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Critique du film
THE THING 1982

 

Dans une base scientifique isolée, en plein Antarctique, douze hommes affrontent une entité extraterrestre protéiforme...

Avec LA NUIT DES MASQUES, FOG et NEW YORK 1997, John Carpenter obtient trois succès au box-office, tournés avec des petits budgets. Il devient un jeune réalisateur majeur du fantastique. La compagnie Universal lui confie alors un gros projet avec le remake de LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE de 1951. Ce classique de la science-fiction américaine a été réalisé en son temps par Christian Nyby, avec l'apport du grand réalisateur hollywoodien Howard Hawks.

L'idée de refaire ce film est dans l'air depuis le début des années soixante-dix, passant dans les mains de metteurs en scène comme Tobe Hooper. Elle prend vraiment forme suite au succès d'ALIEN en 1979. Dans ce huis-clos terrifiant, une petite troupe d'humains se trouve dans un vaisseau à bord duquel les pourchasse un prédateur extraterrestre.

Carpenter est un fan de LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE et du réalisateur Howard Hawks. Son ASSAUT était déjà une relecture de RIO BRAVO, film de ce dernier. John Carpenter se met rapidement au travail sur le script de THE THING avec le scénariste Bill Lancaster (fils de l'acteur Burt Lancaster). C'est la première fois que le réalisateur travaille pour une Major Company d'Hollywood et il bénéficie d'un gros budget (10 millions de dollars, alors que NEW YORK 1997 n'en a coûté que 6).

Occupé par les multiples défis posés par ce métrage, il n'en signe pas la musique contrairement à ses habitudes. Il confie cette tâche au grand Ennio Morricone qui, proposant une partition proche du travail de Carpenter sur FOG, prouve encore sa capacité à adapter son talent à toutes les situations. Néanmoins Carpenter n'utilise dans THE THING qu'une toute petite partie de la composition de Morricone (disponible en entier sur le disque de la musique du film). Dans le rôle principal, nous retrouvons Kurt Russell que Carpenter vient de diriger dans NEW YORK 1997.

LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE et THE THING sont tous les deux des adaptations de la nouvelle de science-fiction «La bête d'un autre monde» rédigée par John W. Campbell Jr. en 1938. Contrairement à Christian Nyby, Carpenter reprend fidèlement l'idée de l'extra-terrestre capable d'imiter les autres formes de vie.

L'histoire de THE THING rappelle, par bien des aspects, la nouvelle majeure de Lovecraft «Les montagnes hallucinées» publiée en 1936. Dans celle-ci, une expédition polaire découvre une cité extraterrestre abandonnée. Rappelons qu'Edgar Poe a déjà signé une fameuse aventure fantastique d'exploration dans l'Antarctique avec «Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket» en 1858, laquelle a bien pu inspirer Lovecraft, grand admirateur du Maître de Baltimore.

Outre le contexte géographique et l'équipe de scientifiques, nous trouvons dans «Les montagnes hallucinées» des idées également présentes dans THE THING : la découverte de la créature congelée, la vivisection de l'organisme extraterrestre, la présence d'un monstre d'outre-espace à la forme indéfinie, ainsi que la civilisation d'outre-espace arrivée sur Terre pendant la préhistoire. Toutefois, Carpenter déclara plus tard que Lovecraft était plutôt une influence indirecte de THE THING, son intention étant surtout de rendre justice à la nouvelle de John W. Campbell Jr., elle même possiblement influencée par «Les montagnes hallucinées» qui lui est antérieure de deux ans.

L'influence de Lovecraft est surtout saisissante dans la description de la Chose elle-même. Sa spécificité est de ne pas avoir de forme propre, d'être un corps instable à l'apparence non finie. Si cet extraterrestre est capable d'imiter la forme d'un homme ou d'un animal, il passe aussi par des phases transitoires au cours desquelles il révèle sa nature polymorphe.

Rob Bottin, alors âgé de 23 ans, a déjà été remarqué pour son travail sur les loups-garous du HURLEMENTS de Joe Dante. Aidé par le dessinateur de comics Mike Ploog, il crée les diverses apparences du monstre en s'inspirant des couvertures des magazines Pulp des années 1930-40, ces revues dans lesquelles étaient publiés les écrivains de science-fiction de cette époque (dont, bien entendu, Lovecraft et Campbell). Puis, Bottin réalise tous les effets liés à cette créature informe et horrible, que nous ne verrons jamais deux fois sous la même apparence (à cause d'un planning trop chargé, la séquence du chenil est confié à Stan Winston, autre grand nom des effets spéciaux).

