Header Critique : LA NEUVIÈME PORTE (THE NINTH GATE)

Critique du film
LA NEUVIÈME PORTE 1999

THE NINTH GATE 

Dean Corso, négociant en livres rares vivant à New York, est chargé par le richissime collectionneur Boris Balkan de réunir les trois seuls exemplaires existant du livre de sorcellerie «Les neuf portes de l'enfer». Il se rend en Europe pour faire ses recherches...

En 1999, les écrans voient fleurir une vague de films d'inspiration diabolique. Ils arrivent après le bon accueil reçu par le faustien L'ASSOCIÉ DU DIABLE de 1997. Les studios comptent aussi exploiter la "peur" du passage à l'an 2000, avec des titres comme STIGMATA ou LA FIN DES TEMPS.

Or, un des films d'horreur sataniste le plus fameux et le plus influent est ROSEMARY'S BABY de Roman Polanski, de 1968, dans lequel une jeune New Yorkaise porte malgré elle l'enfant du Diable. Cet énorme succès critique et populaire est resté dans les mémoires et à la fin des années quatre-vingt-dix, on fait confiance à Polanski pour réaliser à nouveau un tel film, en lui allouant un budget confortable (un peu moins de 40 millions de dollars). Il s'agit de l'adaptation du roman «Le club Dumas», un thriller d'Arturo Pérez-Reverte, gros succès de librairie.

Pour le porter à l'écran, le scénariste Enrique Urbizu simplifie l'intrigue en retirant ce qui concerne la recherche d'un chapitre perdu des «Trois mousquetaires» d'Alexandre Dumas. Roman Polanski et son collaborateur régulier John Brownjohn peaufine ensuite cette base. Le casting comprend des acteurs prestigieux, comme Johnny Depp (LES GRIFFES DE LA NUIT, SLEEPY HOLLOW), Frank Langella (DRACULA de John Badham, LOLITA d'Adrian Lyne dans lequel Roman Polanski le remarque particulièrement), Barbara Jefford (LUST FOR A VAMPIRE de la Hammer) ou Jack Taylor, figure du cinéma Bis espagnol et particulièrement du cinéma de Jesus Franco.

LA NEUVIÈME PORTE est le premier long métrage de Roman Polanski connecté au fantastique depuis le film d'horreur psychologique LE LOCATAIRE. Après ce titre de 1976, le metteur en scène est condamné pour viol sur une mineure aux USA. Il accomplit une première peine de prison, mais il est question que son cas soit rejugé ensuite et il fuit en France (pays dont il a la nationalité puisqu'il est né à Paris). Depuis, il n'a plus remis les pieds aux USA où il pourrait être arrêté.

Il tourne alors en Europe TESS de 1979 avec Nastassja Kinski, un beau drame romantique en costume d'après le roman préféré de Sharon Tate, son épouse décédée en 1969. Cette œuvre reçoit de nombreux Oscars et Césars. Le metteur en scène se détourne du cinéma pour se consacrer au théâtre (il monte une vie de Mozart), puis dirige PIRATES de 1986, grosse production dans le genre des films de flibustiers hollywoodiens. C'est un fiasco commercial mais il rebondit avec FRANTIC deux ans après, thriller réussi à la manière d'Alfred Hitchcock.

La critique lui reproche de s'éloigner de ses huis-clos angoissants comme REPULSION ou  CUL-DE-SAC. Il tourne alors l'inégal LUNES DE FIEL de 1992 qui explore les obsessions érotiques. Puis vient le bon LA JEUNE FILLE ET LA MORT avec Sigourney Weaver, dans lequel une femme croit retrouver l'homme qui l'a torturée des années auparavant. Roman Polanski monte ensuite en Autriche une adaptation en comédie musicale de son film LE BAL DES VAMPIRES. Enfin, il fait son grand retour au cinéma fantastique avec LA NEUVIÈME PORTE en 1999.

LA NEUVIÈME PORTE s'intéresse à la puissance maléfique des grimoires de sorcellerie rares et anciens. Il s'agit d'un thème exploité dans la littérature d'horreur, en particulier par H.P. Lovecraft, inventeur, entre autres, du malfaisant «Necronomicon». Au cinéma, ce sujet apparaît notamment dans INFERNO de Dario Argento, avec son « Livre des Trois Mères ». Dans FRAYEURS de Lucio Fulci, un ouvrage maléfique évoquant le «Necronomicon» annonce la fin du monde. Dans L'AU-DELÀ, toujours de Fulci, des mystères magiques se déploient autour du «Livre d'Eibon» (créé par Clarke Ashton Smith en référence au « Necronomicon », le «Livre d'Eibon» apparaît dans des nouvelles de Lovecraft). Le «Necronomicon» trouve aussi sa place central dans le cycle des films EVIL DEAD.

