Header Critique : BLOODY BIRD (DELIRIA)

Critique du film
BLOODY BIRD 1987

DELIRIA 

BLOODY BIRD est le premier long-métrage de fiction réalisé par l'italien Michele Soavi. Il démarre sa carrière au début des années quatre-vingts à divers postes, en tant qu'acteur, assistant-décorateur, scénariste... Notamment sur des projets du réalisateur Joe D'Amato : CALIGULA, LA VÉRITABLE HISTOIRE (péplum érotique), HORRIBLE (horreur), ATOR LE CONQUÉRANT (Heroic Fantasy) ou LE GLADIATEUR DU FUTUR (post-apocalyptique).

Il fait aussi l'acteur chez divers réalisateurs, dans FRAYEURS de Lucio Fulci ou ATLANTIS INTERCEPTORS de Ruggero Deodato. Il devient ami avec le réalisateur Lamberto Bava (dont il est l'assistant sur LA MAISON DE LA TERREUR et DÉMONS) et surtout de Dario Argento.

Il assiste ce dernier sur le Giallo TÉNÈBRES et sur PHENOMENA, pour lequel il tourne certaines scènes. Il réalise la vidéo d'un morceau extrait de la Bande Originale du métrage («The Valley» de Bill Wyman et Terry Taylor) puis un documentaire dédié au cinéma de Dario Argento (sorti en France en vidéo sous le titre LE MONDE DE L'HORREUR).

Enfin, Joe D'Amato propose de produire son premier long-métrage. Luigi Montefiori (mieux connu sous le nom de George Eastman) en rédige le script. Ce scénariste-acteur, parfois réalisateur, a beaucoup travaillé pour le cinéma populaire italien et particulièrement pour Joe D'Amato (ANTHROPOPHAGOUS, LA NUIT FANTASTIQUE DES MORTS-VIVANTS, CALIGULA, LA VÉRITABLE HISTOIRE).

Il rédige ce scénario d'après une de ses idées originales que Soavi et D'Amato ont choisie. Il restreint délibérément l'action à pratiquement un seul lieu clos, afin de faciliter le travail de Michele Soavi et de rester sur un budget limité.

Les rôles principaux de BLOODY BIRD sont tenus par des acteurs assez peu connus du grand public tels David Brandon (CALIGULA, LA VÉRITABLE HISTOIRE), Barbara Cupisti (L'ÉVENTREUR DE NEW YORK, DELLAMORTE DELLAMORE) ou Piero Vida. Michele Soavi apparaît lui-même dans le rôle d'un policier convaincu qu'il ressemble à James Dean.

Dans un théâtre, une troupe répète une comédie musicale impliquant un tueur de prostituées. Peter, le metteur en scène, impose à sa troupe des méthodes dictatoriales. Alice, danseuse souffrant d'une cheville tordue, part se faire soigner à la clinique la plus proche - qui est en fait un asile psychiatrique.

Irving Wallace, ancien acteur devenu Serial Killer, s'échappe de l'institution et se rend au théâtre où il tue une couturière. Après que la police a emporté le cadavre, Peter axe le ballet sur les méfaits d'Irving Wallace afin d'attirer un public avide de sensationnalisme. Il reprend les répétitions la nuit même, mais la troupe se retrouve enfermée dans le théâtre avec le véritable Irving Wallace.

Par plusieurs aspects, BLOODY BIRD s'inscrit plus dans la tradition des Slasher américains des années quatre-vingts que dans celle du thriller horrifique italien. Son schéma rappelle LA NUIT DES MASQUES de John Carpenter. Un dément, enfermé dans un asile après avoir commis un massacre, s'évade et sème la terreur et la mort durant toute une nuit, dans un lieu précis et délimité.

Cette unité de temps et de lieu éloigne BLOODY BIRD du Giallo italien, généralement organisé autour d'enquêtes s'étalant sur plusieurs jours et de meurtres prenant place dans des endroits variés. Toujours dans la tradition de LA NUIT DES MASQUES, l'identité du tueur nous est révélée tôt et la recherche du coupable n'est pas la clé du récit. La question est plutôt de savoir qui va survivre et comment à la brutalité du tueur masqué.

Pourtant, par certains traits, BLOODY BIRD s'inscrit dans la prestigieuse lignée de Dario Argento et de Mario Bava. Son cadre permet à Soavi de restituer l'ambiance particulière de certains films de Bava dont les décors évoquent les coulisses d'un étrange théâtre, rempli d'accessoires et de tableaux étranges, formant un ensemble hétéroclite et multicolore (SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN, LISA ET LE DIABLE). Tout comme chez l'illustre maître, des masques et des mannequins créent des présences inertes et insolites au sein de la mise en scène.

