Lors d'une soirée parisienne, Frédéric reconnaît le paysage et le château sur une affiche. Commence alors la quête qui le mène à retrouver l'étrange femme vampire, qui hante ses souvenirs d'enfance, volontairement cachée par sa mère. Qui est-elle ? Pourquoi l'empêche-t-on de la rejoindre ?
LÈVRES DE SANG est le cinquième film dans le genre horreur de Jean Rollin : il le réalise en 1975, après avoir posé les fondements de son cinéma dans le diptyque des vampires (REQUIEM POUR UN VAMPIRE et LE FRISSON DES VAMPIRES). C'est l'un de ses meilleurs films puisqu'il réalise la synthèse de ses fantasmes sans l'outrance des deux films précédents : moins psychédélique, moins naïf, plus introverti, c'est avec cette tonalité que Rollin réussit à séduire. Ce film met de nouveau en scène toute une équipe très proche du réalisateur, mais cette fois, l'un des acteurs fétiches de Jean Rollin, Jean-Loup Philippe (qui avait fait une apparition dans LE VIOL DU VAMPIRE) participe plus profondément à l'élaboration du film : il co-écrit le scénario et tient le rôle principal (Frédéric). On retrouve encore les deux sœurs jumelles Cathy et Marie-Pierre Castel, qui ont participé à de nombreux films de Rollin, dans un rôle très proche de celui qui leur était donné dans LA VAMPIRE NUE. Ce n'est d'ailleurs pas le seul point commun entre les deux longs-métrages ; très souvent, sont répétés dans les films de Rollin, des motifs, des lieux, en écho à ses réalisations précédentes. Le réalisateur s'amuse même de ses propres manies : le cinéma, dans LÈVRES DE SANG, diffuse LA VAMPIRE NUE !
Les rapports entre ces deux longs métrages sont en tout cas extrêmement forts. L'intrigue est la même : c'est la quête d'un jeune homme pour retrouver une femme vampire ; la famille du héros joue un rôle castrateur ; au final, le héros est accepté dans une nouvelle dimension, il gagne sa place aux côtés de la femme vampire. Mais cette fois-ci, le drame mis en scène est profondément personnel : la clef est dans les souvenirs du héros, dans sa propre capacité à se connaître et à affronter ses démons. Encore une fois, le rôle de la famille est prépondérant ; c'est la mère du héros qui fomente le complot visant à faire disparaître la femme vampire. Les expériences que menait le père dans LA VAMPIRE NUE sont remplacées par le non-dit, le secret profond de la famille dont cette mère est le gardien, par le parricide…
Des thèmes traités de façon plus tragique donc, mais aussi une véritable réflexion sur son cinéma, c'est ce que Rollin offre avec ce métrage : en effet il met en scène son propos, explicite son cinéma à travers le film même. Pour cela, il mène toute une réflexion sur la mémoire des lieux, un topos primordial de son cinéma, mais aussi sur l'image elle-même : c'est dans une image que le protagoniste doit chercher la clef de ses souvenirs. Creuser l'image, en tirer tout le sens qu'elle nous propose, c'est bien sûr le projet que Rollin essaie, film après film de mettre en place : des images, ou un plan prennent une place centrale, comme sommet du film et le scénario sert de tissu, de trame entre ces instants culminants. Cela passe bien sûr par l'institution d'un sentiment de déjà-vu, que ressent le spectateur (et qui est le thème même de LÈVRES DE SANG), ou par le retour sur des lieux déjà fréquentés (encore la plage de Pourville lès Dieppe, encore un château en ruines, encore des souterrains…) ; par ces redites, ces citations intrinsèques à son œuvre, Rollin adresse des clins d'œil entendus à son spectateur : elles fonctionnent presque comme un dialogue entre le cinéaste et nous.
La patte de l'auteur se retrouve d'ailleurs dans un plan très poétique où Frédéric retrouve enfin la femme dont il rêve depuis son enfance ; alors qu'il la suit, avec le jeu des lumières qui éclairent soit Frédéric soit la femme vampire, Rollin siginifie au spectateur que bien que très proches, ils n'arrivent pas à se retrouver.
Bien sûr, malgré ces nombreuses qualités qui font de ce métrage l'un des tout meilleurs de Rollin, LÈVRES DE SANG n'est pas exempt des défauts intrinsèques à l'œuvre du cinéaste : c'est cependant la fin qui a sans doute le plus mal vieilli. La naïveté qui marquait LA VAMPIRE NUE ne fonctionne plus six ans après ; la tonalité épique (les deux héros partent fonder un nouvel ordre vampirique à bord de leur cercueil emporté par les flots), sans doute voulue par Rollin, s'intègre assez mal au reste du film et rompt l'aspect flottant, éthéré du métrage. Mais cette fin a tout de même l'immense intérêt de répondre en écho aux autres œuvres du réalisateur par sa thématique et par son lieu emblématique (la plage sus-citée).
Ce disque fait partie de la collection Jean Rollin qui compte une dizaine de titres édités par L.C.J. et distribués depuis quelques temps par un magasin de VPC ou directement auprès de l'éditeur (Tél : 01.45.79.05.55). Les DVD de cette collection sont projetés pour la vente au public via un système de distribution plus large dans le courant de la rentrée 2003.
Ce film a bénéficié, de la part de L.C.J., d'un traitement de faveur eu égard à la qualité de l'image et la présentation du film : la copie est d'une grande beauté, les images profitent d'un très bon transfert en 16/9ème (ratio 1.77:1), alors que l'édition précédente, proposée par Redemption aux États Unis montrait le film en 4/3 (ratio 1.66:1).
|
|
En revanche, l'image de l'édition française perd quelques données en haut et en bas. C'est le son qui reste le parent pauvre de ce disque : en mono, il conserve de nombreux craquements d'origine.
Les disques de la collection offrent tous les mêmes bonus et utilisent la même présentation. Les bandes-annonces font un rapide tour du meilleur de Jean Rollin (ou du moins du plus marquant) mais on peut regretter qu'elles soient presque identiques sur tous les disques (elles sont enchaînées en un seul programme heureusement chapitré, ce qui permet l'accès direct à une bande annonce). Même remarque pour l'interview, proposée en ratio 1.77:1 ; elle apporte néanmoins quelques précisions intéressantes sur le travail de Rollin, et sur sa propre perception de son travail.
C'est sans doute pour qui veut découvrir Rollin le meilleur disque de la collection éditée par L.C.J. ; le film reste l'un des plus aboutis de l'auteur et l'édition en 16/9ème lui rend véritablement hommage.