On réduit très souvent les années 60 et le cinéma de genre anglais à la firme Hammer. Dommage, car de nombreuses tentatives (sf, horreur, fantastique, SF…) se firent hors les murs de la firme- marteau. En l'occurence le producteur anglais Richard Gordon et cette POUPEE DIABOLIQUE qui sort pour la première fois sur le territoire français via l'éditeur indépendant Artus Films. Il traversa allègrement les décennies en produisant le très fun FIEND WITHOUT A FACE d'Arthur Crabtree jusqu'à l'INSEMINOID de Norman J. Warren. A very beautiful grand écart!
Un célèbre hypnotiseur nommé Le Grand Vorelli (Bryant Haliday) fait sensation à Londres. Il possède un étrange numéro de ventriloque avec une marionnette nommée Hugo, qui semble parler mais également… marcher. Un journaliste (William Sylvester), le prenant pour un falsificateur, tente de le piéger en demandant à sa fiancée Marianne (Yvonne Romain) de devenir l'un de ses sujets. Mal lui en prend, Marianne tombe sous l'emprise de Vorelli et il s'avère également qu'Hugo (Sadie Corre) est bel et bien… vivant.
Sur le papier, les histoires introspectives et triviales de relation ventriloque/hypnotiseur/poupée à la volonté propre sentent le recyclage d'oeuvres déjà phare. Entre le récit de Carlo Collodi pour le conte moral ou le film d'Alberto Cavalcanti pour la macabre et le jeu sur le réel, LA POUPEE DIABOLIQUE arrive sur un terrain bien pratiqué. Aux manettes, le canadien Lindsay Shonteff. Relativement peu connu, ayant une filmographie s'étalant sur plus de 40 ans en 23 films. Il toucha à plusieurs reprises aux films de genre, de CURSE OF THE VOODO en passant par THE MILLION EYES OF SUMURU, le slasher NUIT APRES NUIT, des clones remplaçant des hommes politiques dans ADIEU CANAILLE, le post-nuke avec robots tueurs de KILLING EDGE… Mais surtout un très curieux PERMISSIVE (disponible en Blu ray chez BFI), véritable film rock'n roll quasi underground de 1970. Un touche à tout qui tient avec LA POUPEE DIABOLIQUE son second film. Et après la vision, juste un envie : redécouvrir le reste de son oeuvre!
Il s'entoure de Bryant Haliday, suant de maléfice et de dualité par tous les pores de son visage perçant. Shonteff le réutilisera pour CURSE OF THE VOODO, le producteur Richard Gordon fit encore appel à lui pour THE PROJECTED MAN. Il termina sa très courte carrière dans LA TOUR DU DIABLE de Jim O'Connolly qui, comme par un fait du hasard, sort en même temps que LA POUPEE DIABOLIQUE chez Artus Films.
On entre en territoire plus connu avec le journaliste joué par l'américain William Sylvester. un figure connue à la télévision qui obtint quelques succès avec des 1e rôles dans GORGO et de THE HAND OF NIGHT… jusqu'à 2001 ODYSSEE DE L'ESPACE ou encore le superbe LES CREATURES DE L'OMBRE. On ne peut passer outre la ravissante Yvonne Romain, à peine sortie de LA NUIT DU LOUP GAROU et du CIRQUE DES HORREURS ou du FASCINANT CAPITAINE CLEGG. Quel CV! Mariée à Leslie Briscusse, scénariste et parolier d'Henry Mancini, elle pris sa retraite cinématographique en 1973 après le whodunit THE LAST OF SHEILA. Très dommage. Enfin, si trois personnes, toutes cachées derrière des pseudos, se trouvent derrière l'histoire et le scénario, seul Ronald Kinnock se trouve effectivement au générique. Là aussi un carrière très peu prolifique, mais auteur d'un authentique chef d'oeuvre : LE VILLAGE DES DAMNES de Wolf Rilla.
Un premier quart d'heure passionnant, évacuant rapidement les références à AU COEUR DE LA NUIT (même si la poupée porte le même prénom!) ou les éventuels séries TV du type LA QUATRIEME DIMENSION, pour se concentrer sur la mystérieuse relation Hugo/Vorelli. Une fine ligne entre fantastique, magie et manipulation. Des contre-plongées à la fois habituelles pour des scènes de dans de films des 60's, mais également pour rendre Vorelli encore plus menaçant. Simple, mais une idée efficace de mise en scène et de juxtaposition de plans.
Les divers moments de représentation d'Hugo en public provoquant un véritable sens du sinistre. Une bande son à base de sons graves, sourds. renforce une véritable idéologie macabre. Le côté très rigide de la poupée ajoute une couche de distorsion du réel très adroit. Shonteff réussit ici un petit tour de force à plusieurs reprises, dont la scène du bal de charité (vers la 25e minute). Concluant avec un effet technique quelque peu disparu aujourd'hui : un fondu enchaîné sur des applaudissements de l'auditoire. Idem pour la séquence où Hugo marche, vers la 47e minute : la caméra à l'épaule en plongée sur ses pieds marchant de manière raide, contrebalancé par une contre-plongée sur son visage sans expression, qui réussit à le rendre menaçant.
