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Critique du film
FUNNY GAMES 1997

 

Anna, Georg et leur fils se rendent dans leur résidence secondaire en plein cœur des Alpes pour les vacances. Deux jeunes hommes leur rendent visite. Ce sont des sadiques qui vont leur faire vivre l'enfer.

FUNNY GAMES est réalisé par Michael Haneke. Né en Allemagne, diplômé de psychologie et de philosophie, il travaille longtemps pour les télévisions allemande et autrichienne. Avec LE SEPTIÈME CONTINENT de 1989, il tourne son premier long métrage. Dans ce portrait glacé de la société occidentale contemporaine, Haneke affirme déjà un style froid, hautain et moralisateur, empruntant beaucoup à Robert Bresson (PICKPOCKET).

Arrive ensuite BENNY'S VIDEO, où il introduit déjà son attraction/répulsion pour la violence, ainsi que son discours sur l'édulcoration de sa représentation dans les médias. La réflexion est primaire et réactionnaire (un enfant devient Serial Killer après avoir vu la comédie Gore Troma TOXIC de Michael Herz et Lloyd Kaufman !). Sa volonté de bousculer les habitudes des spectateurs s'affirme.

Vient ensuite le très mauvais 71 FRAGMENTS D'UNE CHRONOLOGIE DU HASARD de 1994, relatant froidement et sans empathie les événements qui conduisent un jeune homme à commettre un massacre sauvage et gratuit dans une banque. Encore une fois, la réflexion est courte et le style artificiel et glacé.

Dans FUNNY GAMES, les parents Anna et Georges sont interprétés par Susanne Lothar et Ulrich Mühe, deux acteurs de théâtre ayant déjà tourné dans des films du réalisateur. Un des deux bourreaux, Arno Frisch, apparaissait dans le rôle d'un jeune sadique dans BENNY'S VIDEO.

FUNNY GAMES cherche à montrer de la manière la plus crue et la plus dure possible la violence. A ce titre, Michael Haneke dit avoir été très impressionné par SALO OU LES 120 JOURNÉES DE SODOME de 1975. Ce film de Pier Paolo Pasolini transposait les écrits du Marquis de Sade dans la République Fasciste de Salo, pendant la seconde guerre mondiale. Des bourgeois et des notables s'enfermaient dans une demeure avec des jeunes gens pauvres qui leur servaient d'objets de plaisir dans des jeux cruels.

L'insoutenable film de Pasolini ne peut pas être réduit à un enchaînement gratuit de scènes brutales. Il s'agissait pour son réalisateur de dénoncer avec véhémence la violence d'extrême-droite à une époque où le terrorisme politique, Noir ou Rouge, faisait rage en Italie. De plus, Pasolini plaçait ce film au fond puritain en antithèse de sa libertine trilogie de la vie qu'il venait de terminer (trilogie composée des films LE DECAMERON, LES CONTES DE CANTERBURY et LES MILLE ET UNE NUITS).

Avec FUNNY GAMES, Haneke fait quant à lui du spectateur le témoin impuissant de tortures physiques et morales extrêmes, pratiquées par deux jeunes bourgeois sadiques et amoraux. Comme les notables de SALO OU LES 120 JOURNÉES DE SODOME, ils imposent, pour se divertir, les règles de jeux particulièrement cruels à leurs victimes impuissantes.

Par son cadre social et géographique banal, FUNNY GAMES s'oriente vers la représentation d'un fait divers insoutenable, gratuit et sordide. En cela, il évoque au connaisseur le cinéma horrifique extrême des années soixante-dix et quatre-vingts, c'est-à-dire des titres comme LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE et LA COLLINE A DES YEUX de Wes Craven (un autre diplômé en philosophie !), MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper ou HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER de John McNaughton. Par sa manière de pervertir avec un humour hyper-noir les codes du genre auquel il se rattache, FUNNY GAMES se rapproche même de C'EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS de Belvaux, Bonzel et Poelvoorde !

