Header Critique : FELINE, LA (CAT PEOPLE)

Critique du film
LA FELINE 1942

CAT PEOPLE 

Irena, une jeune femme serbe, vient de s'installer à New York. Elle y épouse un Américain, mais refuse de se soumettre au devoir conjugal. En effet, une légende de son pays veut que les femmes de sa famille se transforment en panthère et dévorent leurs amants à l'instant de l'étreinte...

Aux États Unis, les années 1930 sont un véritable Age d'Or du cinéma d'épouvante. Le début de la décennie décline de nombreux chefs-d'oeuvre comme DRACULA, FRANKENSTEIN ou LA MOMIE. Au commencement de la décennie suivante, la production fantastique est abondante quantitativement, mais qualitativement moins marquante. Le studio phare du genre, Universal, multiplie les suites de ses classiques gothiques, moins ambitieuses que leurs modèles.

 

Néanmoins, ces nouveaux titres connaissent assez de succès pour appéter la concurrence. Ainsi, en 1942, le studio RKO, créateur de KING KONG quelques années avant, charge le producteur Val Lewton de fournir des films fantastiques dans cette veine. Ce dernier se tourne pour cela vers le réalisateur Jacques Tourneur, d'origine française, travaillant à Hollywood depuis les années trente.

 

Jacques Tourneur, fils de Maurice Tourneur, a déjà réalisé beaucoup de films (comédie, histoire de détective... essentiellement des courts-métrages), mais ne s'est pas encore frotté au genre de l'horreur. LA FÉLINE s'avère sa première oeuvre d'épouvante, veine dont il deviendra un maître reconnu, avec VAUDOU l'année suivante, ou RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR plus tard, entre autres.

 

Il convient ici de faire un petit rappel sur le contexte cinématographique dans lequel arrive LA FÉLINE. Au début des années quarante éclot à Hollywood le genre «Film Noir», avec le coup de tonnerre de LE FAUCON MALTAIS en 1941, vite suivi par de nombreux classiques comme LA CLÉ DE VERRE : cadrages et photographie (noir et blanc) empreints des souvenirs de l'expressionnisme, réalisme d'un cadre contemporain souvent sordide, détectives dur à cuir, femmes fatales, cynisme, violence. Ce nouveau genre ouvre de nouvelles perspectives artistiques.

 

D'autre part, le film de fantômes REBECCA de Hitchcock, transposition du chef-d'oeuvre de Daphné du Maurier, lance en 1940 toute une série de drames gothiques mêlant fantastique et machination sinistre sur un fond psychologique élaboré, tels que plus tard HANTISE de Cukor ou LE CHÂTEAU DU DRAGON avec Vincent Price. Nous nous permettons d'y voir un courant cousin du Film Noir justement, s'épanouissant à la même période, puisant ses sources dans les romans gothiques du XVIIIème siècle tels que les livres d'Ann Radcliffe ou des soeurs Brontë. Deux adaptations fameuses des oeuvres de ces dernières arrivent aussi à la même période : LES HAUTS DE HURLEVENT avec Laurence Olivier, en 1939, juste avant qu'il soit la vedette de REBECCA, et JANE EYRE avec Orson Welles et Joan Fontaine en 1943.

LA FÉLINE arrive donc dans ce contexte, où la construction du suspense et des atmosphères est travaillée de manières nouvelles et plus subtiles, impliquant une approche des personnages ouverte sur une psychologie élaborée, voire sur la psychanalyse. Accompagnant ces nouvelles tendances cinématographiques, Val Lewton et Jacques Tourneur les intègrent au genre fantastique pour l'amener vers plus de maturité.

 

Ainsi, Jacques Tourneur n'est au départ pas enthousiasmé à l'idée de faire un film d'horreur, dont les prémices évoquent une version féminisée de LE LOUP-GAROU, sorti par Universal l'année précédente. Il adapte donc LA FÉLINE à sa personnalité et prend les règles du genre à rebours. Cela lui permet d'éviter des clichés mis en place par les productions Universal la décennie précédente et surexploités par la suite. Il renonce à utiliser des maquillages et des effets spéciaux. Pour faire peur, il ne montre que l'ombre du monstre menaçant, ou fait juste entendre son grognement lugubre.

