En plein vague de films ibères horrifiques, Paul Naschy est au sommet de sa gloire. Il revisite consciencieusement le patrimoine fantastique mondial, du loup-garou avec comme son titre français ne l'indique pas avec LES VAMPIRES DU DR DRACULA, voire de croiser les mythes avec DR JEKYLL VS THE WEREWOLF… et pour aussi générer des curiosités comme ce BOSSU DE LA MORGUE, plus ou moins directement relié au BOSSU DE NOTRE DAME avec Lon Chaney. Mais le bossu version Naschy emprunte/rend hommage à diverses références aussi vastes que de Guy de Maupassant, Terence Fisher ou Mary Shelley. Tout en se tenant éloigné de Victor Hugo.
Le bossu Gotho (Paul Naschy), simple d'esprit et romantique dans l'âme, s'occupe des basses oeuvres à la morgue. Il fourni des cadavres au sinistre Dr Orla (Albert Dalbes) tout en étant ridiculisé et battu par le personnel de l'hopital. Entre la corruption qui règne dans l'hôpital et le décès de la tendre Ilse (Elena Arpon) dont il est amoureux, la vie de Gotho va sombrer petit à petit dans les meurtres. Notamment via la volonté du Dr Orla de créer un être artificiel.
Dans un interview présente dans le DVD britannique des VAMPIRES DU DR DRACULA, Paul Naschy indique avoir été honoré en 1974 au Festival du film fantastique de Paris au Grand Rex par le prix du meilleur acteur pour LE BOSSU DE MORGUE. Avoir gagné sur des Christopher Lee et autres Peter Cushing était pour lui une reconnaissance de ses pairs, du public mais également la conscience de faire partie du panthéon des acteurs (re)connus. Et surtout hors d'Espagne. Revoir LE BOSSU DE LA MORGUE et le replacer dans son contexte d'époque, aucun doute quant à l'impact que cela créa. Maintenant, ce long métrage né presque par accident, suite à la mise en veille du tournage du EL GRAN AMOR DEL CONDE DRACULA, accuse méchamment le coup des années. Il faut le revoir, certes, mais d'un oeil cinéphile amusé plutôt que d'attendre la pépite surgie de nulle part.
Naschy s'en donne à coeur joie dans le rôle titre, forçant la dose sur le côté malaimé et difforme. Victime de harcèlement, il retrouve refuge dans la tendresse que lui témoigne le Dr Elke (Rossanna Yanni, échappée de chez Jess Franco ou encore du simili-giallo LA VOLPE DALLA CODA DI VELLUTO) pour verser dans une version olé-olé de LA BELLE ET LA BETE. Typique de chez Naschy, de trouver en la monstruosité la manière de prendre pitié de la différence. En tous cas, un excellent moyen de pouvoir libérer son narcissisme face à la caméra tout en dénonçant une société espagnole bourgeoise et hédoniste - n'ayant cure de la société qui l'entoure et des moyens pour parvenir à ses fins. Un des nombreux subterfuges afin de détourner la censure franquiste, comme également déplacer le lieu du récit vers l'Europe centrale plutôt que l‘autre côté des Pyrénées!
On sent la volonté de tirer le film vers un récit gothique à l'ancienne. Le ton très Hammer, influencé notamment par la saga Frankenstein, y tient pour beaucoup. Mais il demeure délicat de faire passer un bourg espagnol pour une ville de montagne tyrolienne. Déjà, ça part mal. Ensuite, les traits forcés des rapports entre le bossu et les villageois, le caractère éminemment amateur de l'enquête policière n'aident en rien un récit bien en panne d'inspiration.
Aguirre va alors compenser ce récit emballé à la va-vite avec des excès gore partant dans tous les sens. Pied et main coupés, yeux arrachés, tripes à l'air… avec des effets très «roots» mais gentiment délirants. Malheureusement, les auteurs oublient que le cinéma est l'illusion de la réalité. Le film contient une scène rédhibitoire avec une exécution d'animal devant la caméra. Ceci posé, LE BOSSU DE LA MORGUE est vraie fête du sang à plein baquets, assurant le spectacle tout comme sa gratuité. Des réjouissances qui donneront au film une grande partie de sa réputation. Allant avec sa narration disjointe, parfois incohérente. Ou des plans émouvants, comme ceux de Gotho dans une cathédrale abandonnée, qui oscillent avec un certain cheap visuel comme le laboratoire souterrain. Garni, ô hasard gothique, d'une vierge de Nuremberg.