Bottin utilise essentiellement des marionnettes animées par des moteurs miniatures. Cette technique dite animatronique est assez peu utilisée alors, mais elle va se développer au cours des années quatre-vingt (par exemple dans ALIENS, LE RETOUR ou JURASSIC PARK). Ces trucages, exécutés à la perfection, sont mis en valeur par la photographie irréprochable de Dean Cundey, fidèle collaborateur de Carpenter.

Ces visions d'organismes gigantesques et désordonnés, où pattes d'insectes, gueules de chien et tentacules s'agitent en un tourbillon suintant et hurlant, prennent à revers le cliché qui veut qu'au cinéma, moins on en montre, plus cela fait peur. Comme chez Lovecraft (qui décrit souvent ses monstres avec beaucoup de précision), Carpenter expose clairement le moindre détail de ses créatures indicibles au cours de séquences spectaculaires et très violentes.

THE THING, comme ALIEN et LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE, fonctionne à la manière d'un huis-clos terrifiant. Mais, comme dans L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES, l'extraterrestre est capable d'imiter la forme humaine, si bien que chaque personnage enfermé dans la station est susceptible d'être un alien caché. Les survivants doivent d'une part se serrer les coudes pour survivre, et d'autre part se méfier de leurs compagnons.

La paranoïa pesante s'installe au cours de THE THING et culmine lorsque Kurt Russell teste le sang de ses compagnons. Carpenter a souvent répété qu'il voulait, avec ce film, décrire un monde sans solidarité ou confiance, dans lequel les personnages sont solitaires, isolés, obligés de se méfier de tout leur entourage. Il y voit une métaphore de la société occidentale du début des années quatre-vingts. En proposant de longues séquences de calme lourd et méfiant, Carpenter rend encore plus efficaces les interventions, toujours très brutales, de la Chose : la fameuse séquence du défibrillateur est ainsi un morceau d'anthologie.

THE THING fonctionne sur un sentiment d'isolement. La petite communauté humaine est confinée dans une base perdue au milieu d'un vaste désert de neige, incapable de communiquer avec l'extérieur. Le style de Carpenter est d'une parfaite neutralité, à la manière de la "réalisation invisible" qu'il admire chez Howard Hawks. La réalisation est complètement froide et clinique, et nous ne trouvons pas dans THE THING les élégants travellings de LA NUIT DES MASQUES.

Ce regard fonctionnel et impersonnel porté sur l'action renforce l'aspect sombre et paranoïaque de la situation inextricable, avec ces personnages piégés au cœur d'un univers hostile et implacable. Par le style glaciale de sa réalisation et la noirceur de son propos (jusqu'à sa conclusion terrible), THE THING est une œuvre d'épouvante sobre, tragique et pessimiste, refusant toute forme de concession.

Toutefois, THE THING est mal accueilli par la critique à sa sortie. La presse généraliste reproche à Carpenter de s'être laissé noyer sous les effets spéciaux, d'avoir négligé ses personnages, et n'apprécie pas les séquences gore. La trop grande ressemblance des situations avec celles d'ALIEN, film encore tout frais dans les mémoires, est aussi un grief. Certaines revues consacrées au fantastique reprochent à Carpenter de s'être "vendu" à un grand studio, ou bien d'avoir "perdu" son talent. Sorti quelques semaine après E.T. L'EXTRA-TERRESTRE de Spielberg, mettant en scène un gentil extra-terrestre et un humanisme bienveillant, THE THING se trouve à contre-courant du cinéma d'alors et produit des recettes décevantes en salle, remboursant à peine son budget.

Nous voyons dans ce rendez-vous manqué le signe avant-coureur de l'essoufflement progressif du cinéma d'horreur hollywoodien des années soixante-dix, un cinéma dont la noirceur acide du regard s'étalait de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS à ROSEMARY'S BABY, de L'EXORCISTE à MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE et autres ZOMBIE. Cousin du cinéma du Nouvel Hollywood, cette épouvante va se déconnecter peu à peu du grand public qui l'a plébiscité auparavant, ou s'égarer dans d'interminables séries de suites superfétatoires comme les VENDREDI 13 et autres HALLOWEEN, en particulier dans la seconde moitié des années quatre-vingts.

Après THE THING, John Carpenter poursuit sa collaboration avec Universal plus modestement, en livrant CHRISTINE, adaptation de commande d'un roman de Stephen King.

Au fil des ans, THE THING finit par être reconnu comme un classique du cinéma fantastique et devient l’œuvre la plus célèbre de Carpenter avec LA NUIT DES MASQUES. Il s'agit effectivement d'un des meilleurs films d'horreur de sa décennie. A travers la peinture de sa Chose, il propose aussi une des toutes premières restitutions convaincantes des monstres Lovecraftiens, ouvrant la porte aux mutations horribles de LA MOUCHE de David Cronenberg et aux trouvailles démentes du FROM BEYOND de Stuart Gordon.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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