Un voilier abandonné dérive devant Manhattan. Des policiers l'inspectent et sont attaqués par un zombie qui se trouvait à bord. Un journaliste et la fille du propriétaire du bateau font leur enquête sur cet incident, ce qui les mène vers une île des Caraïbes...
Au milieu des années soixante-dix, le cinéma populaire italien n'hésite pas à se lancer dans des genres controversés. L'un des plus fameux d'entre eux est le film de cannibales, qui mélange l'horreur et l'aventure exotique. Umberto Lenzi défriche ce style avec AU PAYS DE L'EXORCISME en 1972, belle réussite influencée par le western américain UN HOMME NOMMÉ CHEVAL.
Début 1977, Ruggero Deodato signe son premier classique avec LE DERNIER MONDE CANNIBALE, inspiré par la disparition mystérieuse de Michael Rockfeller au début des années soixante, au cours d'une expédition anthropologique en Nouvelle-Guinée. LE DERNIER MONDE CANNIBALE pousse très loin le bouchon du malaise de l'horreur sanglante.
Quelques mois plus tard arrive VIOL SOUS LES TROPIQUES de Joe D'Amato, qui mélange à nouveau horreur cannibale et décor exotique, avec beaucoup moins de personnalité et d'originalité, mais avec professionnalisme. Son producteur Gianfranco Couyoumdjian compte alors persévérer sur le créneau avec un projet mêlant gore, exotisme et – nouveauté – des zombies. Le succès du ZOMBIE de George Romero en Italie est en effet passé par là...
Les producteurs Fabrizio De Angelis et Ugo Tucci récupèrent peu après le projet, qui prend la forme d'un scénario écrit par Dardano Sacchetti et son épouse Elisa Briganti. Pour réaliser le film, les producteurs pensent d'abord à Enzo G. Castellari, spécialisé dans le cinéma d'action, en particulier les films policiers et les westerns. Mais l'idée de mettre en scène un film d'horreur ne l'inspire pas et il demande un salaire trop élevé.
Fabrizio De Angelis remarque alors L'EMMURÉE VIVANTE de Lucio Fulci, tentative de ce dernier de se lancer dans le cinéma d'horreur en 1977, mais ayant connu un succès insuffisant. En 1978, Fulci vient de réaliser SELLA D'ARGENTO avec Giuliano Gemma, western spaghetti réalisé de façon compétente, mais trahissant une inspiration et un genre à bout de souffle.
Fabrizio De Angelis confie donc son projet de film d'horreur à Lucio Fulci, qui accepte, notamment car sa carrière est mal en point. Il réunit des collaborateurs-clé avec lesquels il vient de travailler sur ses métrages précédents. A savoir le chef-opérateur Sergio Salvati, artisan éprouvé, capable de proposer de belles images très cinématographiques en dépit de budgets modestes. Et le compositeur Fabio Frizzi.
Comme acteur, nous trouvons en vedette Richard Johnson dans le rôle du Docteur Menard. Cet acteur anglais est remarqué des amateurs de fantastique comme le scientifique explorant le paranormal dans le grand classique de Robert Wise LA MAISON DU DIABLE de 1963. Dans les années soixante et soixante-dix, il s'oriente vers l'Italie avec en particulier ÉMILIE, L'ENFANT DES TÉNÈBRES, dérivé de qualité de L'EXORCISTE.
En 1979, Richard Johnson apparaît dans un autre métrage entretenant des points communs intéressants avec L'ENFER DES ZOMBIES : à savoir LE CONTINENT DES HOMMES-POISSONS de Sergio Martino. Ce dernier film s'inspire nettement du roman de H.G. Wells «L'île du docteur Moreau» pour décrire les expériences insolites d'un savant (incarné par Joseph Cotten) qui crée des êtres monstrueux. Il faut dire que Hollywood a livré deux ans avant une nouvelle version de L'ÎLE DU DOCTEUR MOREAU, avec Burt Lancaster, ce qui n'a pas échappé aux producteurs italiens.
