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Critique du film
LE PEUPLE LOUP 2020

WOLFWALKERS 

Réalisateur irlandais de films d'animation, Tomm Moore fonde le studio Cartoon Saloon en 1999 et propose son premier long métrage dix ans plus tard, avec BRENDAN ET LE SECRET DE KELLS, inspiré par le «Livre de Kells», fameux manuscrit médiéval enluminé mêlant influences chrétiennes et celtes. Déjà très intéressant par son graphisme, ce métrage nous a pourtant laissé mitigé en son temps.

Tomm Moore revient en 2014 avec le magnifique LE CHANT DE LA MER, dédié à la légende des Selkies, jeunes femmes se métamorphosant en phoques, mythe déjà illustré dans les beaux films LE SECRET DE ROAN INISH de John Sayles ou ONDINE de Neil Jordan.

Après la grande réussite du CHANT DE LA MER, il produit avec son studio PARVANA, UNE ENFANCE EN AFGHANISTAN de Nora Twomey, co-réalisatrice de BRENDAN ET LE SECRET DE KELLS. Avant de réaliser (avec Ross Stewart) LE PEUPLE LOUP, qu'il présente comme le dernier volet de sa trilogie celtique, dédié cette fois à la légende des Wolfwalkers.

La petite Anglaise Robyn s'installe dans une ville d'Irlande, son père y ayant été recruté par le Lord Protecteur pour chasser les loups qui hantent les bois alentours. Ces forêts sont occupées par une meute lupine menée par deux Wolfwalkers, Moll MacTire et sa fille Mebh. Alors que Robyn chasse en douce dans la forêt, elle rencontre cette dernière et elles deviennent amies...

LE PEUPLE LOUP met donc en scène des Wolfwalkers, variante médiévale et irlandaise de la figure du loup-garou. Ainsi, Mebh et sa mère changent de forme, alternant entre l'humain et le loup. Comme les lycanthropes, leurs métamorphoses ont lieu essentiellement la nuit. Elles sont aussi douées de pouvoirs guérisseurs rattachables à l'invulnérabilité de ces créatures du folklore.

Cependant, les Wolfwalkers de Tomm Moore ne se comportent pas tout à fait comme nos loups-garous classiques. D'abord, elles se changent en loups toutes les nuits, pas seulement lorsque la pleine-lune s'élève. Elles ne sont pas indestructibles, mais ne sont pas non plus incommodées par le métal d'argent. Lorsque le Wolfwalker s'endort, son esprit sort de son corps et se matérialise en un loup, forme qu'il ne quitte que lorsque l'animal revient à son corps d'origine après son escapade.

Toutefois, si ce loup est capturé et ne peut retourner à son corps, il reste piégé dans cette forme, comme cela est arrivé à Moll, la mère de Mebh, dont le corps humain endormi repose depuis des jours dans l'antre des Wolfwalkers au fond de la forêt.

Au-delà de l'exploration des possibilités mythologiques des Wolfwalkers, LE PEUPLE LOUP expose aussi un point de vue sur le colonialisme. L'action se déroule dans l'Irlande du XVIIème siècle, pays alors colonisé par l'Angleterre depuis cinq cents ans. Le personnage du Lord Protecteur incarne le poids de l'envahisseur. Fanatique religieux chrétien, il écrase les traditions locales auxquelles il ne croit pas. Il exploite au maximum les ressources naturelles du pays, quitte à dénaturer ses paysages et sa faune en changeant les forêts en champs agricoles et en tuant tous les loups. Il emploie les armes de la science (la poudre explosive) pour imposer une société urbaine et commerciale.

Ce personnage est l'incarnation d'une idée coloniale négative plutôt qu'un être de chair et de sang, ce qui en fait un méchant schématique et monotone. Il n'en reste pas moins une menace pesante et réelle pour les héros de notre métrage.

Car son oppression ne s'applique pas qu'aux Wolfwalkers et aux Irlandais. Elle est aussi subie par les Anglais eux-mêmes, en particulier Robyn et son père (personnage doublé par Sean Bean), soumis eux aussi à sa tyrannie. Une image récurrente du métrage est celle de la cage, cage dans laquelle les loups sont enfermés, mais cage aussi dans laquelle Robyn dit se sentir emprisonnée par la vie urbaine qui lui est imposée. Autre reflet de la cage : la prison de la peur à laquelle se soumet son père pour mener une vie de sécurité et de stabilité.

Cages anguleuses, géométriques comme les images de la ville, opposées à celles de la forêt, riches en espace et en formes arrondies, jusqu'au cercle constitué de manière répétée par le clan de Wolfwalkers.

Comme LE CHANT DE LA MER, LE PEUPLE LOUP bénéficie d'une mise en image originale et très soignée. S'éloignant de la forme générique des films en numérique 3D, il trouve son essence dans l'animation 2D, appuyant sur les particularités du graphisme dessiné. Les traces des esquisses sous-jacentes, la patte du trait ou l'irrégularité du crayonné sont incorporées au graphisme pour lui donner sa richesse visuelle et sa singularité artistique.

Comme dans BRENDAN ET LE SECRET DE KELLS, le métrage s'inspire des arts illustratifs médiévaux tels les miniatures ou les tapisseries pour faire interagir les personnages avec leur environnement, créer des distorsions de la perspective et des échelles, accompagner et enrichir la narration par l'image. Plutôt que de chercher une reproduction mimétique de la réalité, LE PEUPLE LOUP appuie les possibilités du graphisme en deux dimensions pour offrir une imagerie de cinéma diversifiée et recherchée.

L'animation est d'une très grande fluidité, s'inspirant parfois du cinéma japonais, en particulier du Miyazaki de PRINCESSE MONONOKE, pour dépeindre la magie de la nature. Elle offre de nombreux moments de grâce, en particulier les cavalcades des loups à travers une forêt foisonnante de vie, séquences grisantes à l'émotion démultipliée par la synergie entre le cinéma de Tomm Moore et la musique de Bruno Coulais, son fidèle complice.

Avec LE PEUPLE LOUP, Tomm Moore ne nous déçoit pas, signant un métrage dans la veine du CHANT DE LA MER. En plus dur et cruel peut-être, mais ouvrant à nouveau toutes grandes les portes de l'imaginaire et du temps des légendes. Exploitant un folklore celtique et européen d'une grande richesse, il le met en images au moyen d'une inspiration artistique et d'un goût irréprochables.

Enfin son message anti-colonial n'est pas déconnecté de notre réalité d'aujourd'hui, les conséquences du Brexit récent en particulier menaçant de nos jours l'Irlande du Nord d'un funeste retour en arrière.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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