Au creux de l'été dans une maison perdue au bord d'un lac, les jumeaux Elias (Elias Schwartz) et Lukas (Lukas Schwartz) attendent le retour de leur mère (Susanne Wuest). Elle arrive la tête recouverte de bandages, suite à une opération de reconstruction faciale. Mais les enfants commencent à douter de la véritable personnalité de la personne qui se trouve en face d'eux.
Gémellité, schizophrénie, ubiquité, ambiguité, quête de la personnalité… les thèmes brassés par GOODNIGHT MOMMY gravitent autour d'une cruauté filmique redoutable. Un cas de nature vs culture dans l'apparente tranquillité d'un été comme faisant fi de tout temps qui s'écoule. Un cadre en Scope majestueux, porté par une mise en image géométrique, comme désincarnée de par les lignes brisées et photos floutées de la maison contemporaine dans laquelle les protagonistes évoluent.
Il s'agit bien de l'image renvoyée dont on parle. via justement le langage de l'image, le pouvoir de sa représentation jusqu'au répulsif. Un renvoi de la perception/image de l'autre. Miroir de l'âme à défaut du visage. Une cohérence de mise en scène rare : comme ces plans sur les photos floues de la mère (une figure télévisuelle tutélaire) accrochées dans la maison. Une prolongation impulsée via son visage invisible, recouvert de bandelettes, visiblement reconstruit - un peu comme une image brouillée.
Le récit affiche un jusqu'au-boutisme rarement effectif au cinéma. Il ne recule pas devant la mise en images des pires exactions. L'antithèse d'un torture porn qui justifie les mises à morts et autres tortures in fine de par la simple valeur accordée à l'effusion sang et au craquement des os. La torture maternelle renversée par un rééquilibrage des forces en présence.(vengeance et/ou autres lois du talion) GOODNIGHT MOMMY ne base pas son récit sur ces images, mais génère, construit une progression dramatique qui tend au crescendo final. Une agression tranquille, presque naturelle, des actes qui déstructurent le rapport à la violence pour tenter d'en extraire la substance première, brute. Comme ce ventre ouvert au cutter, symbole d'une nouvelle naissance, brutale, sanguinaire. Le tout enveloppé via un jeu d'acteurs délibérément retenu, approchant le documentaire. Faisant fi du soit-disant suspense créé, dont le spectateur comprend rapidement le fondement : l'intérêt se trouve en effet bien ailleurs.
La terreur de la gémellité a rarement été aussi importante depuis THE SHINING. Deux enfants ici en quête d'identité. On pourrait éventuellement rapprocher cette quête d'un autre long métrage présenté au Festival De Gérardmer 2015, à savoir WELP. Mais le choix délibéré de Jonas Govaerts est de s'éloigner du point d'ancrage initial de Sam dans WELP. La ressemblance ne s'arrête pas là, les enfants arborants des masques effrayants dans chacun de deux films - afin de mieux masquer leur véritable nature… ou d'en marquer l'emphase?
Une lente mécanique de précision qui emmène nos yeux vers une abime d'insécurité. Qui joue avec le doute qui tenaille, dans une atmosphère déliquescente, presque putride. La construction du film s'établit également en miroir/boucle, démarrant par une chanson venant d'une famille idéalisée (la mère et ses enfants) - et se terminant de manière identique. Deux reflets quasi schizophrènes. Un cycle de réalité fantasme de l'image rêvée d'une famille unie - sans la figure du père.
Une fausse note, l'irruption grotesque de deux représentants de la Croix Rouge faisant leur quête annuelle. Une tactique narrative qui sert à la fois de soupe de sécurité mais témoigne d'une certaine maladresse pour tenter d'aérer le récit. Qui se garde toujours des poches de résistance, de rebondissements pervers volontairement aux antipodes de ce que le cinéma de genre aux codes stricts aura pu produire. Une notion de danger bien palpable.
Un dernier tiers positivement effrayant et repoussant aux yeux de spectateurs pourtant aguerris à bon nombre d'horreurs perpétrées ces dernières années. Sauf qu'ici, rien ne prépare vraiment chacun à subir un assaut d'images aussi crues. Dans le cinéma de genre, l'humour (noir) reste souvent utilisé afin de désamorcer les scènes les plus dures. A l'inverse, GOODNIGHT MOMMY se sert d'un humour tordu pour donner un tremplin à ce qui fera grincer plus d'un spectateur. Quelque brefs gros plans quasi chirurgicaux ont fait détourner le regard de l'écran de plus d'un(e). Sans gratuité aucune, un approche d'école naturaliste qui évoque le travail de Michael Haneke, Ulrich Seidl, voire de Gyorgi Palfi. A noter que les auteurs sont respectivement la partenaire et le neveu du producteur Ulrich Seidl, réalisateur autrichien à l'aura très cannoise, donnant à ensemble un aspect de népotisme toujours un peu suspect.
GOODNIGHT MOMMY se distingue immanquablement par une mise en images excessivement soignée. Alternant plans de fin d'été idyllique et des scènes quasi-obsessionnelles d'animaux morts, témoins de verts paradis viciés de l'enfance. Une logique interne imparable et une narration progressant inexorablement vers l'inimaginable. Préparez-vous à un rare voyage au bout de l'horreur, une de ceux dont on a pas forcément l'habitude - et qui ici marque plus que les autres.