Un groupe de cinq jeunes gens s'installe dans un vieux chalet isolé en pleine campagne pour le week-end. En visitant la cave, ces derniers découvrent un livre ancien à la texture étrange, ainsi qu'un magnétophone. Poussés par leur curiosité, ils décident d'écouter les bandes sonores qui contiennent des traductions du livre récitées à voix hautes. Ces véritables incantations ont pour effet de libérer une force maléfique qui prendra possession tour à tour de chacun d'entre eux.
EVIL DEAD est un film vraiment à part. Plus qu'un film d'horreur, EVIL DEAD fait figure malgré lui de véritable manifeste de cinéma déglingué. Métrage semi-amateur bricolé par une bande d'adolescents, EVIL DEAD a pour qualité première de ramener le cinéma à une histoire de passionnés. Deuxième point, et non des moindres, le jeune réalisateur aux commandes ici est un petit génie doté d'une inspiration hors norme ainsi que d'un talent sans égal bien qu'à ce stade encore brouillon. Le film fini, que beaucoup d'entre vous connaissent déjà par cœur, est peut-être l'un des métrages les plus marquants du cinéma pour la génération qui a grandi dans le battage horrifique des années 80.
A l'origine d'EVIL DEAD, il y a toute une bande de copains d'enfance ne vivant que pour confectionner avec les moyens du bord des films en super 8 tournés dans la banlieue de Détroit. Toutes ces superproductions maison sont néanmoins promises à un destin commercial puisque diffusées en indépendant dans de petites salles, les profits engrangés influant directement sur le budget du prochain projet. Au fil des projections, l'équipe s'étoffe jusqu'à la rencontre décisive entre Robert Tapert (jeune étudiant s'imaginant producteur), Sam Raimi (le réalisateur) et Bruce Campbell (l'acteur récurrent et complice de production). Le trio fonde ainsi sa propre boîte de production, Renaissance Pictures, et se met dans l'idée de réaliser un long-métrage.
La fin des années 70 voyant émerger une vague inédite de films d'horreurs, le trio décide de s'attaquer au genre uniquement pour des soucis de rentabilité. Sam Raimi ayant jusqu'ici surtout œuvré dans la comédie, ce dernier se goinfre classiques sur classiques pour se faire une idée. Afin de constituer une "bande démo" de leur savoir faire, les compères dirigent un court essai de leur projet de long. Tourné en Super 8, WITHIN THE WOODS voit un Bruce Campbell maquillé en mort vivant attaquer la jeune Ellen Sandweiss (futur Cheryl de EVIL DEAD) autour de la ferme familiale des Tapert. Bien que très approximatif, le film sert d'amorce auprès de la bourgeoisie locale afin de rassembler les dollars nécessaires au tournage de BOOK OF THE DEAD, pré-titre d'EVIL DEAD.
Le tournage d'EVIL DEAD va pourtant très vite se révéler un véritable cauchemar (non) organisé pour tous ses intervenants. Fort d'une déjà longue "filmographie", Sam Raimi est sur le plateau un réalisateur expérimenté en étant malgré tout extrêmement brouillon. En effet, ce dernier n'a jamais tourné en format 16mn et surtout, n'a jamais véritablement pris la peine de diriger ses comédiens. Il en résulte un travail sur les cadres poussé à l'extrême au détriment d'une véritable cohésion de mise en scène autour d'un axe narratif précis. Exaspérés de ne rien comprendre au contorsionnisme chronique de la caméra de Raimi, usés par la précarité des prises de vues (tournage en plein hiver sans chauffage, torture oculaire occasionnée par les lentilles des possédés), las de voir le tournage s'étirer en longueur malgré l'absence de script définitif, la plupart des comédiens quittent le navire en cours de route.
Malgré la fatigue et le découragement (aussi dû à un arrêt de production de plusieurs mois suite au manque d'argent), le tournage continue coûte que coûte. Le script se recentre sur le personnage de Bruce Campbell, prêt à tout endurer pour l'amour du cinéma. Libéré de la pression de groupe, Raimi se montre de plus en plus créatif quant à sa mise en scène. Lorsque l'équipe boucle enfin les derniers plans dans le chalet, c'est littéralement la fin d'un véritable marathon physique et psychologique. Après s'être défoulé un grand coup en criblant de balles de fusil la cabane du titre, les compères enterrent au pied de celle-ci une "capsule temps" (contenant des notes, une cartouche de fusil et du faux sang) afin de marquer symboliquement la fin de cette expérience initiatique.
Le résultat de cette aventure est donc un véritable film monstre, qui aura littéralement changé la manière de faire du cinéma. Car en plus de mélanger horreur flippante, grand guignol outrancier, comique de tarte à la crème et cadrage de bande dessinée, Sam Raimi et ses acolytes ont ni plus ni moins chamboulé le paysage de représentation filmique en pliant les genres à un regard de metteur en scène mis outrancièrement en avant. Car la star d'EVIL DEAD, c'est bel et bien la caméra ultra énergique de Raimi, prête à toutes les acrobaties pour mener à bien le "ride" viscéral qu'est la vision du film. Inutile de préciser qu'EVIL DEAD fit l'effet d'une quadruple bombe atomique en pleine tronche chez tous les téméraires ayant décidé de succomber aux charmes de cette petite pelloche pétrie d'un talent démentiel. Ce n'est donc pas une surprise si vingt ans plus tard et autant de révolutions cinématographiques plus tard, le film de Raimi fait toujours autant l'événement.