En fait, la réalisation masque très habilement le budget qu'on devine étriqué en tentant de créant de la profondeur de champ. de rendre riche la cadre de l'action. En plaçant de manière régulière des objets au premier plan, créant à la fois des lignes de fuite, de la perspective tout en laissant transparaitre la lumière. La cage d'Hugo en premier lieu, mais aussi au détour de scènes d'apparence banale. Comme le bureau de l'inspecteur, à 47mn52, la caméra placée en légère contre-plongée à travers les barreaux du dossier d'une chaise. Une idée là encore relativement simple mais dynamisant le plan.
A l'inverse, il créé le suspense et un léger malaise en fixant sa caméra sur le visage d'Hugo. De longs plans fixes, créant une diversion non négligeable par rapport aux cadrages bizarres des scènes d'hypnose. Cette prolongation des plans fixes rendent Hugo pratiquement vivant aux yeux du spectateur. Qui traque le moindre mouvement, sans en percevoir le fruit de ses espoirs. In fine, lorsqu'on sait que Sidney J. Furie devait initialement réaliser le film, que celui-ci était une relation de Lindsay Shonteff et que Furie l'aida lorsque le film rencontra quelques soucis techniques… c'est vraiment à se demander si l'oblique réalisation, les plans tarabiscotés ne doivent pas plus à Furie qu'à Shonteff?
La partie musicale offre également quelque chose de différent. En majeure partie orchestrale, discrète, douce, accompagnant par exemple la séquence où l'inspecteur croit voir Hugo venir lui parler dans sa chambre. Et le tout chargé en pointillé de sons électroniques inattendus. Ceci en parfait écho au ton général du film, où la réalité se décadre de manière insidieuse au profit d'un récit purement fantastique.
Nul doute que cette POUPEE DIABOLIQUE servit de matrice à JEU D'ENFANT et autres DOLLY DEAREST dans l'antre des années 80/90, voire également d'influence au MAGIC de Richard Attenborough. Et aucune réserve sur le fait que le film de Lindsay Shonteff fait figure de réussite incontestable dans le domaine de la série B. Un petit chef d'oeuvre de rituel macabre, inventif malgré un sujet central quelque peu rebattu. A la mise en scène travaillé, au cadre judicieusement choisi… une excellente surprise.
Déjà disponible dans plusieurs pays, dont les USA via une édition chez Imager en 2002, le film arrive pour la première fois sur les rivages français via Artus Films, garnissant ainsi sa collection «British Horror». Dont on retrouve 5 films-annonces dans la partie suppléments. Reprenant pour sa jaquette recto le visuel de l'affiche italienne, le très joli digipack ajoute en intérieur la reproduction de l'affiche américaine. le tout d'une durée complète de 77mn30, montage européen, en format 1.66:1, noir et blanc et signal 16/9e. Un menu permettant l'accès aux différentes versions, suppléments et accès via 8 chapitres.Une heureuse surprise pour l'aspect visuel de cette édition : avec de jolis contrastes, un contour relativement net des personnages, des gros plans traduisant une jolie définition. Il y a bien quelques poussières blanches ça et là, pendant le générique et quelques plans (comme celui de l'atterrissage de l'avion qui fleure bon le stock shot), mais c'est franchement mineur!
Deux pistes audio encodées en Dolby Digital mono sur deux canaux : la version anglaise et le doublage français d'époque. Si on a le plaisir de retrouver la piste française d'origine, elle est quelque peu agrémentée d'un fond quelque peu métallique dans son rendu. Des dialogues cependant clairs, audibles. On préférera la piste anglaise, avec les sous-titres français optionnels. Il existe un certain souffle tout au long, mais les bruitages, effets sonores, dialogues apparaissent bien plus naturels et clairs. Surtout, une meilleure appréciation de la partition musicale très particulière et parfois violemment originale.
Pour la partie bonus, Alain Petit revient pendant 38 minutes sur à la fois LA POUPEE DIABOLIQUE ainsi que les adaptations de films ayant pour sujet les ventriloques et leurs poupées., un tour sur le producteur et les acteurs, la carrière du film, sa destinée française contrariée... Parmi les quelques différences entre le montage européen et le montage américain, Artus propose deux exemples. Le premier : la séquence du meurtre de Magda remplacé par une scène de strip-tease. Le second : une scène alternative, avec la maitresse du journaliste (à la 48e mn) qui apparait sans sa nuisette, présente dans la version européenne. Le tout spécifiquement tourné pour le marché nord américain. probablement pour coïncider sur le marché du « nudie » qui battait son plein, avec en tête de proue Russ Meyer et notamment son IMMORAL MR. TEAS qui remporta énormément d'argent à l'époque et lança la mode des scènes déshabillées. Un diaporama de 2mn11 sur fond de dialogues du film et les bandes annonces de la collection «British Horror» complètent cette édition.
Au final, un très bon choix de la part d'Artus Films que de porter à la connaissance de chacun/chacune cette POUPEE DIABOLIQUE. Un film autre, transfiguré par une mise en scène parfois audacieuse, avec une véritable personnalité, au montage adroit et au twist final inattendu - et bienvenu. Très recommandé!