Restent quelques éléments grotesques, comme cette envolée amoureuse entre Gotho et Elke. Cette naïveté touchante allié au caractère rugueux et presque aléatoire du scénario confère une identité propre à l'oeuvre. On ne peut cependant s'empêcher de penser à une réalisation naviguant entre l'amateur et l'expérimental, tant certains moments autres parasitent ou/et enrichissent cette oeuvre bis bancale, mais résolument à part.
La VHS française se vendit pendant très longtemps à des tarifs indus, cette édition de chez Artus Films arrive donc à point nommé. Non pas que le film fut invisible. Les fans auront pu déjà acquérir l'édition DVD allemande de chez Anolis Films, ou encore la version US de chez Mya Communication. Autant le dire tout suite : vous qui avez apprécié l'image du DVD des VAMPIRES DU DR DRACULA, provenant d'un film tourné en 70mm, vous serez forcément déçu du traitement reçu par LE BOSSU DE LA MORGUE. L'édition française offre le film au format 1.85 1 et d'une durée complète de 79 mn 36 minutes, avec signal 16/9e. Elle s'inscrit dans la collection «Cine De Terror» initiée pour l'occasion. Joli fourreau cartonné aux couleurs rutilantes, élégant : tout pour plaire au collectionneur auquel s'adresse l'ensemble. Il serait bien aussi que la «marque de fabrique» Artus concernant le menu DVD évolue. Les images fixes plus ou moins correctement reproduites lassent quelque peu.
L'image demeure ici charbonneuse tout du long. Ce qui peut convenir au ton gothique du film, à priori. Mais les couleurs transparaissent assez mal à l'écran, même le rouge sanguin qui se déverse des plaies et autres morceaux de corps fait artificiel et bien peu mis en valeur. De toute façon, la cause est entendue dès le générique de début où le ton général (contrastes malveillants, image grisâtre et on ne mentionnera pas l'épouvantable musique…) restera quasiment tout du long. Non pas que le film soit irregardable, loin s'en faut. Quelques griffures ça et là se remarquent, certaines rayures notamment lorsque l'arrière de l'image est de couleur claire (à la 13e mn, par exemple). Une définition qu'on imagine être la meilleure sur le marché à ce jour, mais bien médiocre. Et une copie juste laide. Les tirages Eastmancolor ne s'arrangent pas avec le temps non plus.
Deux pistes audio sur ce DVD : la version espagnole d'origine, avec sous-titres français optionnels, ainsi qu'un doublage français. Doublage français assez curieux par ailleurs, puisque laissant quelques dialogues espagnols en fond (l'annonce de l'hôpital à 9mn21, entre autres). très curieux pour un film supposé se passer en Allemagne ! On note pas mal de souffle sur la VF, surtout dans les moments où aucun son ni dialogue se font entendre. Un souffle absent de la version espagnole, aux dialogues clairs et effets sonores se détachant très bien de l'ensemble. La musique apparait par ailleurs beaucoup plus en avant dans la VF, alors que plus en retrait en VO. Un effort notable : plusieurs scènes et plans absents (ou abimés?) de la version française ont été rajoutés pour l'occasion. Ainsi en regardant la VF, certains passages apparaitront en VO avec sous-titres français. Comme la scène entre Gotho et Elke à 13mn25, entre autres.
Le plus de cette édition demeure sans conteste le livret de 60 pages accompagnant le DVD, élaboré par Alain Petit. «Le cinéma de Terreur espagnol» retrace à grands coups d'affiches d'époque, en quelques sections chronologiques et par réalisateurs, toute la fascinante histoire du cinéma fantastique espagnol. On y trouve également une filmographie allant des années 60 à 1991. Alain Petit persiste et signe avec un long et complet entretien de près d'une heure et demie sur l'âge d'or du cinéma fantastique, bourré d'anecdotes et de références intéressantes. Qui pourra être compris comme un complément au livret, voire à une redite. On y entend d'ailleurs pour la première fois la voix de Thierry Lopez, l'une des têtes pensantes d'Artus Films.
Une scène alternative montrant Rossanna Yanni habillée (avec une belle faute de raccord) dans la scène d'amour avec Gotho, ainsi que les films annonces du catalogue Artus complètent le tout. On regrettera l'absence des interventions de Paul Naschy, présente sur d'autres éditions (comme le DVD allemand). Il aurait été bienvenu pour abonder dans le sens de la complétude voulue. Mais cette sortie française du BOSSU DE LA MORGUE reste un événement en soi compte tenu de la rareté du produit, et surtout pour bénéficier d'options francophones.