Soavi a aussi avoué l'influence du cinéma d'Argento, que ce soit dans l'élaboration de cadrages complexes (les plans avec la clé sur la scène, la jeune fille brandissant une aiguille qui renvoie à la fin de SUSPIRIA) ou pour l'ambiance claustrophobe de BLOODY BIRD qu'il rapproche du meurtre dans la galerie d'art de L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL.

Pour le masque d'oiseau du tueur, il penche pour une influence des toiles du peintre surréaliste Max Ernst, qui peignait fréquemment des hommes à tête d'oiseau (notamment son personnage récurent Loplop). Mais ce costume de tueur fait aussi penser à la scène du bal masqué du JUDEX de Georges Franju.

En tout cas, la dernière demi-heure du film, par sa poésie et son onirisme, n'appartient qu'au cinéma italien et se place dans la lignée de LISA ET LE DIABLE, INFERNO d'Argento ou L'AU-DELÀ de Fulci.

Un autre trait rapproche BLOODY BIRD du cinéma d'Argento. Son récit s'inscrit au sein d'une troupe de théâtre, c'est à dire dans un milieu artistique en plein travail. Cela rappelle les musiciens des FRISSONS DE L'ANGOISSE, les danseuses de SUSPIRIA ou l'écrivain de TÉNÈBRES. Cette démarche culmine pour Argento avec TERREUR A L'OPÉRA qui a bien des points communs avec BLOODY BIRD.

Le metteur en scène Peter se comporte avec ses acteurs comme un tyran, et son attitude face à son œuvre oscille entre la prétention artistique et  l'opportunisme racoleur. Au milieu de tout cela traîne le financier du spectacle, libidineux et trimbalant une valise remplie de dollars.

La création artistique dans BLOODY BIRD n'est pas seulement prétexte à étaler un univers médiocre. Ainsi, le tueur, ancien acteur, est lui aussi artiste. Il se vêt du costume de l'assassin du ballet pour exécuter ses crimes (alors qu'il est inutile qu'il soit masqué puisque tout le monde connaît son identité). Il choisit la musique sur laquelle il commet ses meurtres, varie les plaisirs (perceuse, tronçonneuse, couteau). A la fin du métrage, il se livre à une étonnante mise en scène de son "œuvre", sans doute le moment le plus réussi de BLOODY BIRD.

Le récit frappe par une structure insolite. Contrairement à bien des Slashers et Giallos, BLOODY BIRD ne s'ouvre pas sur une classique scène-choc de meurtre pour solliciter l'attention immédiate du spectateur. Il commence par un ballet, véritable "film dans le film", au cours duquel un assassin s'en prend à une prostituée. Si nous trouvons un vrai meurtre (sur le parking de l'hôtel) tôt dans le film, le premier tiers du métrage est plutôt la peinture de l'ambiance tendue au sein d'une troupe de théâtre qu'un film d'épouvante.

La plupart des meurtres, rapides, mais néanmoins graphiques, sont concentrés sur une petite demi-heure. Tandis que le dernier tiers du métrage est constitué par un envoûtant jeu du chat et de la souris entre Irving Wallace et Alice.

Si cette construction a le mérite de l'originalité, elle aboutit à un film inégal. L'interprétation médiocre (à l'exception de David Brandon), une direction artistique démodée (la scène du ballet), ainsi que des moyens limités aboutissent à un résultat hésitant, notamment pour le premier tiers du film.

Mais BLOODY BIRD est globalement un bon thriller, un coup d'essai réussi pour Michele Soavi, encore influencé par ses prestigieux prédécesseurs. Ce  film sera un échec commercial en Italie, où il sortira dans une version remontée contre l'avis de Soavi. Par contre il sera bien accueilli à l'étranger, notamment en France, où il reçoit le Prix de la Peur du festival d'Avoriaz.

D'Amato envisage ensuite de faire réaliser par Soavi un film appelé BLOODY BIRDS (au pluriel donc !). Mais qui sera finalement réalisé par Claudio Lattanzi et sortira en France sous le titre L'ATTAQUE DES MORTS-VIVANTS). Et le jeune metteur en scène préférera se tourner vers la réalisation d'un film produit par Dario Argento : SANCTUAIRE sorti en 1988.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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