À travers ses histoires de sorcellerie, ses investigateurs du surnaturel et ses sectes satanistes, LA NEUVIÈME PORTE renvoie encore à des grands classiques du cinéma d'horreur "de secte", comme RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR de Jacques Tourneur ou LES VIERGES DE SATAN de Terence Fisher.

LA NEUVIÈME PORTE s'inscrit dans la tradition d'un fantastique exigeant et son originalité provient de l'implantation de son récit dans le milieu feutré et cosmopolite des collectionneurs de livres rares. Polanski travaille sur la perception du grain du papier, le son de celui-ci quand on le caresse, sur l'exploration des détails d'une gravure par un regard connaisseur ou sur la texture du cuir et des reliures des beaux livres.

Un sentiment d'étrangeté naît de l'accumulation ordonnée des ouvrages, lourds de secrets, rangés précautionneusement dans leurs rayonnages par des collectionneurs maniaques (ce qui évoque les extraordinaires bibliothèques d'INFERNO ou du NOM DE LA ROSE). LA NEUVIÈME PORTE s'appuie sur une atmosphère fantastique raffinée et sourde.

Pourtant, l'action et l'aventure ne sont pas absents. Les nombreux rebondissements de ce récit rappellent le Polanski de FRANTIC, capable de construire un récit habile, mouvementé et maîtrisé. Ce réalisateur est aussi un amateur de Bandes Dessinées. Nous nous souvenons qu'il a préfacé l'horrifique «Abominable» de Hermann, dont une des histoires s'inspire du meurtre de Sharon Tate et met en scène un personnage rappelant Roman Polanski lui-même !

Il parsème LA NEUVIÈME PORTE de références à Tintin. Les deux relieurs rappellent les Dupon(t et d), la secrétaire de la baronne évoque la Castafiore, les trois livres et les gravures rappellent «Le secret de la Licorne», Corso se déguisant en sectateur renvoie aux «Cigares du pharaon», l'architecture du château où se déroule la messe noire évoque Moulinsart...

Corso est donc un espèce de Tintin, mâtiné d'un peu de Tournesol, bondissant à travers l'Europe en train, en avion, en taxi, évitant les voitures mystérieuses qui tentent de l'écraser et les embuscades tendues par des hommes de main. Il vit des aventures captivantes, non dénuées d'humour.

Pourtant, le thème principal de LA NEUVIÈME PORTE est éloigné des préoccupations d'Hergé. Polanski se penche sur le mal et la fascination qu'il exerce. Il bâtit une intrigue lourde de complots. Ainsi Corso, cynique et sceptique, nous est d'abord présenté comme un malin, un escroc sans scrupule.

Mais les rôles vont se renverser et il faudra peu de temps au spectateur pour comprendre que le négociant est manipulé par son commanditaire, Balkan, qui en sait plus qu'il n'en a l'air. Pourtant, il y a encore double-jeu. Balkan croit mettre les forces du Mal à son service. Il sera cruellement détrompé.

De son côté, Corso glisse d'une attitude méprisante envers ce qu'il considère comme de pathétiques superstitions vers une croyance de plus en plus convaincue en les pouvoirs des ténèbres. Guidée par une jeune fille (sorcière, succube, ou incarnation du Diable ?), interprétée par Emmanuelle Seigner, il résout les secrets alchimiques du «Livre des neuf portes» et accomplit un parcours initiatique, reprenant neufs étapes d'énigmatiques gravures.

Il devient un élu traversant la dernière Porte de l'Enfer, accédant à des révélations ultimes et à des plaisirs inimaginables. L'enfer selon Polanski a un arrière-goût de Paradis.

Les acteurs sont excellents, notamment Frank Langella. Certes, le jeu d'Emmanuelle Seigner est en dessous du reste du casting, et on regrette que la première demi-heure du film manque de densité.

Il faut toutefois louer le travail superbe sur l'image et les éclairages effectué par le directeur de la photographie Darius Khondji (DELICATESSEN, SEVEN), ainsi que la magnifique musique de Wojciech Kilar (DRACULA, LA JEUNE FILLE ET LA MORT). Ils participent pour beaucoup à l'atmosphère fantastique et envoûtante qui font beaucoup dans la réussite que constitue LA NEUVIÈME PORTE.

LA NEUVIÈME PORTE rencontre cependant un échec au box-office américain, bien qu'il fonctionne correctement en France. La critique lui réserve un accueil tiède, voire indifférent, et depuis Roman Polanski n'a plus approché le surnaturel au cinéma.

Après LA NEUVIÈME PORTE, il tourne l'ambitieux et marquant LE PIANISTE, consacré aux Césars et aux Oscars. Par la suite, il poursuit sa carrière jusqu'à la sortie en 2019 de J'ACCUSE sur l'affaire Dreyfus, dont la sortie est accompagnée de nombreuses polémiques et de nouvelles accusations d'agressions sexuelles à son encontre, remontant aux années soixante-dix et quatre-vingts.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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