L'édition d'Elite est souvent notée comme l'édition de référence pour les fans purs et durs du film. La raison en est simple, c'est le disque qui propose les meilleures qualités techniques tout en conservant les caractéristiques initiales de l'œuvre. Si le nouveau transfert image est de très bonne tenue, si l'on excepte de régulières petites taches et poussières de pellicule, il faut insister sur le fait que la copie est présentée ici dans son format original en 1.33:1. Que les puristes ne se réjouissent pas trop vite, une petite coquetterie a été ajoutée au film par Sam Raimi lui-même (à [0'35'53]), lorsque Cheryl possédée se retourne violemment pour nous faire profiter de son faciès révulsé, un zoom artificiel s'invite dans le plan pour renforcer l'effet choc. On reconnaît ici la même démarche de William Friedkin qui avait retouché un raccord de l'EXORCISTE (version 73) pour le DVD, troquant le cut sur le visage possédé du père Karras contre un rapide fondu dans le traumatisant final. A noter que si la réédition d'EVIL DEAD par Anchor Bay (le fameux "Book of the Dead") rogne le cadrage original pour le transformer en 1.85:1, cette dernière supprime ce zoom de dernière minute sur Cheryl !
Toujours dans l'idée de ménager à la fois les fans du support et les fans du film, l'édition propose deux pistes sonores. L'une correspond à une remasterisation en stéréo de la piste originale, l'autre à un remixage en 5.1. S'il est toujours profitable de jouir des deux options, il y a fort à parier que la plupart iront se jeter corps et âme sur le remixage multicanaux. Bonne surprise, il est très efficace et risque même de refaire sursauter comme au premier jour ceux qui connaissent pourtant EVIL DEAD sur le bout des doigts.
Question bonus, si l'ensemble reste perfectible compte tenu de l'aspect culte du titre, il faut bien avouer que l'essentiel est là. Pas moins de deux commentaires audio vont nous faire partager l'envers du décor du film : l'un sous l'égide de Sam Raimi secondé par Robert Tapert, l'autre sous l'autorité de Bruce Campbell en solo. Si l'on se jette en priorité sur les propos de Sam Raimi, on ne manquera pas de sentir pointer une légère déception. Le cinéaste et le producteur reviennent finalement assez froidement sur leur travail, analysant poliment mais sans véritable passion ce qui se passe à l'écran. On imagine le duo un peu fatigué de revenir sans cesse à leur œuvre de gloire tandis qu'ils ont depuis tourné la page (surtout Raimi qui changea littéralement de style avec le non moins formidable UN PLAN SIMPLE).
Beaucoup plus débonnaire, Bruce Campbell propose une tout autre ambiance derrière son micro. Hyper à l'aise avec son sujet, acceptant royalement le poids culte du film sur sa propre carrière, Campbell se transforme le temps de son intervention en un véritable moulin à parole descendant le moindre fragment de film d'une foule d'anecdotes. Bien entendu, le comédien fait en permanence preuve d'un humour très convivial qui vous arrachera de francs éclats de rires (on vous conseille en priorité l'écoute de la scène du viol végétal). Si vous êtes client de la personnalité décomplexée du bonhomme, on vous recommande d'urgence la lecture de son autobiographie "If Chins Could Kill, Confessions of a B Movie Actor", bourrée jusqu'à la gueule d'autres anecdotes sur son rôle de gloire.
Pour pallier l'absence d'un documentaire de tournage, l'éditeur fournit tout le matériel disponible autour des coulisses d'EVIL DEAD. Nous pourrons ainsi visionner une vingtaine de minutes de "rushes", c'est-à-dire des images brutes non montées. La pellicule pesant très lourd dans le budget riquiqui du film, il ne faut pas s'attendre ici à des tonnes de plans alternatifs. Tout ce qui a été tourné (et développé) est dans le film, à l'exception de quelques amorces ou fins de plans révélant soit un maquillage inédit, soit un membre de l'équipe dans le champ. On remarque juste un plan ne figurant pas du tout dans le film : Ash reprenant ses esprits à l'extérieur de la cabane.
Mais le plus intéressant de cette section bonus reste l'impressionnante archive photographique mise à disposition ici. Plus de 150 photos de tournage, de coulisses, d'artwork ou encore de matériel publicitaire qui caleront même les plus exigeant. L'une des photos permet ainsi de profiter du génie bricoleur de Raimi en présentant la "Shaky Cam", le système de prise de vue conçu pour représenter la vision subjective de la force de la forêt. Il s'agit juste d'un bras métallique souple rattachant la caméra à la ceinture du cinéaste condamné à courir comme un dératé. La Steady Cam du pauvre en somme ! La bande-annonce d'époque est aussi de la partie, tout comme une petite note toujours sympa de Bruce Campbell sur le carton des chapitres à l'intérieur du boîtier.
Film initiatique et initiateur, EVIL DEAD est un film autre. C'est une véritable révolution conceptuelle noyée sous des tonnes de gore et un humour de dessin animé. Un film qui aura marqué à vie tout un pan culturel, et donc toute une génération qui ne s'en est toujours pas relevée depuis. Un authentique film culte à voir et revoir et re-revoir inlassablement. L'édition d'Elite reste pour les puristes la meilleure façon de profiter du film en DVD puisque le format est ici respecté, contrairement au fameux "Book of the Dead" d'Anchor Bay qui recadre l'image dans une édition malgré tout supérieur techniquement et éditorialement.