Header Critique : FILLE DE DRACULA, LA (DRACULA'S DAUGHTER)

Critique du film
LA FILLE DE DRACULA 1936

DRACULA'S DAUGHTER 

Dès 1931, Universal fait travailler ses scénaristes sur une suite de son succès DRACULA : la nouvelle histoire s'inspire alors vaguement de «L'invité de Dracula», une nouvelle de Bram Stoker. Cette firme, après des difficultés financières au début des années trente, obtient de bons résultats commerciaux en 1935 avec LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN, suite de FRANKENSTEIN. Produire des suites paraît alors une entreprise très rentable. Universal décide donc de tourner la suite de DRACULA en 1936.

Le réalisateur, Lambert Hillyer, est avant tout un grand réalisateur de western, tournant des classiques comme LA REVELATION de 1917 ou LA CARAVANE de 1919 avec William S. Hart, grande vedette du genre au temps du muet. Au milieu des années trente, il filme pour Universal LE RAYON INVISIBLE, œuvre fantastique interprétée par les deux stars Boris Karloff et Bela Lugosi. On lui confie aussitôt après la réalisation de LA FILLE DE DRACULA.

Le rôle-titre est tenu par Gloria Holden, comédienne de théâtre d'origine britannique qui commence sa carrière hollywoodienne cette année-là. Comme elle est inconnue du grand public, Universal peut promouvoir ce film en entourant son interprète principale d'un épais et inquiétant mystère (comme cela a été le cas pour Lugosi dans DRACULA, Karloff dans FRANKENSTEIN ou Claude Rains dans L'HOMME INVISIBLE). On retrouve Gloria Holden l'année suivante dans l'immense succès LA VIE D'EMILE ZOLA de William Dieterle, mais le reste de sa carrière se cantonnera essentiellement à des seconds rôles.

A ses côtés, nous trouvons Otto Kruger, qui fut d'abord vedette de théâtre. Comme dans DRACULA, Edward Van Sloane, habitué du cycle des grands monstres Universal, incarne le professeur Van Helsing, fameux chasseur de vampires. L'inquiétant serviteur de la comtesse Zaleska est interprété par Irving Pichel, par ailleurs important réalisateur de cinéma fantastique avec LA CHASSE DES COMTE ZAROFF co-réalisé par Ernest Schoedsack en 1932 ou le classique fondateur de la SF hollywoodienne des années cinquante DESTINATION LUNE.

LA FILLE DE DRACULA s'avère une suite très directe de DRACULA. En effet, son récit commence à l'instant précis auquel s'achève le précédent film. Des policiers découvrent Van Helsing entre les corps de Renfield et du comte Dracula, et l'arrêtent pour meurtre. Les deux cadavres sont déposés en prison où la comtesse Zaleska, fille de Dracula, dérobe celui de son père et se livre à un étrange rituel. Elle exorcise le comte afin de lever la malédiction pesant sur lui et ainsi libérer son âme d'une immortalité tourmentée. En soulageant ainsi le comte Dracula, elle compte annihiler la malédiction vampirique qui pèse aussi sur elle.

La comtesse Zaleska est un personnage double. Vampire par nature, elle n'aspire qu'à échapper à cette condition maléfique à redevenir humaine. Elle expérimente plusieurs méthodes (magie noire, psychiatrie...) pour mettre un terme à son terrible mal. Attachante et émouvante par sa volonté de se défaire de sa nature monstrueuse, elle se fait aussi menaçante lorsqu'elle part en chasse de proies parmi les rues nocturnes des villes anglaises. Fascinant aussi bien les hommes que les femmes, il émane de ce personnage une séduction érotique et ambiguë, toujours rendue avec délicatesse. Gloria Holden, belle femme brune aux yeux d'un noir profond, incarne à merveille toutes les nuances de ce rôle et parvient à donner une épaisseur humaine à son personnage (les femmes-vampires vues dans DRACULA ou LA MARQUE DU VAMPIRE étaient réduites à de simples présences spectrales). Élégante de silhouette, vêtue de robes sombres, elle évoque Maria Casarès incarnant la Mort du poète dans ORPHEE de Jean Cocteau. Gloria Holden crée de manière très crédible un nouveau monstre dans la galerie horrifique Universal et se montre tout à fait digne, par la qualité et la profondeur de son interprétation, d'un Boris Karloff ou d'un Bela Lugosi.