Dans L'ENFER DES ZOMBIES qui sort la même année que LE CONTINENT DES HOMMES-POISSONS, nous trouvons aussi une histoire d'horreur sur une île exotique, et c'est au tour de Richard Johnson d'incarner un savant dont les travaux impies (mais pas très clairs...) sont associés à l'apparition des monstres. Cette fois-ci, ce sont des zombies ! Autour de Richard Johnson, nous trouvons des acteurs plus anecdotiques comme Tisa Farrow (la sœur de Mia), l'affable écossais Ian McCulloch ou le peu expressif Al Cliver.
Sans trop de scrupules, les producteurs de L'ENFER DES ZOMBIES présentent leur film comme un prolongement de ZOMBIE, le nommant parfois ZOMBI 2, notamment en Italie. Pourtant, il présente des événements qui pourraient se dérouler avant ZOMBIE, avant que les USA ne soient envahis par les morts-vivants.
L'ENFER DES ZOMBIES s'ouvre sur une séquence étonnante. Un petit voilier pourri entre dans la baie de New York et passe devant la Statue de la Liberté. Des garde-côtes découvrent à son bord des cadavres décomposés ainsi qu'un mort-vivant putréfié et suintant ! Cette arrivée d'un navire porteur d'une épidémie et d'une horreur terribles n'est pas sans rappeler l'échouage du Déméter en Angleterre dans «Dracula».
Nous suivons ensuite quelques séquences d'enquête traditionnelles et calmes. Après son prologue tonitruant, Fulci installe le calme pour mieux faire éclater la tempête. En effet, le film démarre vraiment lors de l'arrivée des enquêteurs sur l'île des zombies, aux Antilles. Au cours d'une séance anodine de plongée sous-marine, teintée d'un érotisme léger, le premier zombie insulaire surgit de manière surprenante, là où le spectateur l'attend le moins, au cours d'une séquence horrible et très originale.
Tout le génie de Fulci y apparaît déjà : effets spéciaux gore soignés et inventifs, cruauté, gratuité de la violence, lyrisme et poésie morbide. Dans cette séquence inattendue, au cours de laquelle un zombie affronte sous l'eau un requin, L'ENFER DES ZOMBIES relève les gageures de convoquer deux gros succès du box-office d'alors (LES DENTS DE LA MER et ZOMBIE) et surtout d'éviter le ridicule ! A partir, de là, L'ENFER DES ZOMBIES entraîne le spectateur estomaqué dans une tornade de folie sanglante ne lui laissant aucun répit.
Fulci a toujours avoué s'être plus inspiré du vénérable classique VAUDOU de Jacques Tourneur que de ZOMBIE. Certes, l'emploi abondant de séquences gore très graphiques et d'effets spéciaux parait en contradiction avec le cinéma de Tourneur. Pourtant, Fulci rejoint ce réalisateur dans sa manière d'installer une ambiance terrifiante, fantastique et toujours poétique : photographie splendide, cinémascope balayant des étendues désolées, bande-son contaminée par des chants vaudous dont nous ne verrons jamais les interprètes, usage magnifique de décors étonnants (plages sinistres, villages abandonnés parcourus par des animaux affamés)... De son côté, Fabio Frizzi propose une musique électronique minimaliste, évocatrice d'une marche lente mais inarrêtable. Il poursuit la tradition des mélodies entêtantes et accrocheuses entendues peu avant dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE ou LA NUIT DES MASQUES.
L'ENFER DES ZOMBIES ne porte pas un discours politique articulé comme ZOMBIE. Le regard de Fulci est plus spirituel, fantastique. Un personnage du film déclare : "Quand les morts reviendront à la vie, tu connaîtras l'horreur de tes pêchés". De même, un scénariste du film avoua que les zombies incarnent la mauvaise conscience, les fautes, les remords qui nous hantent. Pour Fulci, italien et élevé dans le catholicisme, si les morts reviennent à la vie, ce ne peut être que pour un ultime et impitoyable Jugement Dernier.
Les zombies font alors de l'île une antichambre de l'enfer. Ils infligent aux vivants les tourments des damnés. Ces monstres ne sont pas seulement des cannibales ahuris, ils sont sadiques et inventifs dans leur cruauté. Nous pensons évidemment à la fameuse scène où un zombie imaginatif crève l’œil d'une de ses victimes au moyen d'un écharde de bois opportunément placée !