 

Tourneur comprend l'extrême efficacité d'une habile suggestion. A ce titre, la poursuite dans la rue obscure rythmée par les bruits des talons, ou la scène de la piscine, sont de vrais moments d'anthologie, totalement innovants dans leur construction. Le réalisateur soigne avant tout son atmosphère envoûtante, avec une magnifique photographie et des décors remarquablement choisis.

 

Cette façon de jouer sur l'imagination du spectateur et ses appréhensions va essaimer sur de longues années. Ce sera une influence capitale, bien que peut-être indirecte, par exemple dans les premiers films fantastiques de M. Night Shyamalan tels SIXIEME SENS, ou la vague des films de fantômes japonais comme RING. Voire de certains des passages les plus atmosphériques des récents «films trouvés» comme PARANORMAL ACTIVITY ou des histoires de fantômes réalisées par James Wan !

 

LA FÉLINE refuse d'utiliser un background folklorique ou exotique tel que l'Égypte ou l'Europe du XIXème siècle. Tourneur préfère décrire en détail et de façon réaliste la vie de ses protagonistes. Ils ont un travail normal (dessinateur de mode, ingénieur), rencontrent leurs amis le soir, vont au restaurant... Tout cela leur donne une réelle consistance. Nous sommes loin des savants fous schématiques et autres aristocrates maudits qui règnent alors sur le petit monde de l'épouvante.

LA FÉLINE joue aussi finement sur l'évolution psychologique d'Irena et de son mari. Leurs personnalités profondes structurent leurs rapports : l'optimisme rationaliste pour l'américain ; le fatalisme superstitieux pour la jeune slave. L'extraordinaire interprétation de Simone Simon (née en France et révélée en 1934 dans LE LAC AUX DAMES de Marc Allégret) rend son personnage passionnant et touchant.

 

Autre originalité, la mythologie fantastique présentée ici est basée sur l'idée d'un monstre purement féminin, ce qui est encore une nouveauté. En effet, l'horreur se conjugue alors essentiellement au masculin à cette époque (Dracula, le monstre de Frankenstein, Imhotep...). Irena est une femme terrifiée par les hommes et par sa sexualité, qu'elle assimile à quelque chose de bestial et de contre-nature. Il est cependant dommage que ce film en fasse tout de même beaucoup dans l'illustration des théories de Freud (le rêve avec la clé !) et souligne ainsi son propos d'une manière qui peut nous sembler aujourd'hui pesante.

 

Néanmoins, LA FÉLINE reste à voir absolument, particulièrement pour l'élégance et la finesse de sa réalisation, ainsi que pour son ambiance angoissante inimitable. Cette oeuvre à tout petit budget connaît un énorme succès et même une (fausse) suite : LA MALÉDICTION DES HOMMES-CHATS, toujours produite par Val Lewton, première réalisation du grand Robert Wise. Lequel retiendra bien les leçons de Jacques Tourneur pour son classique de la peur suggestive : LA MAISON DU DIABLE de 1963.

 

En 1952, Vincente Minnelli tourne LES ENSORCELÉS pour MGM, décrivant la trajectoire d'un grand producteur hollywoodien incarné par Kirk Douglas. Les débuts de ce personnage s'inspirent très nettement de la trajectoire de Val Lewton et nous le voyons produire un film nommé «Doom of the Cat Men», référence transparente au titre anglophone de LA FÉLINE !

 

Enfin, en 1982, Paul Schrader, réalisateur alors en vogue après AMERICAN GIGOLO, tourne un remake de LA FÉLINE avec Nastassja Kinski dans le rôle-titre, et cadencé par une musique signée Moroder et David Bowie. Toute une époque !

 

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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