Non seulement Haneke fait du spectateur le témoin horrifié de tortures cruelles, mais en plus, il suggère que celui-ci en est le complice, à travers les apartés qu'adresse le sadique Paul. Celui-ci nous fait des clins d’œil, nous demande si nous voulons qu'il aille plus loin. Haneke, après avoir fait naître un sentiment d'empathie envers les victimes, veut nous faire admettre que nous sommes les complices des assassins.

Le procédé est ambiguë. Le film étant une fiction, insupportable certes, mais une fiction seulement, de quoi le spectateur est-il complice ? De rien ! On dégage donc une volonté de le choquer, voire une stratégie manipulatrice et répugnante de le culpabiliser. Haneke reproche au spectateur d'apprécier le spectacle de la violence. Ici, cette violence, comme dans les films cités plus haut, n'est pas "belle" ou désamorcée par de l'humour.  

Des films plus esthétisants ou divertissants, comme SUSPIRIA de Dario Argento ou PIÈGE DE CRISTAL de John McTiernan, sont, comme FUNNY GAMES, des fictions. Mais des fictions qui ne cherchent pas à donner une image réaliste de la violence, parce que, justement, elles ne cherchent pas à tricher avec leur statut de fiction. A ce titre, ils sont moins ambigus qu'un FUNNY GAMES.

De plus, faut-il reprocher au spectateur de rire à l'humour noir des Monty Python ou de la violence explosive d'un dessin animé de Tex Avery ou d'un film Gore de Peter Jackson (BAD TASTE) ? Ce sont pourtant des œuvres autrement plus subversives que les fadaises conformistes, garanties 100% non violentes, comme les comédies romantiques avec Julia Roberts, qui cartonnaient alors, ou des dessins animés Walt Disney. Voire qu'une grande part d'une cinéma indépendant américain ou des films d'Auteur européens...

La grosse faiblesse de FUNNY GAMES est de vouloir dénoncer la violence des spectacles de cinéma en jouant sur une surenchère. Parmi les réalisateurs reprochant au cinéma en général sa trop grande violence, laquelle serait "susceptible" d'influencer en mal les comportements, un réalisateur comme l'Allemand Wim Wenders a une attitude cohérente, en refusant de montrer toute espèce de brutalité physique dans ses œuvres, même quand elles traitent de ce sujet (SI LOIN, SI PROCHE ! ou THE END OF VIOLENCE datent de la même époque que FUNNY GAMES).

Mais Haneke dit refuser cette attitude car il la juge "inefficace", produisant des films sans impact, trop doux. Cet aveu éclaire FUNNY GAMES d'un jour antipathique. Haneke assomme le spectateur de violence, le met mal à l'aise, en fait l'objet d'un chantage émotionnel grossier (avec le personnage de l'enfant), pour lui imposer des idées, pour lui faire subir une "punition" mentale éprouvante, censée le dégoûter à jamais du spectacle de la violence. Cette démarche complaisante n'est pas sans rappeler la méthode Ludovico vue dans ORANGE MÉCANIQUE pour guérir le voyou Alex de ses pulsions violentes !

Éduqués, riches, les jeunes sadiques de FUNNY GAMES agissent gratuitement, sans véritable motif. Haneke les présente néanmoins comme les produits d'une certaine culture de la violence qui serait spécifique de notre époque (nous avons droit à un amalgame grossier, où se mêlent, dans le vague, dessin animé, MTV, musique Hardcore, science-fiction, cyberspace, course automobile (!)...).

C'est évidemment totalement discutable. Caligula, Gilles de Rais, Jack l'éventreur ou la comtesse de Bathory n'ont pas attendu l'invention de la télévision et du cinéma pour étriper, violer et torturer des innocents de manière gratuite !

Autre naïveté de Haneke : il affirme que ses sadiques ne savent pas faire la différence entre la réalité et la fiction (la discussion sur le bateau), reprenant ainsi les arguments les plus idiots alors déployés dans les journaux conservateurs. Les jeunes spectateurs seraient si bêtes qu'ils ne sont pas capables de distinguer les images de la réalité de celles de la fiction (voir à ce titre l'entretien de Haneke dans le magazine «Mad Movies» numéro 111). Ce qui aurait pour conséquence d'altérer leur perception de la réalité, de ce qui y est permis, et des conséquences des actes qu'ils commettent.