La comtesse est secondée par Sandor, inquiétant domestique qui, de manière totalement opposée à elle, est un humain qui brûle d'accéder à l'immortalité et de devenir vampire. L'interprétation tragique et sombre d'Irving Pichel, par ailleurs discrètement maquillé par Jack Pierce, fait merveille.

Surtout, la qualité du travail sur l'atmosphère nous frappe. La richesse, l'élégance et le mystère des films d'épouvante de la Universal sont ici à leur sommet. L'équipe technique est rodée et habile : le compositeur Heinz Roemheld, le chef-opérateur George Robinson, le décorateur Albert S. D'agostino... La réalisation s'avère autrement plus souple et raffinée que dans le DRACULA original. La caméra circule de manière féline à travers des décors somptueusement éclairés, baignés dans un noir et blanc magique. Certaines séquences sont d'une beauté poétique à couper le souffle : l'exorcisme de Dracula dans un cimetière gothique embrumée, Sandor rabattant pour sa maîtresse une jeune désespérée sur le point de se jeter dans la Tamise, la comtesse essayant d'interpréter une musique joyeuse au piano...

Certes, la narration souffre de trop de bavardages par moment. Pourtant, ces conversations ne s'avèrent jamais gratuites et font presque toujours progresser le récit. Le niveau très élevé des acteurs et la réalisation toujours dynamique permettent de ne jamais laisser au spectateur le temps de s'engourdir. Otto Kruger, qui incarne un psychiatre vers lequel la comtesse se tourne pour guérir sa malédiction, manque de charisme et n'est guère sympathique, mais cela ne retire cependant rien à son très bon jeu d'acteur.

LA FILLE DE DRACULA est donc un très bon film d'épouvante, tout à fait digne de figurer parmi les plus grandes réussites du fantastique hollywoodien des années 1930. A travers le personnage déchiré et émouvant de la comtesse, il explore avec sensibilité la mythologie vampirique. A ce titre, nous sommes déçus qu'il ne soit pas mieux connu et considéré.

1936 marque un temps d'arrêt dans la production de films d'horreur Universal. D'abord, la censure se fait pressante. Le puritain code Hays est appliqué rigoureusement par les compagnies hollywoodiennes à partir de 1934. Surtout, en Grande-Bretagne, les films d'horreur Universal, qui marchent très bien dans ce pays, ont du mal à passer la commission de censure, notamment depuis que LE CORBEAU, interprété par Karloff et Lugosi, a provoqué un scandale par sa violence. Sous couvert de protection des bonnes mœurs, il s'agit de protéger l'industrie cinématographique anglaise contre la concurrence américaine.

D'autre part, Carl Laemmle, fondateur et patron de la Universal, se voit mis à la porte par les actionnaires de sa compagnie en 1936. Son fils, Carl Laemmle Jr., qui s'occupe du gros du travail depuis le début des années trente, est prié de le suivre. Ces événements poussent Universal à abandonner la production d'œuvres fantastiques pendant deux ans, durant lesquels Lugosi travaille peu tandis que Karloff œuvre pour d'autres firmes (CHARLIE CHAN A L'OPERA pour la Fox, THE INVISIBLE MENACE pour Warner...).

Universal reprend la production de films d'horreur en 1939 avec LE FILS DE FRANKENSTEIN de Rowland V. Lee, dans lequel Karloff joue, pour la dernière fois au cinéma, le Monstre l'ayant rendu célèbre. La lignée du comte Dracula revient avec LE FILS DE DRACULA de 1943, réalisé par Robert Siodmak et interprété par Lon Chaney Jr....

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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