britannique, dont le style influence les œuvres de réalisateurs du monde entier (Corman aux USA, Bava en Italie... entre autres). La fin des années 1960 annonce pourtant un revirement aux USA, avec deux œuvres exceptionnelles, renonçant aux décors de l'Europe du XIXème siècle pour se plonger dans notre monde contemporain : ROSEMARY'S BABY et LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, sortis tous deux en 1968 et consacrés par d'importants succès publics. Qu'importe pour le cinéma fantastique anglais, qui persévère majoritairement dans son style classique. C'est notamment le cas de la plus importante des compagnies spécialisées dans l'épouvante au Royaume-Uni : la Hammer (à partir de 1972, elle tente pourtant d'acclimater Dracula aux années 1970, sans grand succès, avec DRACULA 1973 et DRACULA VIT TOUJOURS A LONDRES).
LE MÉTRO DE LA MORT est nettement en rupture avec cette tendance classique. Tourné en décor naturel, et non pas en studio, il s'inscrit dans un contexte contemporain et réaliste jusqu'au sordide (l'atmosphère de Londres y est aussi poisseuse que dans un Film Noir). De plus, le thème horrifique abordé (des humains dégénèrent jusqu'à pratiquer le cannibalisme) paraît bien plus inspiré de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS que d'une quelconque mythologie gothique. Toujours dans le cadre d'une volonté réaliste, les renvois aux cloisonnements sociaux et à la dureté des rapports de classes sont nombreux. Le haut-fonctionnaire ne se rend dans les quartiers populaires que pour y assouvir ses vices, comme au temps de Dorian Gray ou de Jack l'éventreur. La police ne s'intéresse aux disparus du métro qu'à partir du moment où une "grosse légume " est concernée. Dans ce cadre, la notation la plus grinçante, mais aussi la plus drolatique, est la courte confrontation entre Pleasence (policier classique, chargé de résoudre les affaires du quartier) et Christopher Lee (en agent du MI5, aussi courtois en apparence que méprisant en réalité).
Le cannibale du métro, l'"homme" comme le désigne le générique du MÉTRO DE LA MORT, est aussi la victime et l'émanation d'une injustice. Au XIXème siècle, des ouvriers, hommes et femmes, qui creusaient les galeries du métro, ont été coincés dans un éboulement : suite à la faillite de l'entrepreneur des travaux en question, personne n'est jamais venu les chercher et les délivrer. Il ont pourtant survécu et constitué une communauté coupée du monde et pratiquant le cannibalisme. Ils ont même pu se reproduire. L'"homme" est le dernier survivant de cette espèce, qui assiste, au début du film, à la mort de sa compagne. Dangereux, mais aussi pathétique, il y a un peu de Fantôme de l'Opéra dans ce personnage monstrueux, vivant parmi les rats et la pourriture.
A travers la description réaliste et répugnante de ce personnage taré et de ses pratiques sanglantes, LE MÉTRO DE LA MORT annonce étonnamment MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE, sorti deux années plus tard. En effet, l'antre ignoble du cannibale, jonchée de morceaux de cadavres et d'ossements humains nous remet à l'esprit l'atelier de Leatherface, voire le garde-manger familial de MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE 2. Car c'est avant tout avec le cinéma des années 1980 que ce film a des liens : Londres, ville sordide générant des marginaux détraqués, évoque déjà le New York lugubre de MANIAC ou de FRÈRE DE SANG, tandis que le cannibale évoque les clochards de C.H.U.D. ou de STREET TRASH.
Au-delà de son approche contemporaine et réaliste de l'épouvante, LE MÉTRO DE LA MORT adopte la forme d'une enquête policière classique. Donald Pleasence s'y déchaîne en incarnant un inspecteur de police débordant de mauvais esprit et d'ironie sarcastique. Toutefois, cette enquête constitue sans doute le point le plus faible du film. Les évènements semblent s'y dérouler avec une lenteur assez rébarbative, et on ne comprend pas bien pourquoi les policiers ne cherchent pas plus tôt à explorer la station de métro. Pareillement, les évènements liés au cannibale avancent avec une rare lenteur, et il est permis de se lasser devant les errances de ce personnage maugréant. On se dit parfois que le format d'un moyen-métrage aurait peut-être mieux convenu à ce récit.
Même s'il est parfois un peu lassant, LE MÉTRO DE LA MORT reste intéressant par son ambiance désespérée et ses touches gore assez en avance sur son époque. En France, il est présenté à la seconde Convention Française du Cinéma Fantastique, en 1973. Il faudra pourtant attendre 1986 pour qu'il soit réellement distribué en salles à Paris. Gary Sherman, de son côté, fera carrière aux USA, en se spécialisant dans le thriller et le fantastique pour des films tels que REINCARNATIONS ou POLTERGEIST III.
Devenu un titre assez obscur, LE MÉTRO DE LA MORT a enfin eu droit à une réédition sur DVD en 2003, chez MGM (zone 1, NTSC), sous son titre américain RAW MEAT (le titre original anglais étant DEATH LINE). Il s'agit toutefois d'une édition assez spartiate.
LE MÉTRO DE LA MORT dispose d'un très beau télécinéma (format d'origine 1.85 avec option 16/9), qui gère de façon naturelle les couleurs et les lumières, sans pour autant aseptiser la photographie initialement lugubre du métrage. La copie est d'une propreté irréprochable. Toutefois, les scènes très sombres (et elles sont assez nombreuses) trahissent tout de même une compression assez visible, ce qui s'explique peut-être par le choix de stocker le film sur un disque simple-couche. Le résultat reste tout à fait convenable la plupart du temps.
La bande-son originale (en anglais) est propre, mais elle a aussi tendance à sonner parfois un peu bouchée ou confuse, ce qui n'est pas anormal pour un film à petit budget réalisé en décors naturels. Heureusement, on peut s'aider de sous-titrages anglais, espagnols ou français pour suivre les dialogues. Enfin, en bonus, il faut se contenter d'une simple bande-annonce américaine d'époque.
Si cette édition est minimaliste, et souffre de petits soucis techniques (vraisemblablement d'origine pour ce qui concerne la bande-son), elle n'en reste pas moins une solution tout à fait acceptable pour découvrir ce film, jusqu'ici inédit dans le format DVD.