Fulci nous convie à une sauvage Danse Macabre où vivants de toutes classes et de toutes races sont emportés à travers les portes de la mort par des cadavres à l'aspect redoutable. Le regard de Fulci sur l'humanité et son avenir est d'une implacable noirceur, comme le démontre la conclusion sidérante de L'ENFER DES ZOMBIES, pure vision cinématographique de poésie et de pessimisme. Les zombies arrivent à New York en plein jour en traversant le pont de Brooklyn.
L'ENFER DES ZOMBIES innove aussi en proposant un nouveau look en matière de morts-vivants. Jusque là, ces derniers sont des comédiens au visage vaguement peinturluré. Sur ZOMBIE, le maquilleur Tom Savini a révolutionné le cinéma gore avec ses représentations très crues de coups de feu, de décapitations et de démembrements en tout genre. Mais les zombies restent une horde de figurants à la face simplement bleuie.
Dans L'ENFER DES ZOMBIES, Giannetto De Rossi recouvre ses morts d'un maquillage hyper-réaliste, qui rend avec précision les avancées de la décomposition. Si certains cadavres paraissent frais, d'autres portent les stigmates d'une putréfaction plus avancée, comme ce zombie momifié et grouillant de vers d'un conquistador enterré depuis des siècles.
Ces effets spéciaux extrêmement réussis nous rappellent la précision morbide de l'art macabre qui a fleuri au quinzième et au seizième siècle dans une Europe traumatisée par la Peste. C'est à cette époque que sont apparues des représentations de Danse Macabre, de Pieta, de transis squelettiques aux viscères pourrissantes. Comme le peintre Grünewald dans la crucifixion de son célèbre retable d'Issenheim, Fulci n'oublie pas de reproduire le moindre ver grouillant dans les plaies de ses cadavres ambulants.
Chez Fulci, le gore ne cherche pas un effet comique ou parodique. Il met mal à l'aise le spectateur, il le "prend aux tripes". S'il s'intéresse plus à l'atmosphère de L'ENFER DES ZOMBIES qu'à sa narration, le réalisateur traite néanmoins avec le plus grand sérieux les sujets fantastiques comme les zombies et la sorcellerie.
Nous apprécions encore la scène du siège d'une église par des morts-vivants (encore un rapprochement entre religion chrétienne et zombie). Son efficacité, son sens du rythme et sa folie apocalyptique démontrent que, avec sa technique soignée, Fulci parvient à créer des scènes d'action dont l'intensité évoque un Peckinpah ou un John Carpenter de la même époque.
Grâce à l'inventivité et à la noirceur du regard que Fulci porte sur la mort, L'ENFER DES ZOMBIES est un des classiques les plus forts du cinéma d'épouvante. C'est aussi un film exigeant qui mérite que le spectateur le regarde avec attention et sérieux, sous peine de n'y voir qu'une simple accumulation de scènes gore.
A sa sortie en 1979, L'ENFER DES ZOMBIES connaît un triomphe commercial à travers le monde, en dépit de problèmes de censure dans de nombreux pays. Notamment en France où sa large diffusion en version intégrale ne devient possible qu'en 1981, lors de l'abolition des coupes dans les films de fiction. Avant cela, L'ENFER DES ZOMBIES est projeté au Grand Rex dans le cadre du Festival du Film fantastique de Paris de 1980 (en version complète, ce qui était permis pour un événement exceptionnel), faisant de ce réalisateur un chouchou de cette manifestation et du public français amateur d'épouvante.
La carrière de Lucio Fulci qui patinait sérieusement connaît alors une renaissance, et il se spécialise alors dans l'horreur zombiesque, avec des films comme FRAYEURS, L'AU-DELÀ et LA MAISON PRÈS DU CIMETIÈRE. Le gore italien atteint son pinacle au début des années quatre-vingts, des réalisateurs talentueux rivalisant alors de créativité (Dario Argento avec TÉNÈBRES, Ruggero Deodato avec CANNIBAL HOLOCAUST), tandis que le filon du zombie à l'italienne s'épanouit au gré d’œuvres souvent bien inférieures à celles de Lucio Fulci. Les films de ce dernier, comme L'ENFER DES ZOMBIES, restent en effet la référence ultime du genre dans cette cinématographie.