A travers cette idée fausse simpliste, Haneke exprime surtout son absence de confiance dans l'intelligence du spectateur. Il se situe donc à l'opposé d'un Kubrick qui dans ORANGE MÉCANIQUE, pose les éléments d'un débat sur la violence (entre respect du libre-arbitre et répression) sans trancher, en laissant au spectateur le soin de réfléchir par lui-même, en son âme et conscience. Nous ne nous étonnons pas alors que Haneke regarde de haut l'attitude raisonnable d'un Wenders (qui croit à une dénonciation de la violence par des arguments raisonnés). Pour convaincre un public qu'il méprise, Haneke croit à un cinéma imposant ses idées avec brutalité, de façon malsaine et manipulatrice.

Au-delà de sa réflexion courte sur la violence et de sa manière discutable d'imposer son point de vue, FUNNY GAMES se veut aussi un thriller traditionnel, mais aux règles perverties. C'est sans doute grâce à son style solidement implanté dans un genre populaire, et non dans une austérité héritée de Bresson, que FUNNY GAMES a atteint un assez large public, et a même récolté quelques prix dans des festivals de cinéma fantastique.

Pourtant, Haneke ne masque pas, dans les interviews d'alors, son mépris pour la littérature et le cinéma policiers. Il avoue s'être amusé à pervertir les règles du genre avec un humour noir et pince-sans-rire. Nous pensons ainsi à la surprenante scène de la télécommande avec laquelle Haneke se joue du spectateur et de l'aspect manipulateur inhérent à ce style de récit.

L'humour, à nouveau sombre, se trouve aussi dans les personnages des sadiques, notamment à travers Paul et ses bavardages cyniques commentant de manière détachée l'évolution du récit. Difficile alors de ne pas penser à SCREAM de Wes Craven (sorti quelques mois avant FUNNY GAMES), en plus extrémiste.

Haneke emploie des moyens cinématographiques variés pour mettre le spectateur mal à l'aise, allant de l'horreur hors-champ (le meurtre au couteau) comme dans MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE, à des longs plans fixes oppressants, évoquant Bergman (LA SOURCE). Ce dernier étant une influence flagrante du cinéma de Haneke.

Souvent, Haneke arrive très bien à ses fins ! A ce niveau-là, FUNNY GAMES supporte une comparaison avec LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE, par exemple, même s'il n'atteint pas l'intensité dans l'horreur de SALO OU LES 120 JOURNÉES DE SODOME ou de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE. L'ensemble peut être par moment inégal, Haneke ménageant de longues plages de calme, sans doute pour laisser le spectateur souffler un peu entre deux séances de torture.

Pourtant, FUNNY GAMES est un film dont la volonté démonstrative est si envahissante qu'il n'est pas possible de l'aborder comme un thriller, plus ou moins original, ou une représentation simple et honnête de la brutalité humaine. Ce film n'existe que pour être le véhicule d'un discours sur la violence. La réflexion est trop courte pour convaincre et la manière de l'imposer trop manipulatrice et malhonnête pour emporter l'adhésion.

Si les films précédents de Haneke lui ont valu un certain intérêt de la part de la critique traditionnelle, c'est FUNNY GAMES qui lui attire alors la plus grande renommée, atteignant aussi bien la critique "exigeante", à la recherche d'un cinéma correspondant à ses conceptions bourgeoises et moralistes du cinéma, qu'un public plus large et plus populaire, intéressé par les thrillers et le cinéma d'épouvante. C'est le paradoxe de FUNNY GAMES, film qui veut dénoncer la violence gratuite du cinéma commercial mais qui va rencontrer son succès surtout auprès d'un public amateur de sensations fortes et extrêmes – bref de cinéma de genre, que FUNNY GAMES est censé dégouter de son "mauvais" goût !

En 2007, après le succès de Remakes de classiques de l'ultra-violence, avec MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Marcus Nispel ou LA COLLINE A DES YEUX d'Alexandre Aja, Michael Haneke tournera lui-même un remake anglophone de FUNNY GAMES, très fidèle à l'original.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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